Alors, nous sommes dans une aventure inconnue, et ce n'est pas nouveau. Déjà pour les bipèdes, il y a sept millions d'années, notamment Monsieur Toumaï, qui a été découvert par Michel Brunet dans le Tchad, et qui vivait dans un monde arboricole, il ne pouvait absolument pas s'imaginer la suite. La descente qui serait venue. Déjà à l'époque d'Homo sapiens, Cromagnon où les humains avaient exactement le même crâne que nous, les mêmes possibilités cérébrales, ou du reste ils étaient capables de faire des oeuvres splendides, dans les grottes, comme à Lascaux ou à Taguera, mais nul n'aurait pu prévoir que ces gens-là avaient le même cerveau que Michel-Ange, que Mozart, que Beethoven, que Einstein ou même que Staline et Hitler. Donc si vous voulez, et à l'époque préhistorique où il y avait de petites sociétés de chasseurs, ramasseurs, personne n'aurait pu imaginer des grandes sociétés, des grands empires. Et même à l'époque des grands empires, qui aurait pu prévoir ce développement technique fabuleux, que le monde occidental a provoqué? Qui aurait pu prévoir la mondialisation actuelle, et aujourd'hui qui peut prévoir l'avenir de cette aventure qui peut aller dans toutes les directions, les pires comme les meilleures? Nous sommes dans une aventure inconnue. Mais nous sommes devenus objectivement solidaires, malheureusement nous ne le sommes pas encore subjectivement. Nous ne nous sentons pas encore citoyens de la terre patrie tout en demeurant les citoyens de notre pays, la France quand il s'agit de nous. Nous n'avons pas, même nous n'avons que très petitement notre sentiment d'appartenance européenne qui pourtant crée une communauté de destins nouvelle, mais qui dans le fond ne s'est pas enracinée en nous. Et donc si vous voulez l'enracinement de notre conscience terrienne, de notre conscience d'êtres humains, d'être à la fois tous semblables et tous différents les uns des autres, cette conscience-là nous manque. Et comme nous n'avons pas le sens de la terre patrie, nous n'arrivons pas à accéder à ce que je peux appeler l'humanisme planétaire. Car l'éthique de notre temps, évidemment c'est une éthique humaniste. Mais qu'est-ce que c'est que l'humanisme? L'humanisme, vous savez, au début c'était la qualité de gens qui pratiquaient, étudiaient les humanités. C'est-à-dire la philosophie, les lettres, les arts, les sciences. Enfin les sciences n'étaient pas encore détachées des humanités. Mais progressivement c'est devenu, avec la Déclaration des Droits de l'Homme, avec les écrits des philosophes français du XVIIIe siècle l'idée que nous devons respecter, honorer, tout être humain quel que soit son sexe, quel que soit son âge, quelle que soit son origine, quelle que soit son ethnie, quelle que soit sa religion. C'est, disons, Elle est fondée sur le principe de ce que que Hegel appelait la reconnaissance, dont je crois que je vous ai déjà parlé. C'est-à-dire que nous devons reconnaître autrui comme étant aussi digne d'attention et d'amitié et d'intérêt, que nous-mêmes. Montaigne disait je vois en tout homme mon compatriote. Ça c'est une formule fondamentale. Mais cet humanisme-là, il était abstrait. Dans quel sens? On pensait, au XVIIIe siècle évidemment, que tous les hommes étaient pareils, étaient égaux. Mais on ne connaissait pas les asiatiques, on ne connaissait pas les africains. Et même, pire, on pensait que les africains étaient des êtres qui étaient arriérés, qui n'étaient pas encore développés. Et on réservait l'humanisme pour nous autres européens, qui avions acquis un développement intellectuel et rationnel. Mais les autres étaient encore des grands enfants. Et comme des enfants il fallait les maintenir en tutelle, en colonisation. Donc il a fallu beaucoup de temps pour que les virtualités de l'humanisme, qui sont universelles, deviennent de plus en plus universelles. C'est-à-dire que nous pensions la même chose, et quand nous voyons des malheureux, victimes d'un tsunami en Malaisie, quand nous voyons des malheureux, victimes d'un naufrage parce qu'ils veulent émigrer en Europe, nous devons ressentir un sentiment de compassion et de solidarité humaine, que requiert aujourd'hui notre époque planétaire. Alors, aujourd'hui, l'humanisme doit être planétaire. Dans quel sens? Eh bien dans le sens que, comme je vous l'ai dit souvent, nous avons en nous une aspiration à la communauté. Et cette aspiration dans les sociétés les plus anciennes, c'était la petite communauté qui fraternisait parce qu'ils avaient un ancêtre commun qu'ils respectaient. Et puis quand on est arrivé à des sociétés plus importantes est arrivée la notion de patrie. Qui dit que nous sommes les enfants de la patrie, on dit la mère patrie. Et la paternité dans l'autorité juste. C'est-à-dire qu'effectivement, nous avons un sentiment affectif, d'appartenance à notre nation. Ce n'est pas un sentiment seulement objectif qui se vérifie c'est un sentiment qui se vérifie dans notre sentiment intérieur et intime d'identité. Mais jusqu'à présent dans l'histoire les communautés étaient fermées. Elles s'opposaient les unes aux autres. Les Français s'opposaient aux Anglais pendant des siècles. Et puis les Français se sont opposés aux Allemands à partir de la guerre de 1870 et puis des deux guerres mondiales. Et puis il y a eu l'opposition avec disons, l'empire soviétique et le monde occidental. L'idée de communauté fermée est liée à l'idée que les nations étaient menacées par des ennemis ou que les étrangers ne faisaient pas partie de la communauté. Et aujourd'hui le problème c'est que nous avons affaire à ce qui devrait être une communauté humaine qui englobe et qui enveloppe toutes les autres communautés sans les détruire. C'est ça qui constitue l'humanisme planétaire. Le sens vécu, subjectif, de cette unité humaine qui est liée au sens non moins subjectif que les autres sont à la fois différents et semblables de nous. C'est cela la morale fondamentale que requiert notre époque planétaire.