[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour, je m'appelle Hughes Sibille, je suis président de la Fondation du Crédit Coopératif, après avoir été longtemps vice-président de cette banque. J'ai, en 2014, participé aux travaux internationaux sur l'investissement à impact social dans le cadre d'une Taskforce du G8. Et j'ai présidé le comité français pour l'investissement à impact social, que j'ai moi-même mis en place. Donc, j'ai eu, véritablement, dans ces deux dernières années, le privilège de pouvoir suivre ce qui se passait au plan international. D'abord, l'initiative est venue des Anglais. Elle est venue de Sir Ronald Cohen, qui est l'inventeur du Capital Risk en Grande-Bretagne, et qui avait proposé au gouvernement anglais, à l'occasion d'une réunion du G8, de faire en marge du G8, un petit sommet de la finance sociale, qui s'est tenu donc en juin 2013, et qui a décidé de créer un groupe international, une Taskforce internationale pour les pays du G8, donc huit pays pour réfléchir ensemble, et travailler à faire des propositions sur la manière de développer l'investissement à impact social. Cette Taskforce a reposé sur donc, deux niveaux. Des groupes thématiques, quatre groupes thématiques, qu'il est intéressant d'avoir en tête. Un sur la mesure de l'impact social, donc qui a été jugé, dès le début, comme crucial pour faire de l'investissement à impact social. Un sur les cas actifs et sur la manière de générer des ressources pour financer cet investissement à impact social. Un sur ce qu'on appelle l'alignement de la mission. C'est-à-dire, comment on s'assure que l'entreprise sociale est bien alignée dans ses objectifs, par rapport à, aux apports de financement de l'investissement à impact social. Et enfin, un dernier spécialisé sur la notion de développement international, de cette forme d'investissement, en particulier pour les pays du Sud. Qu'est-ce qu'on peut mettre en place pour financer le développement? Donc, j'ai participé à échanger avec mes homologues étrangers pendant un an et demi. Nous nous sommes réunis à Washington, à Londres, à Berlin, à Rome, à Paris. Et j'ai constitué, comme dans les autres pays, un comité français, qui a réuni 29 personnes, venant à la fois de la banque, de la finance, de l'université, de l'entrepreneuriat social, pour réfléchir et travailler aux propositions françaises que nous pourrions faire. Ce travail, qui a donné lieu à la publication d'un rapport, qui est accessible sur le Net, fait 21 propositions. Et, que je ne vais pas évidemment détailler ici, mais part de quelques principes de base. La première, c'est d'améliorer l'articulation entre l'offre et la demande. C'est-à-dire de bien partir, finalement, des besoins de financement des entrepreneurs sociaux dans leur diversité. Et, de ce point de vue là, l'investissement à impact social n'a pas vocation à tout prendre en compte en terme de financement. Il y a des financement, qui sont des financements publics ou subventionnels, qui doivent rester. Il y a d'autres types de financements bancaires qui doivent rester. Donc, nous avons défini un cadre, dans lequel nous pensons que l'investissement à impact social peut trouver un intérêt particulier, pour développer l'entrepreneuriat social. Il est clair que ces outils qui peuvent se mettre en place sont des outils qui correspondent au moment dans lequel nous vivons, qui est un moment dans lequel il y a à la fois beaucoup de besoins sociaux non couverts, ou mal couverts, qui nécessitent beaucoup d'innovation sociale. Et un moment où les financements publics sont des financements beaucoup plus contraints que par le passé, et donc nous devons innover. Et, le sous-titre de notre apport, c'est de mieux articuler innovation financière et innovation sociale. Nous pensons que ces deux types d'innovations doivent être très couplées l'un, l'une à l'autre pour innover socialement, on essaye d'innover financièrement. Dans ces propositions, nous avons proposé d'expérimenter, en France, des titres à impact social, donc des social impact bonds, mais à la française, qui permettent, dans des conditions précises, de trouver des financeurs privés qui viennent financer, notamment des opérations innovantes, ou des opérations de prévention. Il y a des choses qui n'existent pas aujourd'hui, de façon à lier l'apport de financement et la mesure de résultats, nous inspirant de ce qui était le cas en Angleterre, avec la prison de Peterborough, où l'investissement à impact social finance la prévention de la récidive. Et nous sommes en train de travailler à plusieurs sur la manière d'acclimater en France ces titres à impact social. Nous avons créé un petit lab, qui travaille de manière, qui démarre un travail opérationnel sur ce plan-là, puisqu'il faut, au fond, inventer une démarche qui corresponde à la particularité française, parce que nous avons un monde associatif important. Nous avons eu un monde d'économistes socialistes qui est important. Et donc, nous devons adopter, disons des concepts pour les rendre opérationnels en France. Dans ce cadre-là, le fait de se comparer à d'autres pays est évidemment très intéressant. J'ai été, personnellement, tout à fait surpris et intéressé de voir que lorsque nous avons reçu nos amis étrangers à Paris, lorsque nous leur avons présenté des études de cas, ils ont découvert, avec beaucoup d'intérêt, le savoir-faire français sur la finance solidaire. En particulier, ce qu'on appelle les fonds 90/10. 90 % qui sont investis dans de grandes entreprises, souvent avec des critères RSE. Et 10 % qui sont investis dans des entreprises sociales. Ces types de fonds ont énormément intéressé nos amis étrangers, et ils ont considéré que nous avions une avance au fond en la matière, à travers la collecte de l'épargne salariale, l'épargne solidaire, et la transformation de ces ressources en investissement, avec Finansol, notre label, etc. A contrario, dans l'autre sens, j'ai été frappé par quelques points de ce que nous pouvions apprendre de l'étranger. La première chose, c'est tout ce qui concerne le capacity building. C'est-à-dire, le fait que si on regarde par exemple le Royaume-Uni, il y a de l'argent qui est mis pour faire l'ingénierie des projets qu'on va financer ensuite. Il y a de l'argent qui est mis pour accroître la capacité des équipes qui gèrent des projets sociaux, et tout ce travail de capacity building porte ses fruits je pense, et nous avons intérêt, en France, à nous en inspirer. Donc, avoir de l'argent pour pouvoir le faire. Vous avez, en Angleterre, social finance par exemple, qui est un, des équipes qui sont très professionnelles, qui sont capables de monter des projets. Nous n'avons pas forcément tout à fait la même chose en France. Nous y travaillons. Il y a des équipes au Comptoir de l'Innovation, à France Active, au Crédit Coopératif, qui sont capables de le faire. Mais, il y aura sans doute lieu de progresser en la matière. J'ai aussi vu avec intérêt le fait que, en terme d'accès à la ressource, un certain nombre de pays étaient imaginatifs, et, par exemple, avaient su récupérer ce qu'on appelle des actifs dormants, qui figurent dans les bilans de banques ou des compagnies d'assurance, qui sont à l'abandon dans ces comptes, et donc qui ont été réutilisés, par exemple, pour créer Big Society Capital. Réutilisés pour pouvoir financer, amorcer la pompe de l'investissement à impact social. Et il y a donc des projets en France pour regarder comment ces biens en déshérence pourraient être utilisés. Ou, comme le font les Italiens, ce qu'on appelle des biens mal acquis, des biens qui ont été saisis, sur des problèmes de drogues, ou des problèmes de mafias. Donc, il y a de l'argent qui revient dans les caisses publiques, qui était de l'argent mal acquis, et qu'on peut réutiliser pour en faire quelque chose de bien, bien acquis. Et donc, il y a sans doute, en France, à travailler, à regarder comment nous pourrions rechercher des ressources complémentaires, grâce à ce type d'initiative que nous ne pratiquons pour l'instant, en France aujourd'hui. Enfin, je pense que ce que nous apprennent les Anglo-Saxons, en particulier, c'est quand même toute la notion de la mesure du résultat. Et donc, cette fameuse question de la mesure d'impact, sur lequel les méthodologies que j'avais déjà vu avec, par exemple la European Venture Philanthropy Association, ou les travaux européens, ont des indicateurs, des doctrines d'approche de la mesure de l'impact, qui sont sans doute plus avancés que les nôtres. Il y a une gêne française me semble-t-il, une certaine réticence, à aborder la mesure de l'impact, parce qu'on le considère d'abord comme quelque chose de contrôle, qui va nous tomber dessus, qui va nous, finalement nous causer des tas de problèmes, et non pas comme un outil à la disposition des entrepreneurs sociaux, ce que je crois se passe davantage dans d'autres pays. La mesure de l'impact social, c'est bien sûr pour rendre compte au financier qui met de l'argent, mais c'est aussi pour avoir des outils de pilotage pour les entrepreneurs sociaux qui leur permettent d'être plus performants. Si on s'occupe de sans domicile fixe, si on s'occupe de lutte contre l'échec scolaire, si on s'occupe de prévenir le diabète des personnes âgées, eh bien, plus on est armé pour bien mesurer ces impacts, mieux on conduira son projet d'ordre social ou son projet associatif. Donc, ce n'est pas du contrôle, ça n'est pas un enquiquinement pour eux, c'est un, un apport, une valeur ajoutée. Donc, je pense qu'il y a là, à continuer à travailler, en France, pour réfléchir et puis adapter, faire ce que nous voulons faire pour une approche française, parce que si nous ne le faisons pas, eh bien, les anglo-saxons, eux, avancent et du coup, on est un petit peu, quelques fois, à la remorque et personnellement, je le regrette. Donc, que l'ESSEC investisse, elle le fait déjà, que d'autres écoles le fassent, que les universités, les banques, que des gens qui peuvent le financer, en liaison étroite avec l'entrepreneuriat social, investissent la mesure d'impact. Je dirais enfin un mot du sujet des fondations, car j'ai le plaisir, depuis quelques semaines, de présider la fondation du Crédit Coopératif. Les fondations se développent en France, elles ont été assez longues, finalement, à le faire, mais actuellement, il y a une tendance assez forte de développement, les fonds de dotation, qui ont été créés par la loi, il y a quelques années, se développent, eux, à assez grande vitesse, et c'est évidemment important parce que, par exemple, on constate que dans nombre de pays, les Social Impact Bond mettent, en fait, des fondations comme partenaires du financement de ces titres à impact social. Et donc, plus nous aurons des fondations capables d'investir et d'être présents dans ce champ-là, me semble-t-il, mieux nous nous porterons. Et parmi les sujets, qui ont été évoqués dans une dimension internationale, il y a, ce que l'on appelle, le mission-related investments, le fait que les actifs des fondations soient placés en ligne avec leur objet social. Je suis une fondation qui s'occupe de la santé, mes actifs, au lieu de les placer un peu n'importe comment, dans des actions en bourse qui peuvent être contraire à ma finalité de santé, eh bien, je vais les investir dans des sujets qui sont alignés avec ce que je veux faire dans le domaine de la santé. Et donc, là, on a des actifs potentiels des fondations, je rappelle qu'en France le total des actifs des fondations, c'est 20 milliards d'euros. Si une partie de ces 20 milliards viennent, deviennent des investissements sociaux, non pas, simplement, des placements en bourse qui permettent d'être, sur les intérêts, réutilisés pour financer des projets. Eh bien, on progresse dans une notion d'investissement à impact social, avec un double retour financier et social, grâce à cet argent des fondations. Voilà. Pour conclure, je dirais que nous avons besoin, me semble-t-il, de faire ces petites révolutions, dans la manière, aujourd'hui, de travailler et de financer le social, la France est fière de son modèle social, je le suis aussi, mais je constate à quel point, il est aujourd'hui en crise et à quel point, il est dégradé sur des tas de sujets sociaux. Et donc, c'est notre devoir de travailler à inventer de nouvelles solutions, et des nouvelles solutions qui soient aussi des nouvelles solutions financières, qui permettent d'être plus efficace, plus efficient, et d'avoir des résultats dans un certain nombre de ces sujets. Et donc, sans doute que le mot-clé est un mot de partenariat entre différents acteurs. Le mot de stakeholder, c'est-à-dire nous sommes partie prenante de ces problèmes sociaux, nous, financiers, nous, investisseurs sociaux, nous, puissances publiques, pour trouver les bonnes réponses, et des réponses qui traitent les problèmes et ne fassent pas que simplement les évoquer. 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