[MUSIQUE] Lors de la troisième et dernière étape de l'approche du design thinking, celle de l'expérimentation, il s'agit donc de tester puis de mettre en place les solutions imaginées pendant l'étape deux de l'idéation, à partir des informations récoltées lors de l'étape un, celle de l'immersion. Cette étape disrupte l'approche conventionnelle des politiques publiques françaises car elle introduit l'idée qu'une politique publique ou un service public doivent être testés à petite échelle avant d'être mis en oeuvre. Ceci suppose qu'une politique publique ne va pas forcément fonctionner du premier coup, ce qui signifie qu'il y a un droit à l'erreur. Ceci constitue un véritable piratage des politiques publiques telles que nous les connaissons aujourd'hui, pour reprendre les mots de Stéphane Vincent, que nous avons vu lors du premier épisode. Nous allons nous attacher à appréhender ce qu'est l'étape d'expérimentation de l'approche du design thinking au travers de deux questions : un, que teste-t-on lors de la phase d'expérimentation? Et deux, qu'apporte cette phase de test? Alors première question, penchons-nous tout d'abord sur ce que l'on teste lors de la phase d'expérimentation. Yoan Ollivier, de l'agence Plausible Possible, nous explique que lors de la phase d'expérimentation du nouveau service ou politique publique, il est impossible de tester la réalité. On se concentre donc sur une représentation du nouveau service. On en teste les points essentiels ou les plus radicaux. Et en cela, il rejoint David Lotte, qui ajoute également qu'il ne faut pas oublier qu'il y a plusieurs types de tests et de prototypages en fonction de ce que l'on souhaite vérifier. On peut ainsi vouloir simplement analyser le fonctionnement purement technique du service, ou bien alors évaluer l'expérience de l'utilisateur. Pour illustrer cette distinction, reprenons l'exemple de la propreté des toilettes du TGV tel que Stéphane Gauthier nous l'explique. Dans un premier type d'expérimentation, on mesure le taux de bactéries et autres micro-organismes pour voir si les produits d'entretien sont bien utilisés, dosés, ou même conformes. Dans un deuxième type d'expérimentation, on va mesurer le taux de satisfaction des usagers : trouvent-ils les toilettes propres ou non, agréables, confortables? Dans les deux cas, on teste le même équipement, mais on mesure deux choses différentes, d'où l'importance cruciale du cadre de l'expérimentation qui doit être définit très précisément au préalable. Il faut savoir ce que l'on va tester. Il faut également déterminer la durée du test et enfin, spécifier les indicateurs cibles, et le type de données à collecter. Encore une fois, la logique qui sous-tend le processus est la co-construction, ce qui signifie que designers, pouvoir public et usagers, doivent se mettre d'accord sur les objectifs de l'expérimentation, et les critères de réussite ou d'échec. Le cadre du test est directement influencé par le type de service ou de produit mis en place par les administrations. Ainsi, chaque test doit être créé en fonction du prototype produit, et développé tel qu'il a été imaginé lors de la phase deux du processus de design thinking. Yoan Ollivier fait un focus sur les types d'acteurs impliqués dans le test. Il en identifie trois, à ne pas confondre avec les trois grandes familles d'acteurs dont nous avons parlé dans l'épisode un. Première catégorie : les organisateurs, à savoir les designers et les hauts fonctionnaires ou dirigeants des administrations publiques. La deuxième catégorie ce sont les opérateurs, qui vont appliquer les nouveaux processus. Et enfin la troisième catégorie ce sont les usagers, qui vont bénéficier du service. Alors selon que l'on privilégie un type d'acteur, on ne va pas tester les mêmes choses, les attentes et les besoins n'étant pas les mêmes. Pour que l'innovation soit durable, il faut qu'opérateurs et usagers soient satisfaits du nouveau système, et que les organisateurs, ici entendus comme on le disait il y a un instant comme les dirigeants ou les hauts fonctionnaires, n'identifient pas de problèmes politico-financiers. On retrouve ici l'enjeu du faire mieux avec moins, faire autant avec moins, ou faire mieux avec autant. Une fois ces éléments de cadrage posés, venons en à la deuxième question de ce qu'apporte la phase d'expérimentation. Les différents témoignages sont riches d'enseignements. La phase d'expérimentation du projet de nouvelle MDPH dans le Val d'Oise telle que décrite par Josiane Raveleau en est un bon exemple. Lors de la phase un d'immersion, d'inspiration, le temps d'attente et la qualité des espaces d'accueil ont été identifiés comme des problèmes majeurs par l'ensemble des acteurs. Lors de la phase deux, il a été proposé de mettre en place un pré-accueil comme réponse à ce problème. Lors de la phase trois, un prototype de système de pré-accueil a donc été mis en place pour déterminer si oui ou non un pré-accueil répondait aux attentes exprimées par les personnes handicapées et leurs familles. Avant l'expérimentation, les agents de première ligne, ou opérateurs, avaient peur d'une surcharge de travail, et le test a permis de mettre en exergue non seulement que les usagers se sentaient mieux accueillis, leur expérience utilisateur était beaucoup plus positive, mais aussi que la fluidification du trafic des usagers dans les locaux avait réduit le niveau de stress des agents. L'expérimentation confirme que la solution imaginée lors de la phase deux répond bien aux attentes des deux parties prenantes principales : opérateurs et usagers. Dans cet exemple, le test a permis de valider la solution. L'apport de cette phase d'expérimentation va souvent au-delà puisqu'elle permet d'améliorer les solutions imaginées, voire de faire émerger des solutions complémentaires. Ainsi, le test qui a été conduit à l'hôpital de la Robertsau sur le mémo de ce dépliant qui récapitule la journée du patient et crée un lien entre les équipes médicales et les familles des patients accueillis. Comme le souligne Barbara Bay, cet outil aurait pu achopper, à cause d'une incompréhension de la part des équipes soignantes qui devaient être en charge de le remplir. Or la phase test, en itération, c'est-à-dire sur la base d'un processus par tâtonnements qui a duré un an, a façonné cet outil et l'a progressivement intégré à la routine de travail des équipes. On voit ici qu'en associant les équipes au processus de test et en prenant en compte leur feedback, on peut les amener à accepter les innovations, à leur insu de leur plein gré pour reprendre l'expression restée célèbre du cyclique Richard Virenque, qui est citée par Gaël Guilloux dans l'épisode numéro un. Le prototypage des toilettes de TGV par l'agence Babel est un exemple de test ayant permis d'introduire une nouvelle dimension à une innovation. Grâce au test, la SNCF a perçu l'intérêt de prendre en compte l'émotionnel et donc d'investir non seulement dans le fonctionnel, c'est-à-dire de choisir des produits de nettoyage performants, ou de mettre en place un processus de lavage régulier des toilettes, mais également d'investir dans le facing des toilettes, pour les rendre plus accueillantes et ainsi améliorer la satisfaction des usagers. Enfin, les expérimentations à Lezoux autour de la malle médiathèque et la cabine de téléchargement ont permis d'affiner ces projets et de les faire correspondre aux attentes des habitants consultés. A l'écoute des témoignages de Monsieur [INCOMPREHENSIBLE], Madame Miramon et Madame Benetto, on s'aperçoit que l'idée imaginée au début d'une cabine de téléchargement dans le centre-ville de Lezoux s'est transformée en tout autre chose : la réhabilitation d'une cabine téléphonique dans un des petits villages de la communauté de commune, Vinzelles. En plus du changement de localisation, le concept lui-même a évolué. D'une cabine de téléchargement, c'est-à-dire un ordinateur sur lequel on peut se connecter et télécharger des documents, on est passé à un espace dit participatif, qui accueille par exemple une granothèque pour partager des graines. Cette évolution du projet n'a été possible que grâce à l'expérimentation. Elle a fait remonter une certaine incompréhension de la part des habitants de Lezoux quant à l'utilité du concept initialement envisagé, et dans le même temps a fait émerger un projet communal dans le village de Vinzelles. Dans cet exemple on voit bien qu'une solution imaginée, une fois confrontée à la réalité des usages qu'en font les utilisateurs, va forcément devoir se transformer pour mieux s'adapter aux feedback collectés. On retrouve l'idée de Monsieur [INCOMPREHENSIBLE] pour qui la solution finale ne peut se concrétiser que dans la pratique et l'expérimentation, et non avant, comme on a trop tendance à le croire. La malle médiathèque et son expérimentation telle que Géraldine Debus, la bibliothécaire, et Catherine Primot Granger, habitante de Lezoux, nous l'ont décrite, a permis de faire remonter à l'équipe de direction de la future médiathèque l'envie des habitants de Lezoux de participer à la vie de celle-ci. Cela a donc conduit à la mise en place d'un projet d'établissement visant à encourager la participation du plus grand nombre au sein de cette médiathèque. Ce projet d'établissement a par la suite a donné naissance à des nouvelles initiatives participatives comme les bois de [INCOMPREHENSIBLE], la collection de DVD à partir de suggestions des habitants et futurs usagers, ou encore les étagères participatives au coeur même de la médiathèque. Nous avons déjà évoqué plus haut l'enjeu principal de cette phase : poser un cadrage clair. En effet, un test mal pensé ou mal défini ne permet pas d'arriver à une conclusion pertinente. L'autre grand enjeu auquel le prototypage est confronté est celui du risque d'échec d'une solution proposée, d'un test qui montrerait que la solution est totalement ou relativement inadaptée et doit être abandonnée. On l'imagine bien, cela peut démoraliser, voire démobiliser les équipes impliquées, on pense ici aux remarques faites par Madame Petitjean dans l'épisode précédant. Concluons cette séquence sur la vision du prototypage que David Lotte nous propose. David Lotte considère que le prototypage est en fait présent tout au long du processus, et pas seulement dans la phase d'expérimentation ; le designer produisant différentes formes de prototypes, non de la solution mais du projet, à chaque étape de l'approche design thinking. Et David Lotte avance l'idée que l'enjeu majeur du prototypage, notamment pour les designers mais plus largement aussi pour l'ensemble des acteurs impliqués, est celui de vérifier collectivement l'existence ou non d'un consensus autour du projet, et de la manière dont celui-ci évolue. C'est-à-dire, pour reprendre ses propres mots : sait-on ce qu'on est en train de faire? Est-on d'accord sur ce que l'on est en train de faire? Or ce questionnement est loin d'être anodin. En effet, il suppose la possibilité d'une remise en question totale des solutions envisagées, et ce à tout moment, pouvant rendre ainsi caduc le projet, si le consensus n'existe plus. Si le prototypage peut révéler des fractures et des divergences autour des solutions envisagées, il peut également fonctionner comme une machine à créer du consensus, une grande partie de la réussite d'un prototypage reposant sur la capacité des équipes multidisciplinaires d'animation à encourager l'émergence de compromis qui satisferont le plus grand nombre. C'est évidemment cette deuxième propriété qui en fait toute la valeur positive, et toute la force pour les promoteurs de l'innovation dans les services publics et dans les administrations de l'Etat et des collectivités territoriales. [MUSIQUE]