[MUSIQUE] À travers les différents témoignages des points de vue d'experts que nous venons d'entendre, trois grandes questions émergent. Un, qui sont les acteurs impliqués dans les approches du design thinking? Deux, pourquoi utiliser le design thinking pour accompagner l'innovation publique? Et enfin, trois, quels sont les obstacles auxquels la démarche se heurte? Pour commencer, qui sont les acteurs impliqués dans l'innovation publique et le design thinking. Comme vous avez pu le constater au travers des différents témoignages, une multiplicité d'acteurs est impliqué dans l'approche du design thinking. Les trois acteurs principaux qui émergent sont les pouvoirs publics, les usagers et les designers. Les premiers cherchent à transformer leur manière de fonctionner et/ou de délivrer un service aux usagers, comme le disent Guy Kaufman pour le conseil départemental du Val d'Oise ou Barbara Bay, pour l'hôpital gériatrique du la Robertsau. Les usagers sont eux, à la fois co-concepteurs du projet et bénéficiaires finaux de celui-ci. Quant aux designers, ils sont là pour accompagner ces structures publiques, leur donner les outils qui vont leur permettre de changer. Comme le dit Stéphane Vincent, délégué général du laboratoire recherche-action, la 27e Région, les designers sont là pour pirater les politiques publiques et se faire les avocats des usagers. Les designers permettent ainsi la rencontre entre administration et administrés, il sont donc des médiateurs. Ces trois catégories d'acteurs cachent, en fait, une diversité de statuts et de rôles très importants. Ainsi, les pouvoirs publics font référence aux élus. Arnaud Bazin, président du conseil départemental du Val d'Oise, ou Marie-France Marmy, élue en charge de la nouvelle médiathèque dans la commune de Lezoux, mais également aux administratifs, qui ont la tâche d'appliquer et de mettre en oeuvre les décisions prises par les élus. Là encore, les acteurs sont très divers, entre les hauts-fonctionnaires qui ont pour mission d'organiser et de diriger des services, et des équipes en première ligne, ce que l'on appelle communément des agents qui délivreront des services aux usagers, et il ne faut pas oublier parmi ces acteurs, les équipes innovation des structures publiques comme celle mise en place de façon très volontariste par le conseil départemental du Val d'Oise. Ces équipes ont la délicate mission de trouver leur place parmi ces différentes parties prenantes dans un terrain. De même, la notion d'usager doit être affinée car le groupe des usagers n'est pas uniforme. Par exemple, dans le cadre de la maison départementale des personnes handicapées ou de l'hôpital gériatrique de Strasbourg, le groupe des usagers n'est pas seulement composé des personnes handicapées ou âgées qui sont accueillies par les administrations, mais il faut également prendre en compte les familles, et/ou les accompagnateurs. Enfin, la catégorie des designers. Elle est utilisée pour décrire ces équipes multidisciplinaires qui sont les médiateurs du changement, comme on le disait tout à l'heure, et cette équipe là est très diverse, elle s'est composée de designers bien sûr, mais aussi d'architectes, de sociologues, d'anthropologues, d'économistes, de médecins ou d'autres experts en fonction de la nature et de la spécialité des projets. La composition de l'équipe qui va accompagner le changement et l'innovation au sein d'une organisation va en effet varier pour prendre en compte les spécificités thématiques et locales de chacun des projets. Les enjeux, et donc les expertises à mobiliser ne sont pas les mêmes quand on transforme l'accueil d'un service gériatrique ou que l'on réfléchit aux différents usages d'une médiathèque en milieu rural. Ces acteurs viennent par ailleurs de tout type d'organisations publiques, nationales ou locales, les fils rouges de ce MOOC représentent ainsi l'état, avec l'hôpital gériatrique de la Robertsau, une intercommunalité avec la médiathèque de Lezoux et un département avec la maison départementale des personnes handicapées du Val d'Oise. Enfin, ces acteurs travaillent dans différents domaines, et on a avec nos trois fils rouges, le médico-social, la santé et la culture, le design thinking pouvant s'intéresser à l'ensemble des sujets. Un fois précisé le qui agit, intéressons-nous au pourquoi on agit. Alors pourquoi utiliser le design thinking pour accompagner l'innovation publique? Souvent il s'agit de transformer les manières de faire des administrations publiques car le service rendu n'est pas satisfaisant, ou bien, est complètement disfonctionnel. C'était le cas de MDPH du Val d'Oise en 2011, où plus de 30 % des courriers qui arrivaient au conseil départemental en mars 2011, quand la nouvelle majorité a pris les commandes, concernait les personnes handicapées. Il peut également s'agir de s'assurer qu'une politique ou un équipement qui ont été envisagés, répondent bien à toutes attentes des usagers finaux comme dans le cas de la médiathèque de Lezoux. Il peut enfin, simplement s'agir d'améliorer l'expérience des usagers, et là on pense une nouvelle fois au service gériatrique de l'hôpital de la Robertsau. Nous voyons que le point commun de ces trois projets est de remettre l'usager au centre du questionnement et du projet. C'est cette idée de se faire l'avocat des usagers, mise en exergue par Stéphane Vincent et sur laquelle se rejoignent tous les autres témoignages. Gaël Guilloux pour sa part, qui est directeur du Design Lab Care de l'école de design de Nantes, va parler d'animateur neutre, ou d'allié de l'usager pour qualifier le rôle du design qu'il pense particulièrement puissant pour trois choses. Un, questionner la problématique d'origine, la reformuler et ainsi augmenter les chances d'imaginer une réponse réellement pertinente. Deux, intégrer l'ensemble des acteurs au projet, les mettre en lien et ainsi garantir la faisabilité technique et économique des solutions imaginées. La médiation du design permettra de passer d'une idée à une innovation en faisant en sorte que l'idée rencontre son public, et aidera ainsi l'ensemble des acteurs à se repositionner en repensant leur mission respective et leurs relations. Dans la plupart des cas, il s'agit aussi de faire mieux avec moins ou mieux avec autant, voire aussi bien avec moins puisque le contexte budgétaire actuel sur fond d'économies drastiques à réaliser provoque un besoin de renouvellement des approches utilisées par les pouvoirs publics pour mener à bien leur mission. En bref, le design thinking et l'innovation publique se situent à la croisée de deux demandes fondamentales de la part des citoyens. Premièrement des services qui répondent à leurs besoins, et deuxièmement des services qui coûtent le moins chère possible à la collectivité publique. Mais, ces objectifs, de remettre l'usager au centre du processus et de faire mieux avec moins, ne se concrétisent pas sans difficultés, même si l'enthousiasme des parties prenantes, utilisateurs, élus, fonctionnaires et designers est indéniable comme le souligne l'élue de la ville de Lezoux, Marie France Marny. Après le qui et le pourquoi, voyons quels sont les principaux obstacles à la mise en oeuvre d'une démarche du design thinking. Gaël Guilloux que j'ai évoqué il y a un instant, identifie trois obstacles majeurs. Premièrement les comportements et habitudes de l'ensemble des acteurs. Comment accompagner le changement et induire de nouveaux comportements. Deuxièmement les rythmes, la démarche implique des acteurs publics et privés qui n'ont souvent pas le même rythme. Il faut donc, selon le terme de Gaël Guilloux, remettre en relation ces acteurs et trouver le bon rythme dans la mise en place et/ou la transformation du politique publique. Il y a donc un double risque de blocage et de rejet par les agents, d'une part, et d'exploitation des inévitables échecs de certaines expérimentations par les opposants au projet qui se feront sur la déception de certains usagers, trouvant que les choses ne changent pas assez vite et qu'ils ne comprennent pas que les services publiques ne se construisent pas en un jour. Enfin, troisièmement, les intérêts individuels et collectifs de ces acteurs, Gaël Guilloux souligne que l'on a tendance à vouloir les évincer alors qu'au contraire, il faut jouer avec eux, et pour nourrir l'acceptabilité des solutions proposées, faire en sorte que tous y trouvent un écho à leurs intérêts. Stéphane Vincent identifie un autre enjeux majeur qui attrait à la culture administrative française. En effet, le design thinking rompt avec la démarche très linéaire et décentralisée, qui à marqué la manière dont les pouvoirs publics ont mis en oeuvre les politiques publiques jusqu'à maintenant. Le design thinking introduit une démarche inductive qui parle des usages et crée la politique publique en fonction de ceci. Barbara Bay rejoint Stéphane Vincent et explique que la démarche design, très bien accueillie par les usagers et l'équipe soignante de l'hôpital de la Robertsau, s'est heurtée dans un premier temps à la culture hiérarchique et en silo de l'administration hospitalière. Malgré ces difficultés, la démarche semble validée par son succès et comme le souligne Stéphane Vincent, le design thinking se diffuse depuis une bonne quinzaine d'années, c'est-à-dire depuis la création du MyLab de l'état danois. C'est la meilleure preuve de sa pertinence, l'intervention de Frédéric Moulin, président du conseil d'administration de Deloitte, mais d'ailleurs, en lumière, une large diffusion de la démarche dans la sphère de l'entreprise privée quelque soit le secteur d'activités. Dans un contexte où l'innovation est clé pour assurer leur pérennité, les entreprises cherchent à innover plus vite, plus efficacement en impliquant l'ensemble de leurs collaborateurs et en s'intéressant au concept d'expérience utilisateurs, autant d'enjeux auxquels l'approche du design thinking apporte une ou des réponses pertinences. Enfin, le design thinking est parfois mobilisé dans les entreprises comme un outils de management car il est vecteur de transversalité, au delà des silos, toujours difficile à dépasser dans les organisations. [MUSIQUE]