[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans ce premier épisode, nous allons poser quelques définisions clés, puis présenter l'apport du design thinking et de ses différentes étapes. Prenons donc tout d'abord le temps de définir ce que signifient les termes innovation publique, innovation sociale et innovation territoriale, en les situant les unes par rapport aux autres. Rappelons en préambule les deux caractéristiques majeures de l'innovation. Un, l'innovation, ce n'est pas qu'une amélioration de quelque chose d'existant ; il doit y avoir une nouveauté. L'innovation peut être incrémentale, on est alors dans le registre de l'inflexion, ou elle peut être de rupture, et on est alors dans le registre du changement. Deuxième caractéristique de l'innovation, l'innovation va au-delà de l'invention. C'est-à-dire que c'est une invention mise en oeuvre, déployée, et qui en quelque sorte a fait ses preuves. Commençons avec l'innovation publique. L'innovation publique désigne un processus, celui d'une administration en mouvement qui promeut l'innovation dans les services publics. L'innovation publique a pour but l'amélioration qualitative et quantitative des politiques publiques par l'utilisation de procédés qui font rupture avec les méthodes précédentes. Elle s'étend de la conception à la mise en oeuvre de ces politiques. Les objectifs de ce mouvement sont divers : l'amélioration de la qualité de service, la compagnie au nom du changement, le développement de l'administration, l'augmentation du nombre d'administrés bénéficiant d'un service. L'innovation publique a donc pour but l'amélioration qualitative et quantitative des politiques publiques, nous l'avons dit, et c'est un mouvement qui est fait d'initiatives concrètes tant pour l'usager que pour l'administration elle-même, porté par les acteurs publics, les services de l'État, les opérateurs, les collectivités, les hôpitaux sur l'ensemble du territoire et dans toutes les administrations. En effet, les politiques publiques pâtissent d'une mauvaise réputation loin d'être injustifiée. Définies et trop souvent imposées d'en haut, les politiques publiques sont parfois en décalage avec les besoins des usagers qui sont considérés comme des utilisateurs, des bénéficiaires passifs. Elles ne sont pas non plus élaborées avec ceux qui se trouvent en première ligne pour les appliquer : les agents des administrations. La sphère publique a donc elle aussi besoin d'innovation. Continuons maintenant avec l'innovation sociale. Il existe plusieurs définitions de l'innovation sociale, et la majorité de celles-ci s'accordent au moins sur un point : l'innovation sociale fait référence à de nouvelles idées qui offrent des réponses à des besoins sociaux mal ou peu satisfaits. L'innovation sociale est portée par différents acteurs, et ces acteurs peuvent être privés, ou publics. Ainsi, les créateurs de La Ruche qui dit Oui !, entreprise sociale permettant de mettre en lien les petits producteurs maraîchers et les particuliers sont porteurs d'innovation sociale au même titre que des citoyens bénévoles qui se réunissent pour créer une Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne dite AMAP, c'est-à-dire un partenariat de proximité entre une ferme et un groupe de consommateurs. Les pouvoirs publics peuvent aussi bien sûr porter des projets d'innovation sociale en lançant des expérimentations avec un regard qui sera pluridisciplinaire. On parle dans ce cas d'innovation publique telle que nous l'avons définie précédemment. Une innovation qui est définie et mise en place par les pouvoirs publics dans le but de répondre à un besoin social mal ou peu satisfait est donc simultanément une innovation sociale de par son objet autant qu'une innovation publique de par l'acteur en charge de cette innovation. Ainsi, par exemple, le Conseil Départemental du Val d'Oise a mis en place en 2014 à destination des adolescents un système innovant de rappel des rendez-vous avec les médecins de la planification familiale. Le constat avait été fait que plus de la moitié des adolescents ne se présentaient pas au rendez-vous avec les médecins de la planification familiale. Ces défections représentaient une double perte : les adolescents ne bénéficiaient pas de l'impact positif du service, par exemple ils étaient moins sensibilisés à la prévention des infections sexuellement transmissibles, et les médecins, deuxième préjudice, ressource rare pour ces structures, gaspillaient du temps. La mise en place d'un rappel par SMS automatique 24 heures avant le rendez-vous a permis de faire chuter de moitié le nombre de rendez-vous non honorés. Après l'innovation publique et l'innovation sociale, penchons-nous maintenant sur l'innovation territoriale. Le rapport sur l'innovation territoriale publié par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique en 2015 donne la définition suivante de l'innovation territoriale. Je cite : l'innovation territoriale peut se définir comme une réponse nouvelle ou transférée dans un contexte nouveau à une problématique et/ou à un besoin identifiés collectivement dans un territoire, en vue d'apporter une amélioration du bien-être et un développement local durable. L'innovation territoriale est donc caractérisée par plusieurs éléments clés qui se combinent. D'abord la prise en compte des spécificités du territoire dans l'élaboration de l'innovation pour construire une réponse adaptée aux besoins locaux. Ensuite, la mobilisation des ressources et des atouts locaux. Cela passe par une capacité à mobiliser les acteurs locaux et notamment les citoyens dans une logique de co-construction et de co-production. Troisième caractéristique, la construction d'un modèle économique durable pour le territoire. L'innovation territoriale c'est donc l'innovation par et pour le territoire. Elle peut concerner l'amélioration ou plutôt la réinvention des services de proximité. On constate alors que l'innovation territoriale peut-être une innovation publique. À cet égard, le projet de la réhabilitation de l'ancienne gare SNCF du RER B de la Plaine Saint-Denis en région parisienne est un bon exemple d'innovation territoriale. À l'origine de ce projet, un constat : la Plaine est un quartier en pleine évolution, où de plus en plus d'entreprises s'installent entraînant l'arrivée massive de salariés souvent qualifiés dans un quartier paupérisé. Cela génère un sentiment d'exclusion des habitants, qui se sentent à la fois envahis et oubliés. La réhabilitation de la gare a donc pour but de créer un lieu convivial et vivant, afin de créer du lien entre des salariés récemment arrivés dans ce quartier en pleine modernisation et des habitants paupérisés, voyant leur quartier changer radicalement sans bénéficier réellement de ces changements. L'innovation territoriale peut également être une innovation sociale en favorisant l'émergence de nouvelles formes de solidarités entre les acteurs d'un même territoire. L'exemple des AMAP déjà cité en illustration de l'innovation sociale, est également une innovation territoriale dans le sens où elle réinvente la relation, elle réinvente le lien entre citoyens et producteurs d'un même territoire. Ainsi, pour clore cette première partie de définitions, tentons de répondre à la question : qu'est-ce que le design thinking? Et pour commencer, qu'est-ce que le design? Dans le langage courant, le mot design est employé pour dire beau, esthétique, chic, sophistiqué, décoratif, à la mode, branché. Le qualificatif évoque le monde physique et pas spontanément quelque chose d'immatériel. On dira ainsi d'un meuble ou d'une carrosserie de voiture qu'ils sont designed. Cette conception du design constitue un double contre-sens. Premier contre-sens, le design n'est pas une pure question de forme, de style, une concession que le monde industriel ferait au monde des arts. L'état d'esprit du design consiste au contraire à dépasser l'opposition entre l'utilitaire et le beau, à penser ensemble le fond et la forme, la fonctionnalité et son esthétique indissociables. Le design ne se trouve pas en bout de chaîne, il est au coeur du processus de création. Second contre-sens : design n'est pas un adjectif mais un nom commun. C'est un concept, une discipline, une démarche transversale qui concerne de multiples domaines. On parle d'ailleurs de design stratégique, de design management, de design numérique, de design social et bien sûr de design de service, objet de ce MOOC, une des déclinaisons les plus récentes et prometteuses de l'esprit design. La pensée design peut servir à concevoir une chaise plus confortable ou une application smartphone plus ergonomique, mais aussi des services publics plus efficaces. Selon Roger Tallon, pionner du design industriel français, le design n'est ni un art ni un mode d'expression, mais une démarche créative méthodique qui peut être généralisée à tous les problèmes de conception. La culture design dans l'acception qui nous intéresse ici a été popularisée par deux hommes : l'ingénieur David Kelley, professeur à l'université de Stanford, et co-concepteur de la première souris d'Apple, et Tim Brown, designer. David Kelley et Tim Brown ont fondé en 1991 l'agence de design IDEO qui fait référence aujourd'hui dans le monde entier sur le sujet. Nous aurons l'occasion de citer largement Tim Brown et IDEO tout au long des quatre épisodes de ce MOOC. Nous savons donc maintenant ce que signifie innovation publique, innovation sociale, innovation territoriale, et nous avons délimité le cadre de la pensée design. Ces trois formes d'innovations seront nécessaires pour une même raison : les États et les pouvoirs publics au sens large sont vus à présent comme ne pouvant répondre à l'ensemble des besoins, parce que de nouveaux défis colossaux apparaissent, parce qu'il faut imaginer de nouvelles formes d'actions, les anciennes recettes montrant leurs limites. [MUSIQUE]