[MUSIQUE] [MUSIQUE] Je m'appelle Yannick Blanc, je suis le président de la Fonda. La Fonda est un laboratoire d'idées au service de monde associatif, qui existe depuis une trentaine d'années, qui organise son activité autour d'une démarche de prospective ; et je suis, également, le préfet du Val d'Oise. Les associations, aujourd'hui, se posent beaucoup la question de l'efficacité de leur action, et comme elles sont confrontées à un environnement économique, et à une baisse des financements publics, elles ont un très fort sentiment de fragilité. Ce dont j'essaie de les convaincre, c'est que elles sont, au contraire, dans un moment de mutation extrêmement rapide, elles ont des capacités d'adaptation, supérieures à bien d'autres institutions, et elles devraient en faire le meilleur usage. Pour s'adapter, pour avoir une stratégie, une association n'a, en réalité, qu'une seule démarche possible, c'est élargir le cercle de ses alliances. Une stratégie, pour une association, ça ne peut pas être la conquête d'un marché, ça ne peut pas être d'éliminer ses concurrents, ça ne peut pas être détruire un adversaire. C'est, nécessairement, d'élargir le cercle de son influence, d'élargir sa capacité d'action, en passant des alliances. La stratégie de l'impact collectif décrit une méthode pour passer des alliances, non pas sur une ambition générale, non pas sur des valeurs, qu'on invoque volontiers dans le monde associatif, mais sur des objectifs qui sont très précisément déterminés. Sur un certain nombre d'enjeux, qui sont aujourd'hui très importants dans la société française, comme par exemple le chômage des jeunes, comme par exemple, la question de la lutte contre l'échec scolaire, et aujourd'hui plus que jamais, tous les enjeux qui sont liés à l'exercice de la citoyenneté. Il faut que les associations se rassemblent et travaillent ensemble, avec les institutions publiques, avec le monde de l'entreprise, pour pouvoir être plus efficaces et marquer des points. Cette façon de faire, je l'appelle, moi, la création de communautés d'action. Qu'est-ce qu'une communauté d'action? C'est un groupe de gens qui se mettent autour d'une table, qui se mettent d'accord sur la situation qu'ils s'agit de traiter, qui définissent ensemble des objectifs, et surtout qui, pour mener l'action, élaborent ensemble un système d'indicateurs simples, compréhensibles par tout le monde, qui permette de mesurer l'efficacité de l'action, la façon dont elle avance. Alors on appelle cela la stratégie de l'impact collectif, parce que l'équipe de Stanford, qui a inventé ce concept, l'a nommé ainsi, mais le mot communauté d'action correspond bien à l'idée qu'il faut à la fois être dans un cercle, dans un territoire où les gens ont une relation de confiance, se connaissent, sont capables assez spontanément de travailler ensemble, et cette façon de travailler ensemble doit être structurée autour de l'action et de ses objectifs. Pour illustrer mon propos, je voudrais prendre l'exemple des dispositifs qui existent aujourd'hui, pour aider les jeunes à entrer sur le marché du travail. Il y a des dizaines et des dizaines de dispositifs. Ceux de l'État, ceux qui sont mis en place par le monde de l'Éducation Nationale et de la formation, il y a des associations qui luttent contre l'échec scolaire, d'autres qui aident à la création d'entreprises. Si on se met à la place d'un jeune qui est en situation de marginalisation, qui cherche à rentrer dans l'âge adulte et dans l'activité, il est devant une sorte de labyrinthe de dispositifs auxquels il ne comprend rien. Au plus on cherche à l'aider, au plus on le perd dans la multiplicité des dispositifs. Que serait une communauté d'action, sur un enjeu comme celui-là? Elle consisterait à ce que l'ensemble de ces acteurs élabore une stratégie commune, que chacun sache où est sa place, quel est son rôle dans cette stratégie commune, et qu'on se donne des indicateurs de réussite, qui sont d'ailleurs assez simples, qui sont la baisse du décrochage et la baisse du taux de chômage chez les jeunes. On peut le faire beaucoup plus efficacement si l'on est sur un territoire où les acteurs sont capables de travailler ensemble et de se faire confiance, que si on est à l'échelle nationale et qu'on essaye, simplement, d'harmoniser des dispositifs administratifs. L'impact collectif ça n'est pas seulement de l'action locale, ça n'est pas seulement de la décentralisation des centres de décision. C'est la capacité pour les acteurs, quel que soit leur statut, quelle que soit l'organisation à laquelle ils appartiennent, d'élaborer ensemble une stratégie. Cela suppose que les organisations ou les institutions auxquelles ils appartiennent, leur reconnaissent la capacité d'élaborer une stratégie. Ce n'est pas seulement de la bonne volonté locale, ce n'est pas seulement de la capacité à se parler et à se coordonner. Cela veut dire que, par exemple, les réseaux associatifs, mais encore plus, les institutions publiques, Pôle emploi, la Directe, le ministère de l'Éducation nationale, reconnaissent à leurs agents sur le terrain, localement, la capacité d'avoir une attitude stratégique, cela me paraît vraiment essentiel. La stratégie d'impact collectif permet, à mes yeux, c'est cela qui la rend aujourd'hui si attractive, d'utiliser, beaucoup mieux que nous le faisons jusqu'à maintenant, les moyens que nous avons déjà. Ces moyens, on s'en aperçoit, sont d'une relativement faible efficacité parce qu'ils ne sont pas suffisamment coordonnés, mis en cohérence sur le terrain. Mais la stratégie d'impact collectif, c'est aussi, par excellence, le type d'expérience qui pourrait motiver des investisseurs privés à expérimenter le titre à impact social. Le titre à impact social n'existe pas encore en France. Il y a beaucoup d'acteurs financiers qui souhaitent se servir de cet outil, qui permet de combiner une capacité d'investissement privé avec un financement public, axé sur les résultats, et puisque la stratégie d'impact collectif consiste à se mobiliser ensemble en ayant défini des objectifs de résultat, on peut trouver là un réel terrain d'entente entre la logique du financement et la logique de l'action. La stratégie de l'impact collectif, la création de communautés d'action, est à mes yeux, l'axe sur lequel on doit penser l'évolution des organisations publiques. Les organisations publiques comme d'ailleurs, les entreprises, ne peuvent pas fonctionner en silos. Elles doivent trouver ce qu'on appelle dans un langage aujourd'hui courant, leur écosystème. L'écosystème de l'action publique, c'est le développement méthodique, organisé, du partenariat avec le monde économique et avec les organisations de la société civile. Ce partenariat tout le monde en parle, tout le monde y aspire, chacun sent bien, que c'est de ce côté-là que se trouve l'efficacité, et la méthode de l'impact collectif, c'est ce qui permet de donner à cette aspiration, au partenariat, une base méthodologique solide. Les associations, aujourd'hui, une des causes essentielles de leurs interrogations et de leur inquiétude, c'est la reconfiguration de l'organisation de l'État, de l'administration et des collectivités locales. C'est, évidemment, la baisse de la dépense publique. Pour répondre à cette inquiétude, il faut aussi que la puissance publique ne se contente pas de maîtriser ses dépenses. Il faut qu'elle trouve de nouvelles voies dans l'efficacité de son action et donc, qu'elle fasse du partenariat, qu'elle pratique déjà depuis très longtemps, qu'elle en fasse véritablement le fondement de son action sur le terrain. Pour que cette aspiration au partenariat prenne une tournure plus concrète, et plus efficace, il faut que les acteurs publics sortent de l'espèce de schizophrénie dans laquelle ils sont aujourd'hui. C'est-à-dire que les organisations publiques ont des critères d'organisation, des critères d'efficacité de performance, qui sont définis de manière très verticale. Par programme, par type de dépense, par dispositif. En même temps, les agents publics, qui sont chargés de mettre en oeuvre ces politiques publiques sur le terrain, ils sont sans arrêt à la recherche de partenariat. Il n'y a pas un seul dispositif d'action, aujourd'hui, qui n'ait une dimension de partenariat. Il faut donc intégrer la construction des partenariats à la mesure de la performance publique. Il faut donc que les objectifs et les indicateurs que se donne la communauté d'action sur le terrain, soient reconnus comme valables par les décideurs, la hiérarchie des agents publics qui participent à ces communautés d'action. [AUDIO_VIDE]