[MUSIQUE] Comme vous le savez, on peut, pour innover, améliorer l'existant et le développer, ou on peut créer de nouveaux outils. Les innovations les plus spectaculaires reposent et reposeront sur l'essor du numérique et sur l'évolution des comportements dans une société où la demande d'individualisation est chaque jour croissante. Nous garderons, bien sûr, constamment à l'esprit, cette idée qui n'est pas neuve et que je reprends à mon compte, l'avantage avec la nouveauté, c'est qu'elle ne reste jamais neuve, il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. Mobiliser l'épargne des particuliers a toujours été un enjeu important pour ensuite développer des investissements. Les entreprises sociales, championnes des structures et des financements hybrides, ne sont pas en reste, lorsqu'il s'agit d'innover pour mieux mobiliser cette épargne, que l'on qualifiera d'épargne solidaire, comme source complémentaire de leurs financements. Tout d'abord et pour mieux s'y retrouver, il s'agit de bien distinguer 2 choses trop souvent confondues : l'épargne de partage et l'épargne solidaire. L'épargne de partage aussi appelée produit de partage, consiste pour un épargnant à faire don de toute une partie des revenus de son placement à une œuvre d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, culturel ou environnemental. Il n'y a donc pas d'investissement, donc a fortiori pas d'investissement solidaire. L'épargne de partage est apparu en France, dès 1983, avec la création par le Crédit Coopératif, d'un fond commun de placement Faim et Développement. Depuis sa création, c'est 23 millions d'euros qui ont été donnés, ce qui en fait, encore aujourd'hui, le plus important fond de partage en France. L'épargne solidaire maintenant. On va parler d'investissement solidaire ou de placement solidaire lorsque l'épargne est investit pour tout ou partie, 5 %, 10 %, dans des projets dits d'utilité sociale, comme le microcrédit, l'insertion ou d'autres projets solidaires. Une trentaine de produits d'investissement solidaire sont aujourd'hui disponibles, pesant près de 77 % dans l'épargne solidaire, selon le baromètre Finansol 2015 de la finance solidaire. En 2014, l'épargne solidaire est constituée de l'épargne salariale pour 4,14 milliards d'euros, de l'épargne bancaire pour 2,23 milliards d'euros, et de l'épargne directement investit dans le capital d'entreprises solidaires pour 470 millions d'euros. Voyons maintenant ce que recouvre l'amélioration de l'existant. Il existe 3 outils principaux à ce jour pour investir avec un impact social. D'abord, les titres participatifs. La loi du 3 janvier 1983, sur le développement des investissements et la protection de l'épargne, crée les titres participatifs réservés aux coopératives, sociétés anonymes ou sociétés à responsabilité limitée, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance. Contrairement aux parts sociales détenues par les associés, les salariés pour les Scop, les exploitants agricoles pour les coopératives agricoles, la rémunération des titres participatifs n'est pas limitée par la loi. Elle se compose pour 60 % d'une partie fixe et pour 40 % d'une partie variable, liée aux résultats de l'entreprise, il n'y a pas de droit de vote associé à ces titres. Le pôle FINANCE INNOVATION, dans le livre blanc pour une finance au service de l'économie sociale et solidaire, publié en juillet 2013, suggéré 2 pistes d'amélioration. Un, ajouter comme pour les titres associatifs et afin d'assurer une garantie de liquidité supplémentaire aux investisseurs, une mention, dans le code monétaire et financier, CMF, permettant d'indiquer ou non dans le contrat des missions que le souscripteur pourra exiger le remboursement des titres, qu'il a souscrit, dès que l'émetteur aura constitué des capitaux propres suffisants, c'est-à-dire les capitaux propres avant émission, majorés du montant de l'émission. Deuxième piste, promouvoir l'utilisation de titres participatifs auprès des salariés dans le cadre de l'épargne salariale des entreprises mutualistes et coopératives. Ensuite, les titres associatifs. La loi du 11 juillet 85 a créé le titre associatif dont je parlais, il y a un instant. C'était un moyen nouveau de financer les associations mais qui n'a été mis en œuvre que par un très petit nombre d'entre elles. Ainsi, selon une étude récente du CNRS, les produits financiers ne représentaient que 1 % de la structure du financement des associations. La loi du 31 juillet 2014, sur l'ESS, a remis cet outil financier au gout du jour, en tentant de le rendre plus attractif pour les investisseurs et en augmentant notamment sa rentabilité potentielle pour faciliter le développement des fonds propres des associations. Ainsi, leur taux de rémunération passe de TMO + 3,5 % à TMO + 5,5 %. Les titres associatifs ne sont remboursables qu'à l'issu d'un délai minimum de 7 ans. Ceci constitue une avancée intéressante mais pas forcément suffisante. Mais la condition d'utilisation de ces titres reste la capacité de l'association à dégager, sur une longue période, un excédent permettant cette rémunération. En pratique, il s'agit donc d'un instrument destiné à répondre au besoin de fonds propres des moyennes ou grosses associations. Pour accroitre encore l'attractivité de ces titres associatifs, le pôle de compétitivité FINANCE INNOVATION, toujours dans son livre blanc, recommandait de classer les titres associatifs en titres de capital et de les ajouter aux titres éligibles au quota des FCPR, afin d'inciter à leur utilisation. Pourquoi? Et bien, parce que les Fonds Communs de Placement à Risques, FCPR, sont des véhicules utilisés dans l'activité de capital investissement, le venture capital. Les FCPR sont des OPCVM, Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières, qui se caractérisent par un actif constitué en majorité de titres participatifs, de titres de capital, ou donnant accès au capital, émis par des sociétés qui ne sont pas admises aux négociations, sur un marché d'instruments financiers, le private equity. Ces OPCVM s'inscrivent dans une logique d'accompagnement et de financement du développement des entreprises, encouragée par les pouvoirs publics. Alors, pourquoi pas les entreprises sous forme associative. Dernière piste, le livre blanc préconisait une incitation fiscale. Contrairement aux titres participatifs, les titres associatifs, souscrits par des particuliers, ne sont pas éligibles aux exonérations fiscales prévues par les lois de 1994 et 2007, respectivement connues en France comme loi Madelin et loi TEPA, qui sont réservées à ce jour aux PME soumises à l'impôt sur les sociétés. Or, cette exonération a favorisé grandement la mobilisation de l'épargne des particuliers vers les PME. Enfin, le troisième outil existant est l'épargne salariale. La loi de février 2001 a instauré la notion de fonds communs de placement solidaire, les fonds 90/10, dans le volet retraite de l'épargne solidaire, en créant des PERCO, Plans d'Épargne Retraite Collectif. C'est une originalité et une réussite française. Ces fonds sont investis pour 90 % en ISR, Investissement Socialement Responsable, et pour 10 % dans des entreprises non côtées, à forte utilité sociale. La refonte de la législation sur l'épargne salariale, en 2008, dans le cadre de la LME, loi de modernisation de l'économie, et dans la structure 90/10 au plan d'épargne d'entreprise, PEE, cette loi permet de toucher potentiellement 12 millions de salariés. En outre, la crise de 2008 a fragilisé la confiance de particuliers dans la finance traditionnelle. Ces 2 facteurs contribuent au succès de ces fonds aujourd'hui. Les principaux gestionnaires de fonds solidaires sont Natixis Asset Management, Amundi, Ecofi et Mandarine Gestion. Chaque fond a sa propre méthode de sélection et investit en moyenne 30 000 euros pour un premier ticket, montant qui peut augmenter par la suite. En plus, de l'agrément Entreprise solidaire, ces fonds recherchent majoritairement des structures en développement, ayant un impact social quantifiable. Vous pouvez visualiser, sur le schéma qui s'affiche à l'écran, la diversité des acteurs en présence sur ce marché. Le dernier facteur de développement de l'investissement solidaire via l'épargne salariale, c'est la loi TEPA, Travail, Emploi et Pouvoir d'Achat, qui instaure des incitations fiscales au bénéfice des particuliers désirant souscrire au capital de petites et moyennes entreprises, les PME. Aujourd'hui, un particulier peut bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu de 18 % et d'une réduction d'ISF de 50 %. Dans certaines limites et sous certaines conditions de conformité de la PME à la définition posée par la directive européenne. Le livre blanc préconise une fiscalité plus incitative pour cette épargne solidaire, qui ne bénéfice d'aucun avantage fiscal par rapport à l'épargne salariale non solidaire. Ainsi, par exemple, une réduction du forfait social qui est passé en juillet 2012 de 8 % à 20 %, au bénéfice des seuls fonds solidaires et pour les placements solidaires effectués dans le cadre du PERCO, serait une bonne piste. Après l'amélioration des outils existants, nous allons nous intéresser maintenant aux nouveaux outils, et plus particulièrement, à une innovation parmi les plus marquantes de ces dernières années en France, mais aussi en Angleterre, le crowdfunding ou financement participatif. C'est un nouveau mode de financement de projets par le public. Il permet de récolter des fonds, généralement de faibles montants, auprès d'un large public, en vue de financer un projet artistique, musique, édition, film ou entrepreneurial. Les opérations de crowdfunding peuvent être des soutiens d'initiative de proximité ou des projets défendant certaines valeurs. Pour la plateforme KissKissBankBank, qui est un des acteurs phares en France, le plus célèbre exemple de crowdfunding est la dernière campagne de Barack Obama, aux États-Unis, financée par le grand public à hauteur de 150 millions de dollars. Que serait-il advenu si Obama avait, comme son adversaire, manqué de trésorerie en plein milieu de sa campagne électorale. L'histoire se serait peut-être écrite différemment. Évènement unique au monde, ce ne sont pas que de riches industriels, qui ont façonné la victoire de leur candidat, mais des centaines de milliers de gens qui ont, en moyenne, donné 80 dollars sur internet, pour porter le premier Afro-Américain à la tête des États-Unis. Le crowdfunding ou le financement participatif est donc un levier qui permet au grand public de soutenir financièrement et collectivement une idée ou un projet qui le séduit. Le crowdfunding fonctionne le plus souvent via internet et se présente sous différentes formes : des dons avec ou sans contreparties, avec des plateformes comme APOYOGO, KissKissBankBank, J'adopte un projet. projets ou à résultats. Deux, des prêts avec ou sans intérêt, avec des plateformes comme Babylone, hellomerci.com, ou Creditfunding. Trois, des souscriptions de titres, avec des plateformes comme 1001pact, Arizuka, ou Lumo. Il convient donc de préciser, ainsi que l'explique très clairement la plateforme Ulule, que le principe n'est pas nouveau. Il est appliqué depuis des dizaines d'années, par les organismes humanitaires par exemple, mais la méthode a radicalement changé, avec le développement du numérique. Le mouvement s'est accéléré, et s'est élargi aux particuliers, avec l'émergence des blogs et des réseaux sociaux, ainsi que l'amélioration des services de microfinancements, type Paypal. Tout à coup, un porteur de projet pouvait créer un blog pour communiquer son idée, faire passer le mot à son réseau en quelques clics, et ouvrir un compte virtuel pour récupérer les microfinancements. Le modèle permet de s'affranchir, en partie, des procédures de subventions et de financements extérieurs, en divisant le risque par le nombre de soutiens, jusqu'à en faire une quantité négligeable. Ulule est la première plateforme de financements participatifs en Europe, et s'est spécialisée sur des projets culturels. Ce type de service de microfinancements, crowdfunding en Anglais, n'est absolument pas inédit, loin de là, citons et rendons hommage à Fundable (r.i.p.) de John Pratt, à Kickstarter aux États-Unis, à IndieGogo et à bien d'autres, qui explorent ce type de dynamique de financement, chacun à leur façon. Des services complémentaires, souvent différents dans leur positionnement, leur fonctionnement, et/ou leurs tarifs, mais qui offrent de nombreuses possibilités aux porteurs de projets ont été créés. Au-delà des projets artistiques, le crowdfunding peut également désigner une forme de mécénat dans laquelle le financement soutient un service. C'est le cas de Wikipedia, qui est absorbe ses coûts grâce à ses donateurs, depuis 2003. Le crowdfunding peut aussi être le soutien à une cause. Tela Botanica, le réseau des botanistes francophones, a été fondé en 1999 grâce aux microfinancements des botanistes français, pour soutenir le renouveau de l'enseignement botanique. Cette nouvelle décennie va, sans aucun doute, voir se multiplier les initiatives de crowdfunding. À l'ère où la gratuité devient une norme, dans une société qui multiplie les projets artistiques, sociaux et humanitaires, les micro-financements semblent trouver une place de choix, une façon positive de soutenir très directement les bonnes idées sans la lourdeur des montants et des procédures de financements, épuisantes pour les porteurs de projets et qui les détourne de leur but premier : donner vie à leurs idées. En France, afin de favoriser le développement du financement participatif, dans un environnement sécurisant pour les contributeurs, donateurs, prêteurs ou investisseurs, les pouvoirs publics ont adapté la réglementation, par l'ordonnance du 30 mai 2014. Le nouveau dispositif est entré en vigueur le 1er octobre 2014. Un label a aussi été créé pour identifier les plates-formes qui respectent les nouvelles règles introduites par cette ordonnance du 30 mai 2014, et son décret d'application, de septembre 2014. Selon la nature du financement proposé, les plates-formes de financement participatif doivent ou non justifier d'un statut réglementé pour l'exercice de leur activité : une plate-forme de financement participatif par souscription de titres financiers émis par une société non cotée doit être immatriculée auprès du registre de l'ORIAS, le registre unique des intermédiaires en banque, assurance et finance, en tant que conseiller en investissement participatif. Elle peut également opter pour le statut de prestataire en services d'investissement (PSI) fournissant le service de conseil et être, dans ce cas, agréée par l'ACPR. Ces plates-formes sont régulées par l'AMF seule pour les CIP et conjointement par l'AMF et l'ACPR pour les PSI. Si le site Internet propose de financer le projet sous la forme d'un prêt avec ou sans intérêt, la plate-forme doit être immatriculée auprès du registre de l'ORIAS en tant qu'intermédiaire en financement participatif (IFP). L'ACPR peut contrôler à tout moment un intermédiaire en financement participatif. Si le site internet ne propose que des financements sous forme de dons, la plate-forme n'a pas l'obligation de s'immatriculer auprès de l'ORIAS. Toutefois, elle peut choisir de s'immatriculer en tant qu'intermédiaire en financement participatif. Dans ce cas, elle doit respecter toutes les règles qui s'imposent aux intermédiaires en financement participatif. Attention : Si le site Internet encaisse des fonds pour le compte de tiers dans le cadre des opérations de financement participatif, la plate-forme doit être agréée a minima en qualité d'établissement de paiement (EP) par l'ACPR, ou être enregistrée en tant qu'agent de prestataire de services de paiement. Pour en savoir plus, je vous invite à vous reporter au communiqué de presse du 30 septembre 2014, par lequel L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'Autorité des marchés financiers (AMF), dont je parlais il y a un instant, précisent le cadre réglementaire du financement participatif. Vous pouvez aussi vous reporter au texte de la position de l'APCR, relatif au placement non garanti et au financement participatif. Les professionnels se sont regroupés dans une association financement participatif France, FPF. L'association professionnelle des acteurs du crowdfunding, et constatent un montant collecté qui ne cesse de croître. Ainsi, d'après le baromètre du crowdfunding, réalisé par Compinnov pour FPF, la collecte en financement participatif a plus que doublé au 1er semestre 2015, par rapport à la même période l'année dernière : 133,2 millions d'euros de fonds collectés, contre 66,4 millions au 1er semestre 2014. En cumul, ce sont près de 400 millions d'euros qui ont été collectés grâce au crowdfunding depuis le lancement des plateformes. C'est l'évolution de la collecte en prêt qui est la plus importante avec un taux de croissance de 127 %, favorisée par la mise en place du cadre réglementaire favorable que je mentionnais il y a un instant. Plus de contributeurs mobilisés pour plus de projets financés. Fin 2014, le Baromètre recensait 1,3 million de financeurs. Six mois plus tard, ce sont 1,75 million de financeurs qui ont déjà soutenu un projet sur une plateforme de crowdfunding. Ils ont ainsi permis le financement de 9 328 projets au premier semestre. Parmi ces projets, les plateformes de don avec ou sans récompenses concentrent une très forte proportion de projets culturels au sens large ; les plateformes de prêt accueillent majoritairement des projets de commerce et de services de proximité ; quant aux plateformes d'investissement, les secteurs sont très diversifiés, mais l'immobilier prend une place de plus en plus importante. Pour conclure, voyons quelques propositions pour aller plus loin. Afin de soutenir cette dynamique, l'association FPF publie un plaidoyer pour favoriser le développement du financement participatif, à travers 15 propositions pour les financements en don, en prêt et en investissement, plaidoyer que vous pourrez retrouver sur le site de l'association. Alors, pour le crowdfunfing sous forme de don : il y a, faciliter l'accès au financement participatif pour les collectivités territoriales, et clarifier la loi sur la simplification du régime des associations et fondations. Pour le financement participatif sous forme de prêt, il s'agit de : Créer une fiscalité adaptée à la prise de risque des prêteurs particuliers, de permettre le financement de besoins de trésorerie pour les entreprises, d'abroger le seuil de prêt par projet dans le cadre des IFP, d'intégrer l'intermédiation de bons de caisse dans le cadre existant du crowdfunding sous forme de prêt rémunéré, de simplifier les obligations déclaratives des plateformes, d'allonger les durées possibles des prêts. Pour le crowdfunding sous forme d'investissement, enfin, il s'agit d'élargir le type de titres financiers accessibles au crowdfunding en capital, de faciliter la pré-souscription, de numériser les registres des titres financiers, de réintroduire un principe de proportionnalité pour l'offre au public de titres financiers non complexes sur les plateformes de financement participatif autorisées par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Il s'agit aussi d'ouvrir la possibilité de communiquer sur les projets, de relever le seuil de 1 million d'euros par levée de fonds, de favoriser la fiscalité des investisseurs en crowdfunding sous forme de titres. Comme vous le voyez, le chantier est considérable, dans une univers où les forces publiques devront trouver un équilibre entre la nécessité de protéger les personnes qui s'engageront pour financer, tout en laissant une liberté suffiante pour ne pas tuer la dynamique.