[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans ce module, nous avons donc mis le cap au Sud. Quels sont les projets les plus remarquables en matière de développement de l'impact investing dans le contexte des pays du Sud, et plus particulièrement sur le continent africain? Quelles sont les dynamiques les plus fortes qui sont à l'œuvre aujourd'hui pour le financement des projets de développement dans les pays du Sud, notamment en Afrique? Plus largement, quelles sont les perspectives d'avenir de l'impact investing au Sud? Quelles sont les questions auxquelles je vais vous proposer de répondre? Partiellement, bien sûr, mais de façon très concrète. Première piste de réponse. Stimuler les investissements privés dans le cadre de financements mixtes, blended finance, en anglais. Le financement mixte est une technique visant à attirer les investisseurs sur des projets à forte valeur sociale, qui n'auraient autrement pas pu voir le jour. Le fonctionnement de l'outil est le suivant. Il s'agit pour les États d'apporter des subventions publiques, via les agences d'aide publique par exemple. Sur des projets de développement essentiel, mais considérés comme trop risqués ou trop peu bancables, par les investisseurs traditionnels. En apportant ces subventions en compléments d'investissements publics et, ou privés, en dettes ou en fonds propres, les États donateurs atténuent le profil de risques des investissements, faisant ainsi levier sur l'action d'investisseurs privés. Ces subventions peuvent prendre des formes multiples et variées. Mais les plus communes sont les trois suivantes. La participation directe au financement du projet via de la dette ou de l'equity à des taux inférieurs au marché, cette participation attire des investisseurs en diminuant le coût global de l'investissement, et en augmentant le rendement escompté. Deuxième façon, une assistance technique et une étude de faisabilité. La subvention vient financer une étude pour prouver la viabilité des projets, ou financer l'intervention de techniciens sur place, pour aider à former les populations, apporter une expertise sur un domaine par exemple. Cette assistance permet souvent de combler le fossé, l'écart entre des investisseurs en recherche d'opportunités, mais qui ne trouvent pas de projets correspondant à leur test d'investissement, et des besoins terrains qui sont nombreux, et non satisfaits. Enfin, troisième forme, l'atténuation des risques liés à l'investissement. Par exemple, le risque de crédit, le risque politique, le risque systémique, afin de stimuler la confiance des investisseurs et encourager leur participation. Cette atténuation des risques peut prendre la forme de garanties sur investissements, ou de facilités d'échanges de devises. La deuxième piste est l'utilisation de façon innovante des outils traditionnels. On notera que cette approche constitue en soit une innovation sociale, puisque l'innovation sociale réside aussi dans la manière de faire. L'objectif reste le même mais la façon de faire permet d'obtenir un résultat différent. C'est un peu la même idée que le financement participatif que je vous ai présenté dans le premier module de ce MOOC. L'appel à la générosité publique existe depuis des décennies, et il est pratiqué par les ONG. La mobilisation des techniques digitales permet de donner une ampleur toute autre à l'activité, et ouvre des champs nouveaux d'actions. Dans un autre ordre d'idées, BlaBlaCar, le porte-drapeau du covoiturage en France, a organisé, structuré, et professionnalisé à grande échelle, une pratique très ancienne. Partager à plusieurs une voiture pour se rendre d'un point à un autre, avec d'autres personnes. Hier, des amis. Aujourd'hui, des inconnus amenés par la plateforme, qui met en lien et qui garantit la qualité du service. Cela a été possible grâce au développement du numérique, et parce que les attentes de la société ont évolué, face à l'automobile, face à l'environnement, et face à la propriété individuelle. Le cas d'école pour l'impact investing, c'est le transfert de fonds, ou remittance, avec la création de diaspora bonds. Le transfert de fonds des migrants constitue une source importante de revenus dans de nombreux pays récipiendaires. Particulièrement dans les pays les moins développés d'Afrique. Selon un rapport de Banque africaine de développement, ces flux envoyés par les différentes diasporas vers leurs pays d'origine représentent entre 9 % et 24 % du PIB des pays d'Afrique étudiés, soit entre 80 % et 750 % de l'aide publique au développement, dont ils sont bénéficiaires. Bien qu'essentiels, ces transferts connaissent des limites. Non coordonnés, mal estimés, et court-termistes, souffrant d'un fort taux de déperdition, 9 %, ils ne sont pas porteurs d'un développement endogène. De plus, ils sont officieux, informels, et ne rentrent pas dans la balance des paiements des pays en développement récipiendaires, qui ont parfois du mal de ce fait à vendre de la dette publique sur les marchés internationaux, par manque de solvabilité. L'idée de mettre à profit ces transferts des migrants, pour soutenir de façon plus efficace le développement des pays récipiendaires n'est pas nouvelle. Israël d'abord, puis l'Inde ont introduit respectivement dans les années 50 et 80, des diaspora bonds, c'est-à-dire de la dette publique à taux préférentiel, émis par le pays d'origine à destination de ces migrants répartis dans le monde. L'avantage de cette initiative est multiple. Ces titres de dettes vendus aux expatriés sont moins volatils à travers les crises. Les acheteurs sont prêts à acheter à des taux plus bas, et sur des durées plus longues, par patriotisme. Le fonctionnement de ces bonds, obligations, est classique, et ceux-ci peuvent être utilisés pour financer des projets de long terme dans l'éducation, dans l'infrastructure, ou servir de collatéral pour lever des fonds supplémentaires. Il faut néanmoins nuancer ce constat. Le Kenya, l'Éthiopie s'y sont essayés, avec moins de succès, rencontrant des difficultés à convaincre les populations qui avaient fui des conditions de vie hostiles, de faire confiance au gouvernement local. La piste envisagée aujourd'hui est le pooling, c'est-à-dire un regroupement de pays sous l'égide de la Banque africaine de développement, African Development Bank, pour émettre des titres. Le potentiel est énorme, puisque les 140 millions de migrants africains dans le monde envoient jusqu'à 53 milliards de dollars chaque année dans leur pays. La troisième piste est de mieux faire correspondre l'offre et la demande. Malgré le développement important de l'investissement à impact depuis une dizaine d'années, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer le risque de goulot, bottleneck effect, sur ce marché. En effet, on assiste à une décorrélation entre les besoins des entrepreneurs et les deals sur lesquels les investisseurs sont les plus prompts à s'engager. Tant sur les montants que sur les niveaux de développements des entreprises. Growth stage en anglais. Je veux juste préciser à cet instant que j'utilise le terme français et le terme anglais de façon conjointe, non pas pour faire savant ou par snobisme, mais parce que l'essentiel de la littérature sur le sujet est en anglais. En effet, beaucoup des pratiques auxquelles nous faisons référence dans ce module, et même dans ce MOOC, sont nées ou se sont développées en Angleterre et aux États-Unis, ainsi que j'ai eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises. Revenons à notre sujet pour constater que certains projets phares attirent ainsi la majorité des investissements, tandis que de nombreux projets innovants, en démarrage ou en amorçage, early stage, restent sans accès aux financements. Cet écart est présent dans les pays développés. Ainsi en France, les fonds d'épargne salariale 90/10, un des rares outils qui est né en France et pas dans l'univers anglo-saxon, placent-ils la plupart de leurs actifs dans quelques gros projets bien connus et facilement marketable auprès des épargnants. Comme S.I.E.L BLEU ou Emmaüs. Mais il est également frappant dans les pays en développement. Un des défis de l'impact investing dans les années à venir, afin de fluidifier les capitaux et de faciliter les investissements sur des projets porteurs de développement sera de combler le fossé entre les investisseurs à impacts, et les entrepreneurs du changement. Cela nécessite de fournir aux investisseurs des outils flexibles, peu chers, et qui puissent être déployés à grande échelle pour mieux connaître le terrain, et faciliter le screening, c'est-à-dire l'examen et la sélection des projets. Tout ceci pour fluidifier le pipe de l'investissement. Comme pour les pistes précédentes, les modèles de peer-to-peer, et les innovations technologiques, seront à cet égard des vecteurs privilégiés de changements, et constituent un espoir certain pour les porteurs de projets, mais aussi pour le développement des pays pauvres. Voici deux illustrations. D'abord Lendico, marché en ligne de crédit pour les particuliers en peer-to-peer, qui a ouvert un service en Afrique du Sud en 2014. Ensuite First Access Incorporated, c'est une société américaine, qui cherche à combler le fossé entre financeurs et entrepreneurs, dans les pays en développement, via un modèle innovant reposant sur l'analyse des historiques de paiements, grâce aux téléphones mobiles. Le service offre un rating de crédit instantané, en s'appuyant sur un ensemble de données disponibles. Grâce donc aux téléphones mobiles des particuliers. La géographie, le paiement du forfait, le nombre de relations, l'âge, en sont des exemples. Fondée par des vétérans de la microfinance, First Access est un moyen innovant de fournir aux investisseurs potentiels des informations financières immédiates, et de faire le lien avec les besoins terrains afin de permettre un plus large déploiement du capital, sur le segment des très petites entreprises, acteurs essentiels du développement des pays d'Afrique et du Sud en général. Quatrième et dernière piste. La réforme de la fiscalité internationale, régionale, et nationale. Commençons par la fiscalité internationale. A la suite de la crise financière de 2008, les dirigeants du G20 se sont accordés sur la nécessité de réformer la fiscalité internationale. La lutte contre le secret bancaire, et la lutte contre l'évasion fiscale sont en bonne place dans le plan d'action de l'OCDE, concernant la lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, BEPS. Au-delà des comportements des individus fortunés, qui ont fait couler beaucoup d'encre dans la presse européenne, ce sont avant tout les grandes multinationales, adeptes de l'optimisation fiscale qui sont dans le viseur. En effet, profitant des failles d'un système fiscal international, peu efficient et dépassé, une pléthore de traités fiscaux bilatéraux, restés quasiment inchangés depuis 50 ans, et qui n'ont pas pris en compte les innovations fiscales rendues possibles par la technologie, de nombreux groupes internationaux transfèrent leurs bénéfices à travers leurs filiales, et réalisent divers montages fiscaux pour limiter leurs contributions à l'impôt dans les pays dans lesquels elles opèrent. Le manque à gagner fiscal annuel lié à ces schémas d'évasion fiscale dans les pays émergents est estimé à plus de 100 milliards de dollars, par le Rapport sur les évasions fiscales, publié par le Global Financial Integrity en 2010. Or, l'impôt est la première source de revenus publics. Ces revenus fiscaux perdus pour de nombreux pays en développement pourraient être affectés par les gouvernements au développement national et local. Éducation, infrastructures, par exemple. Et on réduirait ainsi la dépendance à l'aide au développement de leurs pays, et permettrait une meilleure équité de l'imposition. En matière de fiscalité régionale, une meilleure coopération pour développer une approche concertée sur la problématique fiscale serait souhaitable. Par exemple, l'Union Européenne est une des régions du monde où la coordination fiscale est la plus avancée, avec un impôt sur les sociétés, encadré en termes d'assiette et de taux. Ainsi, en Europe, le traité de Lisbonne pose le principe de neutralité fiscale dans les échanges intracommunautaires, avec harmonisation des taxes indirectes, comme la TVA. Enfin, pour ce qui concerne les fiscalités nationales, dans de nombreux pays en développement, il ne s'agit pas seulement de savoir combien percevoir par les impôts. L'évasion fiscale des multinationales que je mentionnais il y a un instant n'est qu'un aspect de la grande problématique fiscale de nombreux pays émergents, pour lesquels la question principale reste celle du comment percevoir. Et comment utiliser au mieux les impôts, pour permettre un développement juste et durable, ainsi qu'une réduction des inégalités.