[MUSIQUE] [MUSIQUE] Les outils pour développer l'impact investing en France sont finalement assez nombreux, comme nous l'avons vu dans les modules précédents. Le titre associatif ou le titre participatif existe depuis le début des années 80. France Active développe ses activités de financement et de garanties d'emprunt depuis le milieu des années 80. Par ailleurs, le réseau bancaire fortement décentralisé permet une bonne couverture territoriale et régionale des besoins en prêts des entreprises sociales et solidaire. Des acteurs comme le Crédit coopératif ou la Caisse d'épargne, suivis depuis quelques années par la Banque postale et aujourd'hui par BNP Paribas, sont spécialisés dans ce type de prêt. Ainsi, en ce qui concerne le crédit, la France est particulièrement dotée, et ce de longue date. Une autre force de la France dans le domaine est l'épargne solidaire. Avec les fonds 90/10 créés en 2001 et puis développés grâce à loi de 2008, l'épargne permet un financement important de ces entreprises. Les titres à impact social commencent à se développer sous l'impulsion notamment du Comptoir de l'Innovation, mais aussi des acteurs historiques du financement de l'économie sociale et solidaire comme le Crédit coopératif ou France Active, et le financement participatif connaît des taux de croissance annuels exponentiels, 127 % de croissance entre 2013 et 2014. Les manques de l'écosystème français se situent donc ailleurs. Ils touchent principalement à quatre registres. Le capital investissement, notamment sur les phases de capital risque, le capacity building, l'articulation entre l'offre et la demande et la mesure du résultat. Commençons par le capital investissement. Les entreprises de l'économie sociale et solidaire ont encore du mal à trouver les fonds propres nécessaires à leur amorçage et à leur essor. Comme toutes les entreprises, les entreprises sociales et solidaires ont besoin d'investir dans le management, la RED, bref, les ressources qui ne sont pas dans leur coeur de projet, mais qui sont pourtant cruciales pour le succès. Les prêts, malgré d'importantes innovations, restent souvent liés à un projet spécifique. Il est donc difficile pour les entreprises d'investir dans ces à côtés qui sont cependant, encore une fois, cruciaux pour la vie de l'entreprise. Les besoins en France se font particulièrement sentir sur la phase capital risque ou amorçage. C'est, en effet, la phase la plus risquée. Il faut donc qu'un fonds soit suffisamment grand, suffisamment développé, et puis s'investir sur suffisamment de projets pour réduire le risque. En effet, chaque projet, il y a un risque très important, seul le nombre de projets permet de le répartir et donc de rendre ce risque soutenable ou acceptable pour l'investisseur. On comprend donc que le nombre de start-ups sociales potentiellement intéressantes doit augmenter. Cette condition est une condition sine qua non du développement de ce type de fonds d'impact investing. Et c'est pourquoi les incubateurs sociaux ainsi que les structures d'accompagnement des start-ups sociales sont aujourd'hui essentiels, ce sur quoi nous reviendrons un peu plus tard. Pour résoudre ce problème, certaines fondations se proposent d'aider des start-ups dès leur phase initiale. C'est par exemple, le cas de la fondation Macif, qui investit des sommes importantes au lancement de certains projets. Comme il s'agit de dons, le risque est plus facile à porter. Si on s'inspire du modèle anglo-saxon, les fondations ont, en effet, un rôle essentiel à jouer dans le cadre de la gestion de leurs actifs. Cess actifs constituent leurs dotations non-consomptibles. Les fondations peuvent mettre en place de véritables stratégies d'investissement qui s'articulent autour de trois axes. Le don pur et simple, traditionnel, revenu des capitaux placés. Ensuite, le financement de projets, au plus près de la réalisation de la mission de la fondation, ce que les Anglo-Saxons appellent le PRI, Project Related Investment, et qui correspond à une approche Impact First de l'impact investing. Et enfin, l'investissement au service de la mission, c'est-à-dire le MRI, Mission Related Investment. Pour illustrer mon propos, la fondation WK Kellog a investi 100 millions de dollars, soit 1,3 % de ses actifs, dans des entreprises qui proposaient des solutions au bénéfice de l'enfance vulnérable, qui est un de ses axes prioritaires d'intervention. La fondation en a fait un projet pilote, en fixant des objectifs de rendement financier très précis, pour chaque catégorie d'investissement, dette ou investissement private equity ou capital. Les fondations doivent donc identifier les opportunités, se doter des compétences et convaincre en interne pour une telle approche de la gestion de leurs actifs constitutifs de leur dotation. Mais ces obstacles peuvent et doivent être surmontés. Les projets à impact direct recouvrent un, la consommation collaborative, c'est-à-dire le prêt, les partages ou le trocs, même si toutes les entreprises du secteur collaboratif ne sont pas automatiquement des entreprises sociales, au sens de la définition donnée dans le premier module du premier MOOC de cette série. Deux, la production contributive, avec le mouvement des makers que l'on retrouve dans les Fab Labs ou dans les Fab Shops, qui s'appuient sur une logique d'open source. Trois, la finance participative, que nous avons traitée dans le premier module du MOOC. Et quatre, l'action collective, sur des enjeux ciblés, comme l'éducation, la culture, et c'est le Collective Impact abordé dans le module précédent. Pour favoriser cette innovation sociale, il faut lui accorder les mêmes avantages que l'innovation technologique. D'abord pour l'amorçage, en étendant les dispositifs de subvention de OSEO pour permettre les expérimentations et ensuite, dans un deuxième temps, les entreprises qui innovent socialement bénéficieraient des avances à taux zéro, remboursables en cas de succès, en prenant en compte d'une part, la temporalité longue des projets sociaux et d'autre part, la combinaison performance économique via le chiffre d'affaires et performance sociale. Et là encore, se pose la question de la mesure de l'impact social, qui est décidément un enjeu clé. Venons-en maintenant au deuxième registre de l'amélioration de l'écosystème. Au-delà du nombre de start-ups et projets sociaux, qui doit augmenter, il faut agir pour accroître la qualité et la solidité de ces projets. C'est ce que les Anglo-Saxons appellent le développement du Capacity building qui, comme nous l'avons vu, est une dimension très présente en Angleterre. Par Capacity building, on veut dire la présence de conseillers, de managers qui ont une réelle connaissance des enjeux de l'ESS et qui ont été formés pour cela. On peut mentionner une initiative telle que On Purpose, qui propose un parcours de formation pour permettre la reconversion de jeunes cadres vers l'ESS, ceci venant gonfler les rangs des managers sociaux. On peut aussi mentionner le parcours de la Chaire Entrepreneuriat Social de l'ESSEC, qui a pour objectif de former les managers de demain de ces entreprises sociales. On peut enfin, plus largement citer l'ensemble des MOOCs que nous vous proposons sur Coursera, avec les deux MOOCs sur l'Entrepreneuriat qui change le monde, celui sur les Partenariats qui changent le monde et cette spécialisation de trois MOOCs sur la Finance qui change le monde, dont l'objectif est à chaque fois de former de nouvelles équipes et de partager de nouvelles compétences. Quand on parle de Capacity building, on parle également en France de tous les dispositifs d'accompagnement des nouveaux projets sociaux, ou des entreprises qui sont en phase de changement d'échelle. Les incubateurs et notamment ceux qui se sont spécialisés dans l'entrepreneuriat social comme Antropia, le premier du genre en France, le SenseCube, créé par Make Sense, ou encore le Social Good Lab, créé par le groupe SOS et le Comptoir de l'Innovation en sont de bons exemples. Le témoignage de Camille Auchet, qui dirige Antropia, était à cet égard très éclairant. Certaines fondations demandent de plus en plus à leurs équipes de ne plus être des Program Managers, mais de véritables Investment Managers, capables d'identifier les opportunités d'investissement conformes à la mission de la fondation. Il faut donc favoriser l'émergence de projets de qualité, mais troisième enjeu stratégique, il faut aussi favoriser la rencontre des porteurs de projets avec les financeurs. Des initiatives telles que le Social Stock Exchanges sont ainsi extrêmement utiles et prometteuses. Cela permet de répertorier un grand nombre de projets et de donner des informations utiles sur ces projets ainsi que sur leurs porteurs. Cela permet donc au fond d'avoir accès plus rapidement à un plus grand nombre de projets. Enfin, dernier enjeu, last but not least, celui de la mesure de l'impact social. Une mesure d'impact social très aboutie permet aux investisseurs de mieux suivre les projets sociaux dans lesquels ils investissent et donc de mettre davantage de pression sur l'entreprise financée, pour l'accomplissement de ses objectifs sociaux. Mieux quantifier permet de mieux suivre, et donc d'être plus exigeant. Cela permettra également aux investisseurs qui placent leur argent dans des fonds d'investissement, de comparer les résultats en termes d'impact social de ces différents fonds. Un mouvement d'uniformisation des mesures d'impact social, la création d'indicateurs nombreux et variés pour couvrir la réalité dans toute sa diversité, donc plus d'informations disponibles sont nécessaires. Ces informations permettront aux investisseurs de placer leur argent dans les fonds qui seront les plus efficaces en termes d'impact social. Cela poussera donc les fonds à être exigeants envers eux-mêmes, sur ce point de l'impact social. Cela empêchera également des fonds voulant se prétendre à impact sans l'être, de faire illusion. Une mesure de l'impact social plus précise peut également servir les intérêts des entrepreneurs sociaux. En effet, la démarche d'évaluation est une opportunité pour des discussions avec les financeurs, sur la maximisation de l'impact social de l'entreprise, ce qui peut être d'une aide considérable dans cette recherche de maximisation. Cela permet également de mieux suivre l'avancement de l'objectif social. Par là, les entrepreneurs pourront donc plus facilement repérer lorsqu'ils s'écartent de leur objectif social et adapter ainsi leur stratégie pour toujours s'en approcher au plus près. Enfin, une meilleure mesure d'impact social permet aux investisseurs d'avoir plus d'informations sur l'objectif des entreprises à financer et de prendre donc plus rapidement la décision d'investir. Pour conclure ce module consacré aux conditions qui favoriseront le développement de l'impact investing, il faut toutefois garder en tête trois choses. La première, c'est que l'écosystème doit favoriser et pérenniser la diversité des modes de financement. Les dons, les crédits, les fonds propres sont tout aussi importants les uns que les autres. Ils correspondent à des moments de croissance de l'entreprise différents et à des besoins différents. Certains modèles économiques efficaces pour répondre à des problèmes sociaux ne peuvent fonctionner sans dons. Certaines fondations commencent d'ailleurs à adopter des méthodes d'évaluation financière extrêmement poussées, mais cela ne doit pas les détourner de leur objectif de don. Deuxièmement, la question des partenariats public-privé est cruciale dans le développement et la construction de l'écosystème français de l'impact investing. D'abord, en termes de réglementation. Dans le rapport du G8 sur la finance solidaire, les rédacteurs ont insisté sur l'importance d'une législation pour pouvoir faire un lock in de la mission sociale, c'est-à-dire de protéger la mission sociale de l'entreprise en cas d'un changement de contexte économique ou en cas d'un changement de dirigeant ou d'actionnaires. Et pour l'instant, le dispositif législatif français ne permet pas de le faire. Ensuite, en termes financiers. Et là, il s'agit du financement par l'État de certains projets d'impact investing, pour répondre à certains besoins sociaux qu'il couvre de manière moins efficace que cela pourrait être fait. Nous en avons déjà beaucoup parlé dans la section des social impact bonds. Enfin, le dernier point crucial dans le développement de l'impact investing est la cohérence. Pour que les investisseurs particuliers ou institutionnels acceptent de placer leur argent dans des fonds d'impact, indépendants ou tenus par de grandes banques, il faut que ces structures soient crédibles. Mirova, par exemple, lance un fonds 90/10. La partie 10 étant investie dans des entreprises en faveur de l'emploi, la partie 90 étant de l'ISR mais dotée d'un deuxième filtre permettant de sélectionner les entreprises en faveur elles aussi de l'emploi. C'est un exemple qui montre l'importance de la cohérence des fonds. Investir dans un fonds d'épargne solidaire en faveur de l'emploi, mais dans 90 % le serait dans des entreprises qui procèdent à des réductions non nécessaires et drastiques d'effectifs, n'est pas crédible et délégitimerait donc les fonds d'impact. Cela porte atteinte à la légitimité de l'impact investing et risque de le faire apparaître comme du social washing. De même, une grande banque qui développe des fonds d'impact investing pour répondre à un besoin social d'un côté, mais qui financerait des structures renforçant ce même besoin, ferait perdre en légitimité le mouvement. La conséquence prévisible en est une perte de fonds, potentiellement allouable à des fonds d'impact.