[MUSIQUE] [MUSIQUE] À l'écoute des témoignages de ce module, nous prenons la mesure de la vision souvent étriquée, voire instrumentale, que nous pouvons avoir de la relation financeur financé. Dans ce que nous avons entendu, les financeurs peuvent être bien plus qu'une machine à cash, ou qu'une instance contraignante de contrôle régulier des chiffres clés de l'entreprise. Entretenir le cadre d'une relation nourrie et stratégique avec certains d'entre eux peut être d'une aide précieuse pour l'entrepreneur social et pour le déploiement de son impact social dans le temps, quand ça va bien, mais aussi pour traverser les moments de turbulence. Ainsi, il y a entre investisseurs à impact social et entrepreneurs sociaux une convergence d'intérêts. On est dans le même bateau, si on perd c'est ensemble, si on gagne c'est ensemble, comme le souligne Nicolas Célier. Mais encore faut-il pour cela réussir à naviguer vers un objectif commun, et entretenir un dialogue fécond avec une grille de lecture et une langue choisies ensemble. Je vous propose qu'on revienne ainsi ensemble sur les contours du cadre de la relation entre investisseurs et entrepreneurs, les apports de cette relation au-delà de l'argent sonnant et trébuchant, et enfin les caractéristiques du pilotage et des indicateurs au coeur de cette relation. Pour commencer, rappelons-nous les quelques éléments essentiels à retenir, issus des témoignages que l'on vient d'entendre, concernant le cadre de la relation entre entrepreneurs sociaux et financeurs rencontrés dans ce module. Tout d'abord, la formalisation du partenariat entre les 2 parties. Avant toute chose, s'engager et accueillir un financement, c'est accepter de faire un bout de chemin côte à côte, qui peut durer un certain temps et se renouveler pendant la vie de l'entreprise. Amandine Albizzati, responsable des partenariats à La Nef, rappelle ainsi la nécessité de bien choisir son financeur avant de s'engager. Pour cela, il est bon de chercher à saisir ce que chacun recherche, et comprendre le modèle économique et les contraintes propres à chaque partie en présence. Au-delà, le socle essentiel au déploiement d'une relation qui soit la plus féconde entre entrepreneurs sociaux et investisseurs à impact social est avant tout le partage d'une ambition commune, comme le rappelle Amandine Barthélémy, experte associée à l'institut de l'innovation et de l'entreprenariat social de l'ESSEC. Cette vision commune du développement de l'impact social de l'entreprise est une boussole partagée vers laquelle s'orienter et à laquelle se référer ensemble tout au long du chemin ponctué des décisions stratégiques clés à prendre. Bien sûr celle-ci à vocation à évoluer, nourrie par les retours du réel, mais cependant elle donne le cap des priorités en matière d'utilité sociale et de vision de société à déployer, qui ne pourront pas être sacrifiées sur l'autel de l'unique recherche de la rentabilité. Très concrètement, Nicolas Célier explique ainsi qu'au moment de s'engager sur la voie d'un partenariat avec un entrepreneur social, Investir&+ travaille avec l'entrepreneur à la rédaction d'un business plan financier et social, avec des objectifs à la clé, à atteindre dans le temps. Du côté de chez France Active aussi, Clémentine Blazy rappelle que le contrat signé avec l'entrepreneur social fixe la régularité des échanges, les documents à transmettre à échéances fixes, et les indicateurs clés du pilotage qui seront suivis ensemble. Bien plus que la formalisation d'un partenariat, lorsqu'on parle de relation financeur entrepreneur, il s'agit avant tout d'un lien humain. Dans les témoignages de nos intervenants, il est intéressant de noter la place essentielle accordée à la relation humaine dans les partenariats créés entre les investisseurs et les entrepreneurs sociaux interrogés. Sortons ainsi de l'image froide et insensible des financeurs intraitables que nous pouvons avoir, pour se rappeler qu'il s'agit avant tout de personnes qui sont souvent passionnées par l'entreprenariat et très admiratives du travail des entrepreneurs sociaux. L'argent matérialise un lien entre les hommes, un soutien dans une même aventure. Le plus important dans tout cela c'est la relation, rappelle Nicolas Sellier. Quels sont les facteurs clés de succès d'une relation réussie entre financeurs et entrepreneurs sociaux? Avant tout, tous nos témoins et experts convergent pour souligner la nécessaire posture de confiance, de transparence et de partage à avoir avec son financeur. L'échange et la communication régulière constituent la base pour construire ensemble, comme le souligne Pierre-Emmanuel Grange. Souvent, nous avons l'idée qu'il s'agit de convaincre les financeurs, de leur montrer uniquement les réalisations et l'atteinte des objectifs fixés ensemble. Pourtant Nicolas Célier conseille aux entrepreneurs d'être en vérité avec leurs investisseurs, pour être dans une relation saine et transparente, pour reprendre les mots de Pierre-Emmanuel. Et ceci, quand cela va bien, mais aussi quand les difficultés pointent leur nez. À ce titre, Clémentine livre un conseil clé : il s'agit d'anticiper et de parler des difficultés tant qu'il est encore temps avec ses financeurs. En effet la remarque de Pierre-Emmanuel va dans ce sens. Quoi qu'il arrive on trouvera des solutions, on peut tenter beaucoup plus de choses ensemble. Restructurer une dette, négocier avec des parties prenantes une révision des délais de paiement, activer des réseaux commerciaux, tout cela peut être envisagé en tandem avec son investisseur, de façon plus efficace que seul. Plus globalement, pour tirer parti au mieux des échanges avec les financeurs, il s'agit aussi de reconnaître que l'investisseur peut jouer un rôle clé pour permettre à l'entrepreneur social, pleinement engagé au quotidien dans son activité, de sortir la tête de l'eau et de prendre de la hauteur régulièrement pour refaire le lien entre l'activité et les grandes orientations stratégiques que l'on s'est données. Hervé Baulme souligne ainsi la grande chance des questions posées régulièrement par les équipes de Phitrust, et Nicolas Célier souligne le rôle de garde-fou joué par l'investisseur. Pour cela Clémentine souligne la nécessité, pour l'entrepreneur social, d'être dans une posture d'accueil et d'ouverture pour tirer le meilleur profit de ses échanges avec les financeurs. Il s'agit en effet d'être dans l'écoute, et ouvert aux remarques extérieures, ce qui n'est pas toujours évident quand on est tant investi au quotidien dans son projet et parfois convaincu de ses décisions. Posons-nous la question de la régularité du cadre à établir pour les échanges entre investisseurs et entrepreneurs sociaux. Du dire de nos témoins financeurs et entrepreneurs sociaux, la régularité moyenne des échanges est celle du trimestre. Elle peut être mensuelle, dans le cas notamment du coaching mis en place par Investir&+. Ce qui est certain, comme le rappelle Clémentine, c'est que l'investisseur attend d'être tenu au courant et consulté sur les projets structurants et les difficultés rencontrées. Nous constatons ainsi, dans les cas que nous venons d'entendre, que les investisseurs peuvent avoir une place dans les organes de gouvernance formelle de l'entreprise sociale, comme le conseil d'administration, ou le conseil de surveillance, ou des organes plus informels à inventer : comité de pilotage, comité stratégique, qui se réunissent régulièrement. Hervé Baulme souligne ainsi combien la présence de Phitrust dans son CA joue un rôle clé de professionalisation, tire vers le haut les échanges par la qualité des questions posées et des conseils formulés. Au-delà de ces temps collectifs autour de la stratégie de l'entreprise, on constate aussi la place accordée à l'accompagnement des dirigeants, en témoigne le coaching personnel mis en place par Investir&+, offrant un précieux compagnonnage avec un pair, autour de questions et de décisions que l'on peut rarement aborder avec ses équipes. Plus largement, le témoignage de Pierre-Emmanuel met en valeur aussi la proactivité et la créativité dont doit faire preuve l'entrepreneur pour mobiliser et embarquer ses financeurs dans l'aventure de l'entreprise, en sortant des sentiers battus. Inviter les financeurs à vivre les temps forts de la vie de l'entreprise, à participer aux grands moments de communication et de rassemblement, ou encore les associer à des temps de brainstorming ouvert autour d'enjeux telle que l'évolution du modèle économique. Ensuite, quels autres apports peut-on attendre d'un investisseur à impact social au service du développement du projet? Nous avons déjà pu souligner les apports clés du dialogue avec l'investisseur en matière de stratégie. Au-delà, nos interlocuteurs soulignent le regard circulaire des financeurs, qui ont souvent une connaissance sectorielle et une vision des tendances de marché très utiles pour se situer. C'est le cas de France Active, comme le rappelle Amandine, qui publie régulièrement des notes sectorielles, qui sont autant d'informations qui permettent de prendre de la hauteur par rapport aux mutations, aux tendances ou aux évolutions économiques et réglementaires d'un secteur, par exemple l'insertion par l'activité économique, le médico-social. La foultitude des business plans analysés, et les nombreux projets rencontrés et accompagnés sont un fabuleux observatoire pour les financeurs. Nous constatons aussi l'apport des carnets d'adresses mis à disposition par les investisseurs. Ainsi Nicolas Célier a, par exemple, introduit à certains entrepreneurs des clients potentiels, ou encore a aidé Sparknews à structurer et mener à bien un processus de recrutement pour trouver les perles rares. Ecodair aura trouvé son DG, Hervé Baulme, grâce à Phitrust, étant lui-même un investisseur engagé dans l'aventure de Phitrust, qui a repris l'entreprise alors que le directeur en partait. Les réseaux des financeurs peuvent aussi permettre de générer des partenariats stratégiques ou définir des stratégies de revente et de sortie anticipée, comme le souligne Pierre-Emmanuel. Enfin, en termes d'apport, la proposition de Neuf Gestion est particulièrement novatrice, et révèle la richesse des partenariats possibles avec un financeur. Neuf Gestion joue ainsi un rôle d'incubateur d'innovations financières, coconstruites avec les entrepreneurs sociaux, pour capter de façon efficace et à grande échelle l'épargne des particuliers au service des projets eux-mêmes. C'est le cas de leurs démarches avec Terre de Liens ou encore avec Jardins de Cocagne, plus récemment. Pour finir, revenons aux outils du partenariat. Comment piloter au mieux la relation avec ses financeurs? Kevin André et Charles Cho, nos 2 experts de l'ESSEC, soulignent tous les 2 l'importance d'un pilotage multidimensionnel des entreprises sociales, comme outil de dialogue avec ses financeurs, mais pas seulement. On peut aussi entendre dans leurs propos le caractère stratégique de la mesure et du suivi d'indicateurs clés, utiles pour piloter au quotidien les directions prises et rendre compte aux parties prenantes, les employés, les ONG, les citoyens, de façon objective des concrétisations et riches impacts générés par l'entreprise. Ce suivi est stimulant et peut jouer aussi un rôle auto-réalisateur en incitant à l'action dans la bonne direction, au-delà des indicateurs économiques et financiers indispensables et regardés de près par les financeurs : le suivi des indicateurs commerciaux, du chiffre d'affaire, de la trésorerie par exemple. Pour Amandine, l'avenir est au pilotage intégré, liant ainsi ces indicateurs à ceux de l'activité des réalisations ainsi qu'à ceux rendant compte de l'impact social. Témoigner de son impact social demande, pour convaincre et éviter l'écueil de la communication, de vraiment valoriser les actions réalisées, et d'être concis, en trouvant les quelques indicateurs les plus pertinents, comme le conseille Charles Cho. A ce titre, nos interlocuteurs n'hésitent pas à conseiller aux entrepreneurs que vous êtes d'être accompagnés pour mener à bien ces démarches d'évaluation de l'impact social, en ayant quelqu'un en interne identifié et en charge de cette mission, en se formant, par exemple à l'ESSEC, ou encore en bénéficiant du regard d'experts et consultants externes, comme le cabinet Kimso.