[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans le module précédent nous avons pris conscience que le dialogue avec les financeurs passe notamment par la maîtrise d'une certaine culture financière. Au-delà, comme nous l'ont rappelé Rachel Vincent d'Esfin Gestion, notre témoin, et Nicolas Célier, notre expert fil rouge, maîtriser une certaine connaissance en matière de finance peut, non seulement contribuer à comprendre les réflexes des financeurs pour les anticiper, mais peut aussi être un précieux outil d'aide dans la gestion au quotidien de l'entreprise, pour les petites et les grandes décisions à prendre, et ainsi réussir à viabiliser, dans la durée, un modèle économique au service de l'impact social. Dans ce module, nous vous proposons de résumer les propos de nos interlocuteurs en matière d'analyse financière des entreprises sociales, en 3 temps. Tout d'abord, en regardant de près la manière dont l'impact social est une clé d'entrée spécifique dans l'analyse et le suivi des projets pour les acteurs de l'impact investing interrogés. Ensuite, en creusant les contours des grilles de lecture économiques et financières utilisées pour les projets d'entrepreneuriat social. Et finalement en se rappelant les points de vigilance fondamentaux en matière de gestion économique, les bonnes règles de gestion préconisées par nos interlocuteurs. Donc tout d'abord il est intéressant de constater, dans la bouche des financeurs de l'impact investing interrogés, combien la recherche d'un impact social et sa mesure sont une clé d'entrée première. Chaque financeur va ainsi avoir son prisme d'entrée propre en matière d'impact social. Mais tous y accordent une importance d'emblée, ce qui est vraiment la marque de fabrique dans l'impact investing. Ainsi BNP Paribas souhaite financer, comme le dit Marie-Geneviève Loys, des entreprises sociales qui accompagnent et forment des personnes exclues par le travail, activités dites d'insertion. Antoine Prigent, d'Impact Partner, va être à l'affût d'investissements ayant un impact par le recrutement de personnes vulnérables en situation de handicap, ou par leur implantation dans des quartiers défavorisés. Clémentine Blazy, de son côté, va être très attentive à la question de la création d'emplois. Concrètement, comment cela se traduit, en matière d'analyse et de pilotage des projets pour ces financeurs? BNP Paribas en fait un critère d'éligibilité et regarde précisément dans l'analyse réalisée la capacité de l'entreprise à prouver son impact social, par des objectifs fixés, des résultats concrets déjà atteints. Une grille d'analyse particulière de l'impact social des projets était créée par la banque, à laquelle sont formés les salariés présents dans le réseau de banque de détail de BNP Paribas. Comme le rappelle Mathieu Alesi, ce qui séduit tous les financeurs de Puerto Cacao, c'est bien l'alliance intrinsèque entre performance économique, optimisation et impact social. D'où le conseil de Francis Declerck, notre expert et professeur de finance à l'ESSEC, de bien valoriser les externalités positives du projet auprès des financeurs, alors qu'on pourrait croire que ces derniers ne sont sensibles qu'aux aspects purement chiffrés et financiers. Investir et plus a même pris le parti d'ancrer la mission sociale de l'entreprise et le changement d'échelle de son impact social dans les pactes d'actionnaires signés avec les entrepreneurs financés par le fond. Si l'entrepreneur, en cours de route, ne cherche plus à maximiser son utilité sociale, quelle que soit sa perspective de rentabilité, c'est une raison suffisante de sortie pour l'investisseur. Cependant il est intéressant de noter que pour nos interlocuteurs, contre toute attente, la recherche d'impact social et la création de valeur économique participent d'une même dynamique convergente. Ainsi, pour Thibaut Guilluy, la bonne gestion économique est au service de l'impact social, car l'entrepreneur social doit chercher à optimiser chaque euro investi, dans une logique grandissante d'ailleurs, où il s'agit de rendre des comptes aux acteurs publics et privés partenaires. Quand l'économique va bien, le social va bien nous confie-t-il. Par ailleurs, Ares se doit de fonctionner comme une entreprise pour préparer ses bénéficiaires en réinsertion à la réalité économique des obligations de productivité qui les attendent. Pour Nicolas Célier on oppose trop souvent valeur économique et valeur sociale. Il est ainsi convaincu que quand on crée une valeur évidente pour la société, comme le fait Simplon, par exemple, qui est capable de réinsérer 80 % des personnes accompagnées en CDI dans des métiers très demandés autour du code, alors cette valeur est grande pour les entreprises, les collectivités locales, l'Elysée et même d'autres pays. La valeur sociale finit tôt ou tard par se translater en valeur monétaire. Ensuite, intéressons-nous de plus près à l'analyse économique de l'entreprise sociale et aux grilles de lecture et de pilotage des financeurs. Comme nous avions déjà pu le souligner dans le module précédent, les logiques des différents financeurs vont être variées. Coup de coeur dans le cas du Love Money, ambition du projet et perspective de sortie pour un investisseur par exemple. Cependant, au-delà de l'impact social, tous vont être attentifs à la viabilité économique et financière de l'entreprise, et dans ce sens, il semble que les grilles de lecture utilisées soient les mêmes entre les entreprises classiques et les entreprises sociales. Une entreprise en bonne santé semble répondre aux mêmes exigences et règles de bonne gestion économique et financière du côté des financeurs, solidaires ou non. Ainsi on peut noter les éléments clés liés à la stratégie et au business model qui seront particulièrement regardés et analysés par les financeurs, à travers la lecture des documents prévisionnels transmis. Un, l'évolution du chiffre d'affaire dans la durée. Ainsi Pierre-Emmanuel rappelle que les indicateurs utilisés et suivis dans la gestion de l'entreprise et par les financeurs sont les suivants : le pipe commercial, prospects, clients et chiffre d'affaire réalisé, le ticket moyen des paniers vendus aux clients, et le prix, pour les services et produits de Microdon. Ensuite, les grands ratios habituels sont regardés, résultats d'exploitation, résultats nets, profits du bfr, niveau de fonds propres, dettes, comme le rappelle Antoine Prigent. Enfin, la trésorerie est largement suivie aussi, nous y reviendrons. Alors que les ratios et réflexes d'analyse sont les mêmes, qu'on soit une entreprise classique ou une entreprise sociale, ce qui change, comme le dit Pierre-Emmanuel, c'est l'acceptation d'une rentabilité plus faible, des échéances plus longues de remboursement, capital patient, et la relation de compagnonnage construite entre financeurs et entrepreneurs sociaux. Ainsi les grilles d'analyse et outils de pilotage utilisés ont vocation à être transparents, et mobilisés par les 2 parties, dans la durée, comme une langue propre permettant de dialoguer autour de la stratégie du projet. Pour autant, il est intéressant de noter que la lecture des ratios d'analyse financière sera fonction de la structure juridique, de la mission sociale et du modèle économique de l'organisation, comme le souligne Marie-Geneviève. Ainsi une association, par exemple, aura moins de fonds propres, structurellement, qu'une SAS, souvent en raison de contraintes financières fixées par les partenaires publics qui n'acceptent pas la génération de cumul de résultats. Par ailleurs, les soldes de gestion regardés ne sont pas les mêmes selon l'industrie concernée, rappelle Clémentine. Les repères sont ainsi fortement sectoriels, et chez France Active, l'historique des financements si important permet aux financeurs d'avoir des précieux éléments de comparaison en la matière. Pour finir, résumons les quelques points de vigilance cités par nos interlocuteurs dans la gestion et le pilotage économique des entreprises sociales. Tout d'abord, Clémentine rappelle que la demande de fonds est à bien calibrer, en fonction du modèle et de ses besoins. À chaque type de besoin correspond un financement adapté, en termes de montant, de durée, de caractère remboursable ou non, de taux de rentabilité le cas échéant. Il s'agit ainsi de ne pas sous-estimer les besoins financiers nécessaires, comme le rappelait Marie Trellu-Kane déjà dans le module précédent. Pour autant, il faut être ingénieux et réaliste, et ne pas charger le modèle économique de dépenses trop lourdes qui ne pourront être rentabilisées, à l'image de l'exemple de Clémentine autour de la location de locaux plutôt que de leur achat. Les modèles économiques sont souvent tendus et s'il y a inadéquation, par exemple, entre la taille de l'appareil de production souhaité et l'ambition de développement et de rentabilité de l'activité, alors l'équilibre économique risque d'être remis en question dans la durée. Les financeurs sont aussi là pour aider l'entrepreneur à bien calibrer, de façon réaliste, dans le temps, ses investissements, et optimiser au mieux ses dépenses de fonctionnement. Enfin, la question de la trésorerie et son suivi est clé pour tous nos experts et témoins. Ainsi, au démarrage notamment, mais même pendant la vie de l'entreprise, il s'agit de suivre au plus près les flux de trésorerie, car comme nous le rappelle Francis Declerck, une entreprise sociale peut être en croissance forte et faire faillite à cause d'un trop grand succès. Attention donc à la fois aux difficultés de trésorerie lorsqu'on se lance, au quotidien dans la vie de l'entreprise, mais aussi en période faste de croissance, dans le cas trop souvent connu des crises de croissance.