Je suis enseignant au Centre d'études européennes, je suis spécialiste des parlements et de l'Union européenne, et puis des deux, c'est-à-dire la place des parlements dans l'intégration européenne. Sur cette question de l'appartenance nationale des euro-députés, on a des résultats très, très clairs d'après l'analyse du relevé de leurs votes en séances, notamment le Professeur Simon Hix à la LSE qui a lancé cette série d'études, et qui montre que les euro-députés votent en séances selon leur groupe plutôt que selon leur nationalité. Donc le taux de cohésion par groupe, pour les grand groupes, il est supérieur à 90 %. Donc vraiment, il est comparable à ce qu'on observe dans les démocraties nationales où les députés UMP votent comme des députés UMP et les députés socialistes comme des députés socialistes. Il est un peu moins élevé chez les extrêmes et chez les eurosceptiques. Il y a des familles politiques au niveau européen qui correspondent à des groupes, depuis longtemps, et qui sont clairement identifiées. Donc, la droite, les libéraux, les verts, les communistes, les socialistes, et puis après à la droite de la droite, différentes familles eurosceptiques qui, elles, sont susceptibles de connaître des changements. Là-dedans, on va retrouver les partis politiques nationaux qui se fédèrent en quelque sorte, et qui parviennent à avoir une cohérence. Cette fédération des partis au sein des groupes parlementaires, elle n'est pas purement formelle ou purement opportune. Ils arrivent en leur sein à s'accorder sur une position commune, et c'est en cela que le Parlement européen réussit à être une assemblée politique, et pas simplement une assemblée diplomatique ou paradiplomatique. [AUDIO_VIDE] Ce n'est pas totalement faux. C'est-à-dire que on n'est pas dans un monde enchanté, fédéraliste, où les appartenances nationales auraient disparu. Donc les Allemands vont pouvoir défendre des positions qui correspondent aux intérêts nationaux allemands, au sein de chaque groupe, en commission, dans les négociations de couloir. Mais à partir du moment où la position du groupe est arrêtée, ils s'y tiennent. Donc en fait, il y a un jeu d'influence avec cette influence nationale qui se mélange à une organisation partisane transnationale. Les représentants nationaux, les dirigeants nationaux, les partis politiques nationaux essayent de faire pression sur les euro-députés quand il y a un texte qui est important pour les enjeux, pour les intérêts nationaux ou pour la vie politique nationale. Donc par exemple, un représentant permanent, l'ambassadeur d'un pays à Bruxelles, un représentant permanent auprès de l'Union européenne, maintenant il passe une partie de sa semaine à rencontrer des euro-députés de son pays, voire même d'autres États membres. Ce n'était pas le cas il y a 20 ans. Maintenant il passe du temps à essayer de les convaincre. Mais de l'existence de ces pratiques de lobbying finalement, même si c'est un lobbying réalisé par des États, ne tirons pas l'idée que les euro-députés seraient des marionnettes nationales. Non, ils sont influencés, en fait, par leur gouvernement d'origine, leur parti d'origine, mais aussi par des entreprises, des associations, et ils font leurs choix et leur miel de tout cela. Ce ne sont pas, encore une fois les données le montrent, ce ne sont pas des, ils ne sont pas là pour voter comme leur État-nation d'origine. [AUDIO_VIDE] Alors en moyenne en Europe, on vote moins aux élections européennes qu'aux élections nationales, qu'aux élections législatives nationales, celles qui sont d'importance. On a un différentiel qui est d'environ 19 points. Il était de 19 points en 2009, et pour 2014 je ne l'ai pas encore calculé ou ça n'a pas encore été calculé, mais je ne pense pas qu'il sera, qu'il soit très différent Donc en moyenne en Europe, on vote moins aux élections européennes. Après, il y a des grosses disparités nationales qui sont de deux ordres. D'abord, il y a des pays où on vote toujours énormément, parce que le vote est obligatoire ou parce qu'il y a une tradition, une culture du vote obligatoire quand bien même il n'y aurait pas de sanction, typiquement en Belgique, au Luxembourg, ou alors parce qu'on coupe les élections européennes avec des élections nationales le même jour, ce qui est assez futé. L'autre grande ligne de clivage, elle est est-ouest. On vote moins à l'est de l'Europe qu'à l'ouest de l'Europe. C'est très, très clair. On a des taux d'abstention moyens à l'est de l'Europe qui sont de l'ordre de plus de 70 % contre environ 50 % à l'ouest, à telle enseigne que la progression de l'abstention dont on parle à chaque fois d'élection européenne en élection européenne, elle n'est pratiquement due qu'aux élargissements de l'intégration européenne. Comment expliquer qu'on vote moins aux élections européennes à l'est? Eh bien, par le fait qu'on vote moins en général à l'est. Il y a des différences entre pays mais par exemple en Pologne, le taux de participation aux élections nationales il est autour de 50 %. Il n'est pas comme nous à la présidentielle autour de 70, 80 %. Non, je ne dirais pas qu'il y a des comportements électoraux spécifiques lors des élections européennes, en dehors du fait de, en général, moins s'y intéresser. A l'est, on vote moins, en général parce qu'il y a une forme de déception, de fatigue. On appelle ça l'après lune de miel dans la littérature, c'est assez imagé. Donc voilà, il y a un moindre investissement dans les urnes, et ça se traduit dans les élections nationales, en Roumanie par exemple, en Bulgarie, comme dans les élections européennes. On a un Parlement européen et on n'a pas de peuple européen, je serais d'accord avec vous sur cette affirmation-là. Pour autant, historiquement, universellement, on a bien des cas de parlements, de constructions parlementaires qui ont existé sans l'existence préalable d'un peuple. Il y a deux aspects à ça. D'abord, il y a l'aspect constructif, fonctionnaliste. On peut, après tout, mettre la charrue avant les boeufs et créer, par une institution, un peu d'identité, un peu d'identification, un embryon de vie politique, et ce qu'on a vu tout à l'heure c'est que cette vie politique transnationale elle existe, il n'y a pas quand même des logiques purement diplomatiques au Parlement européen. L'autre aspect, c'est que le parlementarisme a des vertus indépendamment de l'enjeu représentatif et l'enjeu, je dirais, électoral. Les vertus discursives, c'est un endroit où on débat, les vertus pluralistes, c'est un endroit où on met ensemble des gens qui ne sont pas d'accord, et quand on pense au fonctionnement de l'Union européenne à ses débuts, à la méthode communautaire, qui a bien des atouts mais c'est quand même un fonctionnement qui n'est pas ouvert, pas transparent, qui est extrêmement élitiste, et il me semble par rapport à ça que l'Union européenne met un peu de la diversité, met un peu du jeu, met un peu du désaccord, et en cela elle fait son office. Le Parlement européen fait son office de parlement, indépendamment de ce problème de légitimité qu'il faut reconnaître.