Oui, je crois qu'elle a une vision européenne, l'Italie, depuis la Seconde Guerre mondiale ; et qu'elle a toujours été pro-européenne, en tout cas jusqu'à une date récente. Et cette vision de l'Europe, elle a d'abord été portée par la Démocratie chrétienne, mais aussi par un homme, comme Altiero Spinelli, qu'on a beaucoup oublié aujourd'hui, et qui était porteur, entre autre, d'un projet fédéraliste. Oui, il y a une volonté de l'Italie, au lendemain de la guerre, de rentrer dans l'Union, enfin, de participer à la construction européenne, pour de multiples raisons ; et un engagement européen constant, de l'Italie, jusqu'à une date récente. Alors, ça s'est fait, à mon sens, progressivement. D'abord, par le fait que le principal parti, qui a dominé la vie politique italienne jusqu'aux années 90, et qui est resté au pouvoir de manière constante, la Démocratie chrétienne, comme ses équivalents en Allemagne, et en France, ont voulu cette Europe. Et on a évidemment, là , le nom d'Alcide De Gasperi, aux côtés de Konrad Adenhauer en Allemagne et de Rober Schumann, en France ; ça, c'est un élément fondamental. Et, par conséquent, d'un point de vue politique, c'est la Démocratie chrétienne, essentiellement, qui a porté cette vision européenne. Ce qui a été, d'ailleurs, critiqué par la gauche, à l'époque, notamment les socialistes et les communistes qui, jusqu'aux années 50, sont alliés, et qui considéraient que cette europe était anti-soviétique, et beaucoup trop chrétienne, et beaucoup trop capitaliste, et beaucoup trop atlantique, même si ce n'était pas la vision de la Démocratie chrétienne. Les socialistes vont se rallier à cette idée de l'Europe, à partir de la fin des années 50. Et les communistes italiens, les fameux communistes italiens, c'est-à -dire les communistes les plus puissants de toute l'Europe occidentale, vont s'y rallier à la fin, fin fin des années 60, et début des années 70. Donc les principales forces politiques, si on exclut le parti néofasciste, sont pro-européens ; et les territoires italiens, oui, bien sûr. Le Nord, parce que c'est la partie la plus dynamique du pays et voyait l'Europe comme une possibilité d'expansion encore plus grande d'une économie essentiellement, à l'époque, industrielle, bancaire, financière ; et puis le Sud, le fameux Mezzogiorno, y voyait tous les intérêts des aides européennes pour le développement ; et d'ailleurs, c'est l'Italie qui a apporté l'idée des fonds structurels, en Europe. Donc, tout le monde, d'une certaine façon, se retrouvait dans l'Europe ; et l'Europe avait, en plus, un énorme avantage, dans un pays où l'idée nationale était très faible, au lendemain de la seconde guerre mondiale, par réaction au nationalisme fasciste, et dans un pays où l'État, aussi, était relativement faible. Et enfin, très souvent, le fait de recourir à l'Europe permettait de régler des questions intérieures qui étaient insolubles, sinon, dans les strictes frontières italiennes. [AUDIO_VIDE] Et bien je crois que l'Italie porte trois choses, trois éléments dans l'Europe. Le premier élément c'est l'utopie fédéraliste. Il ne faut jamais oublier que ça vient, justement, autour d'Altiero Spinelli et que, récemment, lors des dernières élections européennes, Matteo Renzi a repris l'idée des États Unis d'Europe. Chose imprononçable en France. Mais en Italie, cette idée reste encore assez forte. C'est une utopie fédéraliste qui a attiré beaucoup de gens, qui attire encore une minorité de personnes, une minorité de pro-européens. La deuxième chose qu'a apporté l'Italie, c'est la politique méditerranéenne. Le fait que l'Europe n'était pas simplement, n'avait pas simplement un épicentre dans le Nord, ou dans le centre de l'Europe, mais, aussi, avait un rôle, et une fonction, à jouer, et en particulier dans le bassin méditerranéen, avec une politique plutôt pro-arabe, ce qui posait beaucoup de problèmes par rapport à Israël, bien sûr. Et puis la troisième chose, c'est que l'Italie apporte le sens du compromis ; et parfois des compromis nets. Je veux prendre un exemple. En 1985, lors du Sommet européen de Milan, c'est Betino Craxi, qui était à l'époque Président du Conseil, et socialiste, qui, avec la complicité de François Mitterrand va isoler Margaret Thatcher, et va ouvrir, justement, la possibilité de l'Acte unique européen. Et ça, c'est le grand sens du compromis politique qu'ont les italiens. Je crois que Matteo Renzi est un pro-européen, je crois que Matteo Renzi se réfère aux États Unis de l'Europe, mais Matteo Renzi n'est pas un penseur, il n'est pas encore un père fondateur de l'Europe. Et surtout, il agit dans un pays, et ça c'est la grande transformation, qui depuis une vingtaine d'années est de plus en plus euroseptique, voire eurocritique ; ça, c'est l'immense transformation italienne qui a des répercutions dans toute l'Europe. Si vous regardez les sondages eurobaromètres, l'Italie était le pays le plus europhile de tous les pays européens. Et tout bascule à partir des années 90, et encore plus depuis 2008. Mais il y a plusieurs explications. D'abord le fait qu'il y a eu, depuis les années 90, toute une interrogation très forte en Italie sur la dimension nationale. Qu'est-ce que nous représentons, nous, comme italiens? Et c'était dû à deux choses ; d'une part, les progrès de ce parti de la Ligue du Nord, qui voulait rompre avec l'Italie du Sud. Et donc ça provoquait tout un débat national. Et puis, d'autre part, l'énorme choc migratoire qui a déferlé sur l'Italie ; dans le sens que c'est un pays qui, à partir de 1975 a plus d'immigrés que d'émigrés, qui n'était pas habitué à cette immigration, et qui, en quelques années, a vu arriver plus de trois millions d'immigrés, en quelques années. Et par conséquent, oui, ça a créé un choc considérable, avec parfois des actes de xénophobie, de racisme et de rejet, mais, en même temps, toute une interrogation sur, qu'est-ce que représente le fait d'être italien dans un pays où, par exemple, la religion catholique n'a plus le monopole, mais où elle a deux autres religions dorénavant, la religion orthodoxe et la religion musulmane. Et puis dans un pays où le taux de natalité est le plus bas de l'Europe ; et par conséquent, c'est un pays qui s'interroge sur sa dimension nationale. Et puis, si vous ajoutez à cela la crise économique, financière et sociale de 2008, vous avez un pays dont vous voyez, dans tous les sondages, une progression de la critique de l'Europe, de l'Europe de la bureaucratie, de l'Euro, et, dorénavant, plusieurs partis qui, explicitement, font campagne contre l'Europe ; ça, c'est la grande nouveauté, ça devient une ressource politique, dans la compétition. Le parti de la Ligue du Nord, le mouvement, Cinq étoiles, du comique Beppe Grillo, qui a été le premier parti à l'issue des élections de 2013, et puis même des ambivalences et des ambiguïtés de Silvio Berlusconi et de Forza Italia par rapport à l'Europe. Et, du coup, Matteo Renzi a défendu l'Europe, tout en critiquant, très habilement d'ailleurs, l'Europe de la bureaucratie, l'Europe des banques, l'Europe de l'austérité, l'Europe de la rigueur. Il a joué sur deux jambes, ce qui explique d'ailleurs son prodigieux succès des dernières élections, plus de 41 % des voix ; ce que aucun responsable politique au pouvoir n'a pu obtenir. Mais, voilà , il est, d'un côté, obligé de se présenter comme un européen et, d'autre part, de reprendre des critiques à l'égard de l'Europe ; y compris avec cette capacité de communication inouïe qu'il a, par exemple, alors que plusieurs immigrés perdaient la vie dans leurs embarcations au large de l'île de Lampedusa, de dire, par un tweet, l'Europe protège les banques mais assassine les enfants, c'est inacceptable.