-Je crois que vingt-cinq ans après la chute du mur, on peut dire que ce qu'était le grand clivage est-ouest s'est considérablement estompé, qu'on a assisté non seulement à l'intégration politique de ces pays dans l'Union européenne, mais aussi à une extraordinaire convergence économique, un rattrapage économique sans précédent des pays d'Europe centrale et orientale par rapport à l'Europe occidentale. On peut prolonger ça dans le domaine sociétal, les modes de vie, le tourisme, les voyages, l'espérance de vie... A tous points de vue, il y a une convergence des sociétés. Ca ne veut pas dire que ces pays ne gardent pas leurs spécificités ou des préoccupations spécifiques. On le voit dans le conflit ukrainien, il y a une préoccupation polonaise, balte, par rapport à ce qui se passe à l'est et par rapport à la Russie, donc on voit que, disons les perceptions marquées par ces héritages d'avant 1989, ou même des héritages bien plus anciens de l'histoire, jouent encore leur rôle. Mais ce n'est plus, peut-être, la chose déterminante dans les rapports entre les pays nouveaux membres de l'Union européenne et les pays fondateurs. On peut dire que vingt-cinq ans après la fin de l'ancien régime communiste en Europe de l'Est, avoir un Polonais président du Conseil européen, ça résume en quelque sorte le parcours de ces pays, et en particulier de la Pologne. Je crois que le retour de la Pologne sur la scène européenne, ça, c'est, je crois, le fait le plus spectaculaire, le plus marquant. Plus généralement, on découvre aussi que l'élargissement de l'Union européenne vers les pays d'Europe centrale, ça a non seulement favorisé la transformation de ces pays dans le sens de la démocratie et bien sûr de leur modernisation économique, mais ça a transformé aussi l'Union européenne. L'Union européenne d'aujourd'hui a doublé le nombre de ses membres et elle est un animal différent de ce qu'elle avait été avant l'élargissement. Donc en ce sens-là, les Européens du Centre-Est qui arrivent aux postes de commande dans la Commission ou à la présidence du Conseil, ça, maintenant, ce n'est que le sommet de l'iceberg, ça confirme cette intégration de ces nouveaux pays dans l'Union européenne et la façon dont ils changent la donne aussi au sens de l'Union européenne. Il est vrai que dans les perceptions, dans les sondages d'opinion, bien sûr, il y a toujours des résidus, des réminiscences de l'Est-Ouest. Mais avec la crise économique de 2008, l'Europe a découvert un autre clivage beaucoup plus, disons, prégnant pour la situation actuelle, c'est le clivage nord-sud. Avec la crise de l'euro, la crise financière, là, on a vu clairement des pays d'Europe du Sud très touchés par la crise, en train de restructurer leur économie, et des pays d'Europe du Nord qui s'en sont tirés beaucoup mieux et qui imposent d'une certaine façon un cadre, une discipline économique et financière beaucoup plus rigide. Là, ce clivage est très fort. Et les pays d'Europe centrale, dans cette crise, se positionnent comme étant proches des pays du Nord. Ils s'apparentent un peu aux pays du Nord. La Pologne se considère dans la crise économique et financière comme un pays du Nord. Les clivages anciens hérités de la guerre froide disparaissent mais les clivages nouveaux créés par la crise économique et financière, le clivage nord-sud, ça, c'est le clivage qui, aujourd'hui, est le plus difficile à résoudre pour l'Union européenne.