[MUSIQUE] Pour revenir dans les dernières décennies, une première illustration avec le mur de Berlin, qu'on voit ici dans une photographie des années 1960, donc quasiment contemporaine de sa construction. On voit et on sait, par ailleurs, que ce mur de Berlin visait d'abord et avant tout à dissocier deux systèmes politiques fraîchement installés, mais aussi à inventer deux sociétés différentes de part et d'autres, deux systèmes économiques complètement différents. Donc, il était un opérateur puissant de cette différenciation des territoires situés de part et d'autre. Illustration plus ordinaire, plus superficielle en apparence, mais qui a sa signification. Michael Billig a inventé l'expression de nationalisme ordinaire pour désigner ce processus selon lequel les territoires et les sociétés des États qui existeraient depuis longtemps, le cas échéant, ponctuent leur environnement, leur paysage, leur quotidien, de petits signes, de petites marques qui sont finalement des signatures, encore une fois, de cette territorialité nationale. Et une émission de la chaîne de télévision franco-allemande ARTE, qui s'appelle Karambolage, a l'habitude de présenter à la fin de chacune de ses émissions, une petite illustration, une petite devinette. Et puis, on nous montre un plan fixe, et puis, il s'agit d'identifier si on est en Allemagne, ou bien en France. La première illustration, une photographie a priori d'un chantier tout à fait banal. Et puis, on est censé voir que sur l'image, il y a un train qui a des couleurs qui ne sont pas celles des couleurs de la SNCF ou des TER en France, mais qui sont celles du réseau régional allemand, donc on est en Allemagne. Ou bien, autre illustration, cette autre photographie prise dans un magasin, et on est censé repérer ce petit détail, cette petite caisse de la société allemande de sauvetage en mer, que vous voyez ici avec la flèche, et qui vous montre là aussi que vous êtes en Allemagne. Donc, des petites choses, des petits signes, qui ponctuent finalement l'ensemble de nos territoires, et qu'on peut bien sûr reconnaître comme étant profondément nationaux, dans ce cas précis, profondément français ou profondément allemands. Dernière illustration que je voudrais emprunter à un géographe aujourd'hui bordelais, Olivier Milhaud, qui a travaillé quand il était encore à Lyon, sur la frontière entre la ville américaine, la ville états-unienne de Détroit et puis la ville canadienne de Windsor. On voit ici sur la photographie, Windsor à droite et Détroit à gauche. Et il a montré toutes les marques, tous les signes notamment du côté de Windsor, qui faisaient que la ville canadienne cherchait à montrer, notamment à proximité du fleuve, à quel point elle était différente de Détroit, donc à exacerber finalement les différences qu'elle peut avoir avec la ville états-unienne, dont on on connaît l'image publique de ville un peu sinistrée, de ville en faillite, de ville un peu délabrée. Et Windsor, et on le voit avec les diapositives ici, cherche à travailler dans son paysage urbain, la propreté, une certaine forme d'opulence, pour contraster encore une fois avec l'image de Détroit. Ou bien ici, avec les deux totems amérindiens, l'idée que le Canada représente une politique ou incarne une politique multiculturelle, respectueuse des premières nations, bien plus intéressante et bien plus légitime que celle que pourrait avoir les États-Unis. Donc, ces illustrations qui complètent l'exposé un peu théorique de la séquence précédente, sont juste là pour montrer, encore une fois, à quel point la frontière n'est pas simplement une limite qui vient circonscrire un peuple, une nation, un territoire, un État, mais qu'elle est une discontinuité qui agit et qui contribue à la production de cette société, de ce territoire et de cet État, avec notamment cette capacité à accompagner la production de l'homogénéité sociale et territoriale, à accompagner la production de systèmes territoriaux et à exacerber les différences entre les sociétés et les États qui sont de part et d'autre. [MUSIQUE]