[MUSIQUE] [MUSIQUE] Vous l'aurez compris, tout au long de ce parcours à travers les sexualités comme un sujet politique, qui a à voir avec le combat féministe et celui des mouvements LGBT, les lignes ont bougé depuis le XIXe, période qu'on appelle du féminisme de la première vague, les années 60, 70 du XXe siècle, période qu'on appelle de la deuxième vague, et ce qui se passe aujourd'hui. Je crois que les réflexions qui ont lieu aujourd'hui dans les milieux militants et académiques, qui pensent et agissent sur le plan théorique comme sur celui de la politique, sont le fruit de cette longue histoire, mais un fruit qui n'est pas identique, qui n'est pas cloné, mais qui se modifie tout au long du temps, et qui intègre les questions nouvelles qui se posent, qui intègre aussi les échecs du passé, qui cherche des modalités nouvelles de lutte, des relations nouvelles entre groupes militants. On est passé des connaissances sur le contrôle des corps et des sexualités à l'idée de libération sexuelle. Puis, avec Foucault, on a douté d'une possible libération. Puis, on a constaté que les combats politiques ne sont pas cloisonnés entre féministes, homosexuels, trans, et que les intersections entre ces catégories et celles de classes ou de races devenaient importantes pour poursuivre des réflexions et des actions politiques dans un monde de plus en plus interconnecté. En effet, pour certaines et certains, les luttes qui s'ancrent dans une identité définie par les rapports de pouvoir historique peuvent aboutir à des paradoxes, voire à des effets inverses au but recherché. Le féminisme du XIXe, et largement encore celui du XXe, était un féminisme blanc, porté par des femmes en général bien éduquées, appartenant à la classe moyenne supérieure, et par conséquent, il était souvent aveugle aux réalités que vivaient les femmes de classe modeste, ou les femmes racisées. Les luttes des mouvements LGBT, où chaque lettre de cet acronyme devient une lutte en soi, même si elle n'est pas inutile, manque deux objectifs principaux. Celui qui vise à déconstruire la catégorie imposée par les rapports de pouvoir. Par exemple, la catégorie d'homosexuels, qui est une catégorie, comme vous l'avez vue, du XIXe siècle, On perd aussi de vue les liens qui peuvent exister entre les lettres qui composent cet acronyme. Ainsi, de nouveaux mouvements que l'on appelle de manière un peu générale queer, mais qui incarnent des pensées et des modes d'action diversifiés, ont posé ces questions et refusent d'endosser les catégories assignées par les rapports de pouvoir. Il n'appartient pas à la médecine de définir si une personne est homosexuelle, hétérosexuelle, ou autre chose encore, mais aux individus de s'auto-définir ou pas, en termes identitaires. C'est la démarche de beaucoup de personnes et de groupes qui, peu à peu, adoptent des terminologies plus fluides, et surtout, qu'ils ou elles ont choisies. Par exemple, agenre, genderfluid, queer. Ainsi, politiquement, ces nouvelles catégories troublent les catégories binaires héritées du passé, mais endossées par les militants politiques pour porter leur combat. Le paradoxe du féminisme, qu'avait décrit Joan Scott, consistait à dire, comment est-il possible de militer en tant que femme et pour les femmes, tout en sachant que ces catégories sont le fruit d'une construction sociale et politique? De la même manière, la catégorie d'homosexuels, de lesbiennes, de gays, de trans, par exemple, sont le fruit de rapports de pouvoir. Peut-on s'y identifier pour lutter et les subvertir? Toutes ces questions sont à l'ordre du jour des analyses de genre et des luttes militantes. Les deux sont indissociables, car les militants et les militantes produisent des connaissances tout autant que les académiques, et les intellectuels sont également des citoyennes et des citoyens engagés dans les questions politiques de leur époque. Prétendre ériger une cloison étanche entre ces deux mondes non seulement est illusoire, mais nuit à la création de connaissances nouvelles. Si nous nous obstinons à penser que la production de connaissances scientifiques peut être totalement dissociée des questions politiques qui traversent le monde social, nous courons le risque de reproduire les dérives scientifiques qu'ont connues le XIXe et une partie du XXe siècle. [MUSIQUE] [MUSIQUE]