[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous venons d'évoquer en fait les questions relatives à la transidentité et aux rapports sexe, genre, dans le champ transidentitaire. Et pour terminer cette leçon je reçois aujourd'hui Laura Piccand et Camille Bajeux, toutes deux doctorantes à l'Institut des études genre et qui travaillent sur la question de la médicalisation du féminin et du masculin ou plus particulièrement sur la façon dont on peut définir des maladies, hier ou aujourd'hui, comme étant typiquement féminines ou ayant des traits féminins ou typiquement masculines ou ayant des traits masculins. Camille, pour commencer, pouvez-vous revenir sur le travail que vous avez réalisé sur les troubles de la sexualité masculine, sur les diagnostics et les instruments qui ont été mis en œuvre par les scientifiques de façon à rendre compte de certaines pathologies et donc ainsi évoquer pour nous ce qu'il en est de ce qui est défini comme, normal ou pathologique, en termes de masculinité? >> Alors, je me suis intéressée au travail d'élaboration de la cinquième édition du manuel, Diagnostic et Statistiques des Troubles Mentaux, plus connu sous le nom de DSM, et qui est un manuel américain de psychiatrie qui recense les différents symptômes des troubles mentaux >> et qui contient une section qui est dédiée aux attirances et aux comportements sexuels qui sont désignés comme pathologiques et qui s'appellent les paraphilies qui concernent en très grande majorité des hommes. En 2008, le groupe de travail qui était chargé de réviser cette section des paraphilies a proposé d'ajouter deux nouveaux diagnostics. D'une part, une préférence sexuelle pour le viol et de l'autre une préférence sexuelle pour les jeunes adolescents et adolescentes sous le terme de trouble paraphilique coercitif et d'hébéphilie, respectivement. À partir de ces propositions, on va voir qu'émerge tout un débat scientifique autour de la question de, qu'est-ce qu'on peut considérer comme une sexualité masculine normale ou une sexualité masculine pathologique? Débats dans lesquels, on va voir que les instruments, en fait, jouent un rôle particulier pour marquer cette distinction. Notamment par exemple, on va voir l'utilisation d'un instrument qui s'appelle le pléthysmographe pénien et qui sert à mesurer l'engorgement de sang du pénis avec l'idée qu'on peut finalement en quelque sorte calculer les préférences sexuelles des hommes à qui on présente des enregistrements audio, auditifs et visuels, qui sont supposés être excitants et qui mettent en scène d'une part une sexualité dite normale, donc issue par exemple de la pornographie classique et de l'autre des mises en scène de situations, considérées comme déviantes, qui mettent en scène des cas de viols ou de relations avec des enfants. Et ce qu'on voit finalement, c'est que ces outils contribuent à retracer cette binarité entre le sain et le pathologique sur le modèle de l'érection et qu'elle fonctionne grâce à des croyances implicites qui sont partagées par les scientifiques sur la nature soit disant mécanique finalement de la sexualité masculine et l'idée que celle-ci répondrait de manière indépendante du contexte dans lequel ces hommes se trouvent. >> Finalement, quelle définition de la >> masculinité se trouve engagée dans ces scénarios médicaux contemporains? >> Ce qu'on peut voir assez clairement, c'est que les catégories sociales des scientifiques eux-mêmes transparaissent dans le savoir qu'ils produisent. Notamment on peut voir qu'il y a un cadre hétéronormé, donc basé sur les l'hétérosexualité à travers l'idée qu'on peut définir une sexualité masculine normale par son aptitude à la reproduction. Et c'est particulièrement intéressant finalement parce que, comme l'a montré l'historien de la sexologie, Alain Giami, tout au long du XXème siècle on est passé d'un modèle qui pathologisait les formes de sexualité non reproductives, donc comme l'homosexualité ou la masturbation à un modèle qui pathologisait l'absence de consentement. Et pourtant dans ces controverses, on voit réapparaître des arguments de l'ordre du naturel qui s'ancrent dans la notion de reproduction et qui, en quelque sorte, normalisent des définitions culturelles de la masculinité et certaines formes de violence sexuelle exercées par les hommes, notamment à travers l'idée de pulsion, qui biologise en fait certains rapports sociaux de pouvoir entre homme et femme et entre, de différences d'âge également. >> Merci, on va maintenant aborder la question du point de vue du féminin ou de la féminité ou de la construction sociale de la féminité >> avec donc vous, Laura Piccand, qui avez étudié l'émergence d'une maladie, on pourrait dire entre guillemets nouvelle, parce que toute la question est de savoir si elle est si nouvelle que cela ou si elle revêt un nouveau terme. Cette maladie, à la fin du XXème siècle, qui se trouve catégorisée sous l'appellation très savante de trouble dysphorique prémenstruel. Est-ce que vous pouvez revenir sur l'histoire de cette maladie et sur la façon dont sa médicalisation contribue à définir et naturaliser la condition féminine? >> Le trouble dysphorique prémenstruel est en fait, comme vous le dites, une reformulation d'une catégorie plus ancienne et mieux connue du grand public qui est le syndrome prémenstruel, >> qui est décrit pour la première fois dans les années trente et popularisé ensuite dans les années cinquante en plein boom des traitements hormonaux. Dès ces premières descriptions, le syndrome prémenstruel est une catégorie très floue qui regroupe une multitude de symptômes à la fois physiques, notamment des maux de ventre et des maux de tête, de la fatigue, et psychologiques, un état dépressif, des sautes d'humeur. Qui surviendraient donc ces symptômes peu avant la menstruation chez un pourcentage de femmes très variable mais pouvant aller jusqu'à 80 % selon les études. Depuis ces premières descriptions dans les années trente, il n'y a pas de consensus sur les causes même si des causes hormonales sont les principales mises en avant. Et c'est ainsi un cadre explicatif principalement hormonal qui est mis en avant, un cadre explicatif qui est par ailleurs très souvent et de façon générale mis en avant pour expliquer différents symptômes et notamment des symptômes psychologiques chez les femmes. Donc, dans les années 1980 dans le cadre de la réédition du DSM, le manuel dont on parlait juste avant, la catégorie de trouble dysphorique prémenstruel apparaît et est présentée comme une forme sévère du syndrome prémenstruel et une déclinaison en fait psychiatrique de ce syndrome prémenstruel. Et donc, à ce moment-là, c'est un cadre explicatif principalement neurologique qui fait son apparition et c'est une nouvelle façon de concevoir le syndrome prémenstruel qui est encouragée par des entreprises pharmaceutiques qui se trouvent commercialiser des médicaments qui agissent sur les neurotransmetteurs et notamment certains types d'antidépresseurs. Ce qui est intéressant dans ces évolutions, c'est que l'idée d'une vulnérabilité et d'une instabilité qui seraient propres aux femmes, c'est-à-dire des corps soumis aux fluctuations hormonales et à la menstruatio, ne disparaît pas avec ces évolutions mais plutôt est renforcée. Les femmes sont ainsi toujours vues comme une catégorie d'êtres humains plus instables, plus fragiles, qui sont victimes de leur propre physiologie. Et il est important de noter, à ce titre, que les manifestations psychiques telles que l'irritabilité ou la dépression ne sont souvent pas considérées de la même manière selon qu'ils proviennent d'une femme ou d'un homme. Par exemple chez un homme, les manifestations de colère seront plus facilement considérées comme provenant de facteurs sociaux, d'une situation concrète, d'une expérience sociale tandis que, chez une femme, on aura tendance à considérer cette irritabilité comme un signe d'un problème physiologique, psychologique, hormonal, neurologique. Et donc, l'irritabilité, la colère peut être ainsi vue comme une transgression de l'attitude douce et effacée qui est socialement attendue des femmes. Et donc, le syndrome prémenstruel et le trouble dysphorique prémenstruel pathologisent en quelque sorte la colère des femmes et lui donnent une occasion légitime de l'exprimer dans ce cadre diagnostique uniquement. Donc, finalement, je finirai par citer l'ouvrage de l'historienne, Ilana Löwy, L'emprise du genre, où elle affirme de façon un petit peu provocante que la question, le vrai problème n'est pas la perturbation hormonale, mais les raisons de la colère des femmes. Autrement dit au final, la vraie question ne serait donc pas de savoir pourquoi certaines femmes ont des sautes d'humeur ou sont irritables durant la période prémenstruelle mais pourquoi elles ne le sont pas le reste du temps. >> Oui Laura, c'est une vraie provocation absolument intéressante et sur laquelle nous devront poursuivre la réflexion et on notera pour finir qu'effectivement les sciences du présent ne sont pas très différentes des sciences du passé et que cette perméabilité entre le monde scientifique et le monde social et culturel >> est toujours présente et toujours active, même aujourd'hui. [MUSIQUE] [MUSIQUE]