[MUSIQUE] [MUSIQUE] Angela Davis a montré que le sexisme se nourrit de racisme, et Kimberlé Crenshaw, elle, a insisté sur la diversité des expériences et la difficulté pour la justice, pour les actions publiques et à penser cette diversité. Dans cette séquence, nous allons donc parler de l'intersection entre sexisme et racisme. Et j'ai demandé à Faten Khazaei qui est doctorante à l'université de Neuchâtel et qui travaille sur l'intersection entre le sexe, la race et la classe dans la prise en charge et les luttes contre les violences conjugales et donc qui s'intéresse à la façon dont ces catégories orientent l'action publique. Alors Faten Khazaei, Bonjour, votre question de recherche initiale est spécifique, est-ce que vous pouvez nous dire quel est le constat dont vous partez? >> Ces dernières années, on entend dans le discours public que les violences conjugales sont mentionnées très souvent en lien avec la migration. Cela se manifeste par l'idée que seulement certaines de ces cultures, la culture de certains pays réserve une place subalterne en fait aux femmes dominées par les hommes. De l'autre côté, c'est les déviances psychologiques, les facteurs individuels pour expliquer les violences conjugales chez nous. C'est-à-dire que finalement, les violences conjugales qui peuvent être considérées comme un fait social ailleurs, elles ne sont pas considérées comme telles ici. Ce phénomène, on peut le désigner avec la racialisation du sexisme ou l'ethnicisation du sexisme. Partant de ce constat, moi j'ai décidé de mener une enquête ethnographique auprès de certaines institutions qui prennent en charge les cas de violence conjugale en Suisse romande pour voir finalement, est-ce que ces cadres explicatifs, ils sont bien utilisés dans la pratique et si oui, quelles sont les catégories qui les actionnent. >> Donc du coup, vous avez travaillé sur divers intervenants qui travaillent justement auprès des victimes de violences conjugales. Est-ce que vous pouvez juste nous expliquer quelles sont ces étapes de cette prise en charge et quels sont ces intervenants? >> Premièrement, il faut savoir qu'il y a beaucoup d'institutions, différents types d'institutions qui sont en charge finalement dans les violences conjugales. Moi, mon terrain porte sur trois d'entre elles donc qui interviennent dans des moments différents du parcours d'une victime cherchant de l'aide. Il s'agit de la Police-secours, d'un service médical et un refuge. Alors, typiquement la première étape c'est l'intervention de la Police- secours suite à un appel téléphonique qu'il reçoit ou bien de la part de la victime, ou de proches ou de voisins entendant du bruit par exemple, ou bien parfois de l'auteur, de l'agresseur lui-même. Donc la police intervient en urgence, établit les faits en interrogeant la victime, le prévenu et si elle juge le cas assez grave, elle peut entamer donc la procédure de violence domestique, qui leur permet finalement d'utiliser d'autres moyens supplémentaires. Par exemple, expulser l'auteur du domicile pour une période limitée, ou bien par exemple lancer finalement une plainte pénale, une poursuite pénale contre l'agresseur, et cela indépendamment de la volonté de la victime. Mais finalement dans la plupart des cas, quand les violences ne sont pas assez graves au sens du code pénal, la police ne lance pas la procédure sans plainte de la victime. Elle, avant tout, calme la situation immédiate et oriente en fait les victimes vers des solutions d'aide qui existent, notamment en particulier le refuge qui peut les héberger temporairement. Donc le refuge, c'est la deuxième institution avec laquelle j'ai travaillé. À part l'hébergement donc qui permet aux victimes de se séparer pour quelques temps de leur partenaire, le centre aussi les accompagne dans leur démarche de séparation, par exemple, autant au niveau administratif que juridique, et les aide de monter un dossier pour la justice et notamment, c'est ici que la troisième institution entre en jeu, c'est un service médical qui établit en fait des certificats médicaux qui attestent les traces physiques de violence. Donc il faut savoir quand même que dans les cas où malgré tout la poursuite pénale en fait s'est lancée, finalement c'est la nature des actes qui compte, parce qu'aux yeux de la justice, finalement ce ne sont que les infractions au sens du code pénal qui font foi. Donc à part la contrainte ou la menace, tout ce qui est difficilement prouvable comme les violences psychologiques, comme le dénigrement, finalement en gros, tout ce qui est, le contrôle et qui différencie les violences domestiques ou les violences conjugales par rapport à d'autres types de violences interpersonnelles, ils ne sont pas recevables aux yeux de la justice. Donc, cette situation met les institutions dans une sorte d'impuissance que finalement la seule solution qu'ils ont à apporter ou proposer aux victimes, c'est la séparation qui est une solution finalement au sens du code civil. >> Et donc, du coup, vous avez travaillé sur ces différentes étapes et qu'est-ce qu'il en est alors de votre constat de départ? Est-ce qu'il y a des formes de différenciations et finalement, autrement dit est-ce qu'on peut vraiment parler comme le disiez de racialisation, du sexisme dans les différentes institutions que vous avez suivies? >> Alors mon enquête finalement démontre que la situation est plus complexe que ça. Un résultat clair de mon enquête, c'est que dans ce contexte, c'est plutôt le genre qui prime sur le racisme. Les violences conjugales ne sont pas du tout considérées comme un outil de contrôle des hommes sur les femmes, mais plutôt comme une perte de contrôle de l'homme ou de l'agresseur sur lui-même. Donc pour aider ces personnes à sortir de la violence, finalement comme on voit la violence comme s'inscrivant dans les relations entre deux personnes, l'aide, ça sera une aide par exemple psychothérapique pour pouvoir casser le chemin de la violence, qui sera proposé aux deux personnes. Donc dans la situation où cette solution ne marche pas, comme j'ai expliqué, ça sera la séparation. Donc, la culture finalement des protagonistes n'est pas un facteur déterminant, il se joue plutôt au niveau individuel. Donc contrairement à mon hypothèse de départ, le cadre explicatif finalement qui place les violences conjugales dans le social est inexistant dans la pratique. Donc, la différenciation ne se joue pas à ce niveau-là. Cela étant dit, on ne peut pas dire que les Suissesses et les migrantes sont traitées de la même manière. Finalement, les conditions, la différence en fait se trouve dans la condition où les populations migrantes se trouvent. Je pense notamment aux conditions de permis de séjour, d'obtention de permis de séjour en Suisse. La plupart des femmes migrantes que j'ai rencontrées ont un permis de séjour au titre de regroupement familial, donc dépendant de leur mariage. Donc en considérant que finalement la seule solution qui existe, ça sera la séparation, ces femmes, elles doivent choisir entre d'un côté se soustraire aux violences au risque de renvoi du territoire suisse ou s'y soumettre. [MUSIQUE]