[MUSIQUE] [MUSIQUE] On l'a mentionné précédemment, les sciences du cerveau se sont longtemps concentrées sur l'embryogenèse, pour rendre compte des processus à l'œuvre dans la sexuation des corps et le façonnement des identités sexuées. C'est plus récemment que les sciences médicales se sont penchées sur la question de la puberté et se sont intéressées à la façon dont le développement sexuel et sexué se produisait au cours de la puberté. Cette histoire est encore largement à écrire, et j'accueille aujourd'hui Laura Piccand, bonjour. >> Bonjour. >> Qui est doctorante à l'Institut des Études genre et qui travaille justement sur des grandes enquêtes médicales qui ont été réalisées après la Seconde Guerre mondiale et jusqu'aux années 80, du XXe siècle, en Suisse et aussi ailleurs, en Europe, pour rendre compte de la croissance des enfants >> et pendant le déroulé de ces enquêtes, évidemment la question du développement pubertaire, donc de la façon dont on attrape, dont on devient une fille ou un garçon, dont on attrape un sexe, quand on devient fille ou garçon, dont on se développe du point de vue corporel et endocrinien, a évidemment été étudiée et j'aimerais bien que vous nous rappeliez en deux mots, Laura, pour commencer, >> comment naît cet intérêt médical pour la puberté et comment alors, la puberté se trouve définie par ces sciences médicales? >> La puberté est certes un phénomène biologique, mais l'intérêt que lui portent les médecins peut être situé historiquement assez précisément. En effet, si on a quelques descriptions dans les traités médicaux bien avant le XIXe siècle, c'est surtout vers la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle que sont mises en place de grandes enquêtes longitudinales sur la croissance, dans lesquelles des enfants sont mesurés sous toutes les coutures, radiographiés, photographiés, de leur naissance jusqu'à la fin de leur croissance et c'est à travers ces études notamment, que les définitions de la puberté que l'on connaît actuellement, se sont cristallisées. Et donc en utilisant les instruments anthropométriques qui sont développés par l'anthropologie physique dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ces études sur la croissance de l'enfant dit normal, se focalisent sur les questions suivantes, quels facteurs influencent la croissance des individus et des enfants, et comment expliquer les différences corporelles entre ces individus et est-ce que ces différences sont raciales? Donc, il faut rappeler à ce titre, que la tradition sur laquelle se basent ces enquêtes, celles de l'anthropologie physique, a alimenté les idéologies racistes en prétendant trouver des justifications biologiques aux différences, aux inégalités sociales entre les êtres humains. Et donc, à un moment où aux États-Unis entre les années 1920 et 1950, les idées eugénistes sont sur le devant de la scène scientifique, ces études sur la croissance sont particulièrement attentives à décrire les changements pubertaires dans l'idée de protéger et d'améliorer le potentiel reproductif de la nation, c'est-à-dire à cette époque-là, des élites et des classes moyennes blanches aux États-Unis. Et donc dans ce contexte, ce sont les caractères sexuels primaires et secondaires qui sont au centre de l'observation et de la définition de la puberté. Et donc au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce n'est plus tellement des motivations eugénistes, mais surtout, des préoccupations qui sont plus liées plus à la santé publique, qui alimentent, qui encouragent, ces études sur la croissance et el développement et particulièrement, notamment en France et en Grande-Bretagne, ce sont le constat de l'effet des carences alimentaires sur la croissance des enfants, qui encouragent ces études sur la croissance et ces recherches. Et c'est à partir de ce type d'étude qu'on développe les courbes de croissance qui sont bien connues des jeunes parents aujourd'hui et aussi les façons contemporaines d'appréhender la puberté. >> Donc, on pourrait dire que les enfants et les jeunes gens vont être soumis à tout un système de surveillance, enfin des cohortes de jeunes gens, à partir desquelles vont être décrites des courbes de croissance ou des courbes de développement pubertaire qui s'appliquent à l'ensemble des jeunes filles et des jeunes garçons et qui définissent pour le médecin qui surveille, éventuellement, des dysfonctionnements dans la croissance d'un enfant, >> ce qu'il en est en termes de norme, de pathologie, de problème éventuel ou de défaillance du point de vue des développements pubertaires. Est-ce que vous pouvez revenir sur les enjeux en termes de genre, en termes de rapports sociaux de sexe, sur cette histoire, et puis sur les questions de normation, ou de métrique, ou de surveillance des jeunes gens, qui en résultent? >> Eh bien comme j'ai dit, les définitions contemporaines de la puberté se centrent très spécifiquement sur les caractères sexuels primaires et secondaires, et plus particulièrement sur leur forme et leurs dimensions, donc notamment le développement mammaire, la pilosité génitale, la taille du sexe masculin, >> et la taille des testicules. Et si par ailleurs, les recherches s'intéressent aussi à d'autres phénomènes qui opèrent à la puberté, comme par exemple le changement dans la forme des muscles ou la poussée de croissance, c'est vraiment les caractères sexuels au travers d'une échelle d'évaluation qui est extrêmement répandue dans le monde, encore aujourd'hui, c'est-à-dire les stades dits de Tanner, qui sont au centre de la définition et de l'évaluation de la puberté dans la recherche comme au cabinet médical. Et à ce titre, il faut rappeler que la puberté fait l'objet d'une attention extrêmement importante, soutenue, des médecins, des parents, des adolescents et adolescentes, et de la société en général. Et puis ainsi, contrairement peut-être à la naissance et au processus social qui détermine si on est considéré comme un garçon ou une fille, la puberté constitue une porte d'entrée qui est très peu explorée par les sciences sociales sur la façon dont les corps humains sont décrits et modelés par des normes médicales empreintes de genre. Il faut en effet rappeler que les enfants dont le développement pubertaire et en particulier, l'apparence des caractères sexuels et la rapidité ou la lenteur du développement de ceux-ci ne correspondent pas aux standards, sont diagnostiqués, surveillés et parfois, traités hormonalement et que donc, on a vraiment affaire au modèlement chimique, si l'on veut, du corps sexué des enfants. >> Sur un mode dichotomique, >> ou binaire, donc au fond, on a aussi des logiques d'assignation, qui sont liées à une matrice qui est très hétérosexuée, on pourrait dire, et donc en particulier, est-ce qu'on peut voir, dans cette littérature, autour de cette nouvelle science de la puberté, des considérations ou des centres d'intérêt >> autour des questions homosexuelles, ou la prise en considération du fait que des jeunes gens puissent peut-être ne pas se conformer à une hétérosexualité qui est attendue, d'une certaine façon, au moment où l'on attend aussi que leur corps marque, finalement, par toute une série de signes, qu'il devient sexué dans un sexe, genre, qui sera féminin >> ou masculin, d'une façon complètement antagoniste? >> Par rapport à cela, ce qui frappe en fait, si l'on examine la littérature médicale autour de la puberté, des années 1950 à nos jours, c'est en effet l'importance sous-jacente du modèle hétérosexuel. Tout d'abord la puberté, comme on l'a dit, est définie de façon primaire comme le processus qui transforme un corps de garçon en corps d'homme, un corps de fille ou de jeune fille en corps de femme, donc une vision extrêmement binaire du sexe biologique, mais elle est vue aussi de façon concomitante comme un processus qui produit des corps fertiles, des corps qui sont capables de se reproduire. Et donc, au-delà de la mécanique de la reproduction, on se rend compte que c'est chaque caractéristique du développement pubertaire qui est ainsi considérée au prisme d'une attirance hétérosexuelle qui est vue comme nécessaire à la survie de l'espèce. Donc par exemple, la largeur des épaules ou la musculature sont considérées comme des attributs propres aux hommes qui permettent d'éliminer les concurrents mâles et de séduire la potentielle partenaire. On a ce type de formulation dans ces écrits. Donc, on a vraiment ce prisme hétérosexuel qui invisibilise complètement d'autres formes de sexualité. >> Et donc on peut le voir ici, un rappel, enfin un programme qui est lié à la théorie de l'évolution, qui est peut-être mobilisé, au fond, pour expliquer des formes d'intervention médicale sur le corps des jeunes gens, de corps féminin ou masculin, éventuellement, par la remédiation ou la médication. Laura Piccand, je vous remercie, c'était une conversation très intéressante, et il est vrai donc que cette question de la puberté et du contexte dans lesquels se développent les jeunes gens et les jeunes filles dans un monde où les perturbateurs endocriniens par exemple, sont très importants et présents, est une question qui est de plus en plus posée, en terme environnemental, en termes de santé aussi, donc c'est une question sur laquelle nous attendons avec joie vos futurs travaux. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]