[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Lorsqu'on interroge les luttes contre les violences envers les femmes dans une perspective intersectionnelle, on s'aperçoit que la définition de ce qui est violent va varier d'un groupe à l'autre en fonction d'expériences spécifiques de ces violences, qui vont s'intégrer à d'autres rapports de pouvoir. C'est ce que nous allons explorer dans cette séquence, qui porte sur le voile, en parlant avec Hanane Karimi. Hanane Karimi, qui est doctorante en sociologie à l'université de Strasbourg et qui travaille sur l'impact de la loi de 2004, sur les parcours de femmes musulmanes, loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux à l'école publique française. Hanane Karimi, bonjour, merci d'être avec nous depuis Strasbourg. >> Bonjour. >> Le port du voile est revendiqué par certaines féministes quand d'autres dénoncent le port du voile comme étant une forme de domination, voire de violence envers les femmes. Est-ce qu'on pourrait commencer peut-être? Est-ce que vous pourriez nous présenter en fait ce débat complexe et récurrent? >> Alors, en fait, le voile devient le voile de la dispute, >> le voile de la discorde. Certains sociologues l'ont appelé ainsi en France, à partir du moment où il y avait des défenseurs d'une laïcité stricte de 1905, du 9 décembre 1905, qui était finalement la neutralité de l'État et de ses représentants pour garantir une égalité aux citoyens. D'autre part, à partir de 1989 et l'expulsion de trois jeunes collégiennes à Creil, en France, qui ravive le débat sur la laïcité, c'est vraiment le tournant. Ce voile de la dispute va mener à une politisation du voile, qui va mener lui-même à la loi du 15 mars 2004, contre le port de signes ostensibles pour les usagers et les usagères des institutions scolaires publiques. Donc là, on est face à un tournant. Pendant toutes ces années, il y a des débats sur la question de la laïcité, et des féministes majoritairement vont se placer contre le port du voile de ces jeunes filles parce que la loi du 15 mars 2004 a ce surnom. On l'appelle la loi sur le voile. En face, certaines féministes, des féministes historiques par exemple comme Christine Delphy, vont rejoindre un mouvement inclusif, une école pour toutes et tous, contre la loi du 15 mars 2004, en tout cas, ce qui pressent une loi d'interdiction, en disant on ne peut pas exclure des jeunes filles des institutions scolaires publiques sous couvert d'égalité hommes femmes et sous couvert d'émancipation. >> Alors, quand on parle en fait de cette définition des violences, ou en tout cas, cette définition du droit des femmes, en quoi est-ce qu'elle va varier dans un groupe ou dans l'autre? Il me semble qu'il y a quand même une continuité coloniale. En quoi on peut dire qu'il y a une continuité coloniale dans ce débat? >> Alors, en fait, effectivement, c'est très important ce que vous dites, il y a une différence de perception. D'un côté, la perception majoritaire, celle qui est diffusée dans les médias, dans les cercles de philosophes, des polémistes qui sont invités sur la question du voile, à savoir le danger de l'islamisation, qui rentre finalement dans la logique un peu du repli identitaire, mais aussi d'une montée du Front national en France dès les années 80, dans laquelle on a peur finalement de cette population massivement arrivée après la colonisation, cette immigration post-coloniale, qui vient, qui a des mœurs et des habitudes qui ne sont pas tout à fait, qui ne correspondent pas tout à fait aux mœurs françaises à l'époque. D'un autre côté, des femmes françaises issues de cette immigration post-coloniale qui vivent véritablement cette exclusion comme la revivification finalement d'un féminisme colonial, qui avait été déjà vécu par leurs grand-mères. Par exemple, en Algérie, lors des cérémonies de dévoilement de mai 58 à Alger et ailleurs, qui étaient à l'époque vraiment des cérémonies de l'armée en fait. C'était par exemple le cinquième bureau d'Action psychologique qui organisait ces cérémonies de dévoilement, où les femmes des généraux Massu et Salan qui sont de l'Ouest par exemple, vont organiser ces cérémonies de dévoilement avec tout le symbolisme de l'allégeance politique aux colons. Donc, on est face finalement à une situation de perception entre des femmes blanches, des femmes racisées, qui renvoie à un imaginaire colonial où finalement ces femmes sont encore des femmes indigénisées, qu'il faut émanciper contre leur gré, comme c'était fait pendant ces cérémonies de dévoilement. >> Et alors donc, on a eu non pas des cérémonies de dévoilement, >> mais des moments de dévoilement qui se sont passés dans la France contemporaine. >> Alors, par exemple, la résonance de ces cérémonies de dévoilement va prendre tout un mimétisme contemporain finalement dans les années 2004, après le vote de la loi du 15 mars 2004, >> où certaines filles, à l'entrée des établissements, savent qu'elles ne peuvent plus rentrer les cheveux couverts, donc vont se dévoiler à l'entrée. À ce moment-là, à la rentrée, il y a une sorte de vérification à l'entrée, où le proviseur ou la proviseure sont à l'extérieur, où le CPE et la CPE sont à l'extérieur de l'établissement, pour vérifier la bonne discipline du corps de ces jeunes filles, dans l'entrée de l'institution publique, et où il y a eu des moments où il y a eu des applaudissements, où il y a des cris de satisfaction à la vue du dévoilement de ces jeunes filles. >> Donc finalement, la parole >> de ces jeunes filles, le ressenti, voire les souffrances qu'elles ont pu avoir dans ces moments-là, est-ce qu'ils sont entendus? >> Absolument pas, encore aujourd'hui, on est en 2017, je travaille justement sur l'impact de cette loi du 15 mars 2004 sur le parcours des femmes musulmanes pratiquantes. La souffrance est inaudible, elle est invisibilisée. Ce qui est survisibilisé, c'est la perception majoritaire du voile comme un symbole d'asservissement des femmes, mais en parallèle, ce qui s'est passé pendant toutes ces années, c'est la déshumanisation de ces femmes. Parce qu'on parle d'un voile, on ne parle de femmes. Véritablement, on assiste à une sortie de la catégorie femmes, à cause du port du foulard, de la part d'autres femmes, de celles qui vont pousser à leur exclusion, en disant on ne tolère pas ce symbole d'oppression, à l'encontre d'autres femmes. La violence qu'elles subissent, la violence symbolique parfois, la violence physique, la violence verbale, sont complètement occultées dans ce débat. >> Hanane Karimi, je vous remercie beaucoup pour cet éclairage très important. >> Merci. [MUSIQUE] [MUSIQUE]