[MUSIQUE] [MUSIQUE] Les violences envers les femmes dans les espaces publics ont depuis longtemps été dénoncés par les féministes sans pour autant que les pouvoirs publics s'intéressent réellement à cette question. Aujourd'hui, au contraire, il y a de nombreux débats sur la question du harcèlement de rue, et il semble que sous l'impulsion d'une génération de jeunes femmes, qui ont intégré le principe d'égalité, on dénonce, elles dénoncent la persistance de formes de sexisme dans les espaces publics. Alors, il est intéressant de se demander sous quelle forme cette question réémerge, quels sont les enjeux qu'elle soulève, ce d'autant plus qu'on va voir que ces enjeux sont intersectionnels. Les géographes et les sociologues ont mis en évidence la dimension sexuée des espaces et la dimension sexuée de la mobilité en insistant sur les expériences spécifiques que faisaient les femmes des violences dans les espaces publics et elles ont montré le rôle que ces violences jouent dans les assignations spatiales et sexuées. Ce sont des travaux qui soulignent la naturalisation et le lien entre féminité, espaces publics et danger. La gestion des dangers nous disent-ils, et l'apprentissage des moyens pour faire face aux dangers dans les espaces publics, apparaissent comme un élément central de la construction de l'identité féminine, c'est-à-dire que les filles apprennent dès leur plus jeune âge à se protéger lorsqu'elles sont dans les espaces publics, en mettant en place des stratégies, en mettant en place des tactiques, en évitant certains lieux, en évitant de rentrer seules trop tard le soir, et elles apprennent à gérer à la fois leur volonté d'autonomie et le risque qu'elles perçoivent en lien avec les sorties le soir. Alors, il y a des recherches qui ont dit que finalement, cette question de la peur dans les espaces publics était paradoxale, puisqu'effectivement, quand on regarde les statistiques, les femmes sont avant tout victimes d'hommes qu'elles connaissent, dans l'espace privé, dans l'espace familial et intime, quand ce sont avant tout des hommes qui sont victimes d'autres hommes dans les espaces publics. On pourrait donc dire que finalement les femmes ont peur de choses dont elles sont relativement épargnées dans les espaces publics. En même temps, ce constat doit être nuancé, dans la mesure où quand on regarde les nombreux actes qui existent dans les espaces publics, quand on s'en tient pas aux seules statistiques policières, on voit qu'il y a de nombreux sifflements, remarques, interactions trop intimistes, voire des agressions sexuelles, qui ne seront jamais dénoncées à la police, mais qui vont rappeler aux femmes les risques qu'elles ont de subir des violences plus graves, dans les espaces publics, en tant que femmes. Ces intrusions, qu'elles vont expérimenter de façon courante, quand elles se déplacent dans les espaces publics, vont participer de la réaffirmation de la ségrégation spatiosexuée, des hiérarchies entre masculinité et féminité, tout comme elles vont également consolider les normes hétéronormatives. Alors, aujourd'hui, il y a de nombreuses actions qui révèlent que les femmes dénoncent ces formes encore prégnantes de sexisme, qu'elles revendiquent leur droit à sortir quand bon leur semble, à occuper les espaces publics librement, à sortir quelle que soit l'heure, quelle que soit leur tenue, sans être renvoyée constamment à une image négative. Donc, depuis quelques années, on parle couramment de la question du harcèlement de rue. Il y a de nombreux articles, de nombreux débats, et on pourrait dire que la question de la mobilité des femmes dans la ville semble être devenue un problème public, c'est-à-dire qu'il engagerait à repenser l'articulation entre genre, violence et espaces publics. Cette dénonciation du sexisme et des violences dans les espaces publics n'est pas nouvelle, on l'a dit. Il importe de saisir quelles sont les différentes formes de cadrage qui existent aujourd'hui. Quelles sont les différentes formes de définition qu'on va avoir du problème ? Qui sont les acteurs qui se mobilisent contre cette question? La question de la définition, des enjeux, des représentations, est extrêmement importante pour comprendre la façon dont on va définir les frontières de l'acceptable et de l'inacceptable, et nous permettre de mieux comprendre quelles sont les responsabilités et quelles sont les solutions qui sont envisageables. Un premier cadrage est un cadrage en termes de droits des femmes, bien évidemment. Dès les années 1970, 1980, en lien avec les revendications à l'encontre de la banalisation du viol, les féministes ont dénoncé ces normes sociales, qui veulent que les femmes ne peuvent pas se mouvoir dans les espaces publics de la même façon que les hommes. Elles ont souligné cette existence d'un continuum des violences qui vont des sifflements aux autres remarques sur l'apparence corporelle, à des éléments, des actes considérés comme beaucoup plus graves, que sont évidemment le viol, et que tous ces éléments permettent de reproduire cette dimension masculine des espaces publics, espaces publics qui sont dits ouvertement être ouverts à toutes et à tous, être soi-disant mixtes. Alors, après avoir disparu partiellement de la scène politique, cette question réémerge aujourd'hui, je l'ai dit, et on voit qu'on a toujours un cadrage féministe qui existe, notamment, avec des mouvements tels que la SlutWalk, ou le mouvement Hollaback. Ce sont des initiatives qui dénoncent finalement le sexisme prégnant dans toutes les sphères de la société, qui dénoncent la culture du viol, et qui dénoncent le fait qu'aujourd'hui encore, les femmes n'ont pas réellement droit à la ville. Un second cadrage est davantage sécuritaire. En 2012 est sorti un film d'une jeune documentariste, Sofie Peeters, film qui a fait grand bruit. Elle a filmé ses déplacements dans un quartier populaire de Bruxelles, et elle a rendu compte de nombreuses remarques, intrusions, qu'elle devait subir au quotidien quand elle se déplaçait dans la rue, tant et si bien que les autorités de Bruxelles ont instauré dans la foulée un délit de harcèlement sexuel, qui a été fortement contesté, je vais y revenir, et que de nombreuses villes ont instauré dans la foulée des campagnes pour prévenir les violences dans les espaces publics à l'encontre des femmes. Alors, l'analyse qui a été présentée dans ce film a été largement contestée, parce qu'elle attribuait ces pratiques aux seuls hommes d'origine étrangère, de confession musulmane. C'est un type d'explication qui finalement participait à la production d'une altérité déviante, celle des hommes des catégories populaires de confession musulmane, et qu'elle contribuait à une explication culturaliste où ces groupes d'hommes étaient réifiés, et étaient présentés comme ne pouvant pas se soustraire ou n'ayant pas la capacité de contester des valeurs qui étaient attribuées à leur culture. Ce film a certes contribué à un débat sur la dimension transversale des violences envers les femmes. Il a contribué à montrer que les espaces publics ne sont pas exempts de ces violences, pas plus qu'ils ne sont exempts du sexisme. Pour autant, il ne prend pas en compte le fait que les agresseurs, et c'est ce que montre toutes les statistiques sur les violences faites aux femmes, que les agresseurs proviennent de toutes les catégories sociales. Donc, il y a eu une controverse assez importante concernant à la fois les types d'actes dénoncés, mais surtout la population qui était visée par ce film. Des femmes racisées notamment ont dénoncé le fait que lorsqu'elles étaient elles importunées par des hommes blancs de catégories favorisées, elles avaient davantage de peine à être reconnues comme victimes, ou à être entendues pour dénoncer de tels actes. Il importe donc de se demander, et c'est très important, finalement qui est en position de dénoncer et qui est en position d'être entendu. Donc, l'enjeu est ici véritablement intersectionnel. Alors, l'intérêt de présenter cette seconde forme de définition du problème, qui a pour la première fois mobilisé les pouvoirs publics, incite à souligner qu'au-delà des revendications en termes de droits des femmes, il existe aujourd'hui des enjeux plus larges, qui sont liés à la volonté d'avoir des centres-villes sûrs, propres, et débarrassés de certaines populations qui sont construites comme étant indésirables. Le souci pour la sécurité des femmes est mobilisé pour légitimer la production d'espaces publics dits de qualité, où les hommes des catégories populaires sont constitués comme indésirables, tout comme certaines femmes, les vendeuses à la sauvette, les prostituées, qui bien qu'étant femmes elles aussi, sont davantage considérées comme un problème de tranquilité publique. Alors, plusieurs recherches aujourd'hui démontrent que la revendication pour la sécurité des femmes contribue parfois à renforcer des discours sécuritaires, et des discriminations à l'encontre de populations paupérisées, et certaines militantes féministes dénoncent d'ailleurs la récupération de la cause pour laquelle elles se battent, et donc d'un cadrage en termes de droits des femmes. On serait davantage aujourd'hui dans un cadrage sécuritaire, cadrage sécuritaire qui va prôner davantage de caméras, davantage de surveillance policière, sans que l'on soit bien sûr que ces mesures s'attaquent réellement au sexisme qui est transversal à tous les espaces sociaux. [MUSIQUE] [MUSIQUE]