[MUSIQUE] Au fil du temps, les problématiques et les questions des mouvements LGBT se sont considérablement modifiées. Les homosexuels ne sont plus des criminels ou des malades dans bien des contextes nationaux, même si la répression est toujours présente dans différents pays. Eric Fassin, vous avez écrit un livre qui a pour titre, L'inversion de la question homosexuelle. Que voulez-vous dire par ce titre. >> C'est un peu une provocation puisque d'abord, l'inversion, c'est la manière dont on parle historiquement des homosexuels, des invertis, et il s'agissait de s'interroger sur ce qui se passe aujourd'hui. Depuis le XIXe siècle en particulier, on a le sentiment que tout le discours sur le sexe est animé par une même question qui est comment peut-on être homosexuel. Et donc, on se pose une question en termes de pathologies, avec des cas qu'il s'agit d'interpréter, mais aussi dans certains cas de soigner. Aujourd'hui, on a le sentiment qu'il est possible d'inverser la question, c'est-à-dire de se demander, c'est Daniel Borrillo le juriste qui le premier avait réfléchi clairement à cette question, de se demander comment peut-on être homophobe, et non plus comment peut-on être homosexuel. Ca, c'est une question qui m'intéresse particulièrement parce que tous les débats qui ont lieu depuis des années en particulier autour de ce qu'on appelle parfois le mariage gay, donc l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ca touche aux droits, à l'égalité des droits, mais en même temps, ça touche aux normes, et c'est ça qui 'intéresse parce que en réalité, quand on commence à dire qu'il n'y a pas de raison de traiter différemment les gens selon qu'ils sont homosexuels, hétérosexuels ou autres, c'est-à-dire quand on considère que finalement peu importe la sexualité, l'orientation sexuelle, lorsqu'on est en train de parler de mariage ou lorsqu'on est en train de parler de famille, on touche aux normes. Et du coup, c'est le révélateur de cette évidence qui était restée pendant très longtemps implicite, que l'hétérosexualité, normalement, ça va de soit. Mais ce normalement, il nous dit bien la norme. Donc, c'est ça qui est en train de bouger aujourd'hui. Se poser la question de l'homophobie, c'est se poser la question en même temps de l'hétérosexisme, c'est-à-dire le fait que normalement, on est censé être hétérosexuel. Et ça, ça ne va plus de soi, donc ce n'est plus normal. Ce qui était normal hier nous apparaît aujourd'hui comme normé. Je crois qu'il y a là une sorte de basculement. Bien entendu, ça ne veut pas dire que l'homophobie ait disparue, mais ça veut dire qu'aujourd'hui, on se cache d'être homophobe comme hier on se cachait d'être homosexuel. Bien sûr, il y a encore un placard homosexuel, et c'est quelque chose qui peu très bien exister en France et pas simplement dans des pays du Sud. Mais il y a quand même aujourd'hui dans les pays du Nord de plus en plus un placard homophobe. Je crois que c'est ce qu'on a pu voir par exemple avec toutes les mobilisations de la Manif pour tous. Tout le monde insistait bien dans la Manif pour tous sur le fait de n'avoir rien à voir avec l'homophobie. Ca, ce que ça voulait dire, c'est qu'en fait, l'homophobie aujourd'hui n'est plus légitime. Elle est devenue un problème. Autrement dit, l'hétérosexisme n'est plus une norme évidente, et donc, on peut se demander, mais pourquoi donc certains sont-ils homophobes? Comment se fait-il qu'on puisse encore être homophobe? >> C'est là donc où la question de la famille et de la protection de la famille traditionnelle >> va peut-être prendre un petit peu le pas sur l'ancienne homophobie, on se targue de vouloir défendre la famille, les enfants, et c'est une sorte de retournement de l'homophobie sur les questions familiales. >> Effectivement, historiquement, l'homophobie porte sur des >> personnes homosexuelles en raison de leur sexualité. Or aujourd'hui, on nous dit généralement, je n'ai rien contre les homosexuels, ils sont libres de faire ce qu'ils veulent, simplement je veux protéger la famille, je veux protéger le mariage qui sont des institutions sacrées. En réalité, on comprend bien que c'est la place de l'homosexualité dans ces institutions sacralisées qui est en jeu. Autrement dit, c'est la question de savoir s'il est normal d'être homosexuel ou de ne pas être hétérosexuel, donc c'est la question de la norme, et c'est cela qui à mon avis permet de faire le pont entre une politique des droits, donc une politique de l'égalité, et une politique des normes. C'est un enjeu majeur me semble-t-il pour tout discours critique, qui permet d'articuler une critique libérale et une critique radicale. >> Merci. >> Merci. [MUSIQUE]