[MUSIQUE] [MUSIQUE] Whose science? Whose knowledge? Ce sont donc les deux questions que nous avons commencé à aborder dans une des séquences qui précédaient et que posait la philosophe et théoricienne et féministe américaine Sandra Harding en 1991. La traduction littérale, on l'a vu, n'est pas facile à faire en Français, mais on a commencé à déployer les questions qu'elle posait. À qui appartient la science? À qui appartient la connaissance? Qui la produit? Mais aussi de quel type de science, de quel type de connaissance? Mais en plus, on pourrait dire, dans quel contexte, comment, pourquoi faire, avec et pour qui? Comme on le voit, la question initiale, qui est autorisé à faire et à produire des savoirs va et se déplace vers une question seconde, quels sont les sujets et les objets légitimes de connaissance? Et puis une question finale, quel type de savoir souhaitons-nous produire et de quelle science voulons-nous ou quels sont les critères sociaux que nous définissons collectivement pour évaluer les sciences contemporaines? Il y a donc des liens, de l'une à l'autre de ces questions. Ce que nous suggèrent finalement ces travaux c'est que les femmes ne font pas nécessairement une science différente de celle des hommes, mais que le fait que les femmes aient été durablement écartées des sphères de production scientifique et du domaine légitime du savoir a compté et compte encore. De même que pour approfondir un régime démocratique, il y a beaucoup à attendre de la parité et de donc d'autres façons de faire politique, il faut donc développer d'autres façons de faire science à partir d'expériences humaines différentes et cela dans tous les domaines scientifiques, parce que donc il s'agit de privilégier le sujet de l'expérience, les expériences subjectives des uns et des autres, non pas pour produire des histoires ou des savoirs subjectifs, mais pour prendre acte qu'il n'existe pas de positionnement en sciences qui ne soit un positionnement de nulle part. C'est le point fort donc de cette théorie de la connaissance située développée par Sandra Harding, Helen Longino, Donna Haraway que d'expliquer ainsi, de façon concomitante, qu'il faut à la fois multiplier les sujets, les objets, les domaines, les contenus, les contours du savoir, mais aussi miser et prendre acte du fait que le travail scientifique ordinaire n'est pas produit d'un point de vue de nulle part, qu'il est donc une connaissance située, pour reprendre l'expression de Donna Haraway. Alors de quelles ressources cette proposition nous dote-t-elle? Elle nous permet de penser dans le monde et d'y agir en tant qu'être connaissant du point de vue d'une perspective partielle. Donc d'intégrer le fait que nous ne sommes pas des êtres purs, monolithiques, détachés de considérations et d'enracinement sociaux, culturels, politiques, environnementaux. Cette transformation est une richesse comme l'écrit Ilana Löwy dans le livre l'invention du naturel, les sciences et la fabrication du féminin et du masculin que nous avons co-édité ensemble, en 2000, aux Éditions des Archives Contemporaines. Cela permet donc d'inclure dans le travail scientifique la passion, la critique, la contestation, la solidarité et la responsabilité. Ce qui est donc ouvert à la source à propos des conditions de production des savoirs peut être ouvert plus largement. Si nous prenons acte de la présence indémêlable de la société dans les sciences telles qu'elles se font, nous pouvons alors envisager d'infléchir collectivement la nature des sciences et ainsi de la société dans laquelle nous voulons vivre. Il existe dans l'histoire des groupes d'ignorants, entre guillemets bien sûr, qui ont entrepris de s'immiscer dans les programmes de travail, de recherches scientifiques. Et oui! Des femmes sont devenues savantes, des malades sont devenus des experts, des néophytes ont développé des savoirs alternatifs et des espaces de contre-expertise ont pu être ouverts. Cette irruption des profanes dans tous les aspects du travail scientifique ou de ceux qui sont détenteurs de savoirs indigènes doit être considérée comme une force qui apporte en fait à la société civile une conscience et des pratiques plus citoyennes et plus participatives. On va y revenir dans une séquence en écoutant sur ce sujet Bruno Strasser et Dana Mahr notamment. Pour finir cette courte introduction, nécessairement incomplète, car le champ est compliqué et il faut prendre du temps pour s'y investir et l'essentiel des textes y sont encore rédigés en anglais. Donc pour finir cette introduction à l'épistémologie féministe et la théorie de la connaissance située, je citerai un cours extrait de Donna Haraway, l'une des contributrices majeures de ce champ de réflexion avec Sandra Harding, Helen Longino et Evelyn Fox Keller. Donna Haraway, dans son article traduit en français, Situated knowledge, dans l'anthologie que nous avons livrée aux Éditions Exile en 2007 avec Laurence Allard et Nathalie Magnant, écrit, je la cite, c'est un style un peu particulier, mais qui vaut la peine d'être entendu, je pense que mon problème et notre problème est d'avoir en même temps une prise en compte de la contingence historique radicale de toutes les prétentions au savoir et de tous les sujets connaissants. Il s'agit donc de développer une pratique critique qui permette de reconnaître, dit-elle, nos propres technologies sémiotiques de fabrication des significations et aussi de développer un engagement sans artifice pour des récits fidèles d'un monde réel qui puisse être partiellement partagé et ouvert, écrit-elle, au projet planétaire de liberté mesurée, de richesse matérielle acceptable, de tempérance dans le sens donné à la souffrance et de bonheur limité. Je la cite encore un peu plus loin, nous avons besoin du pouvoir des théories critiques modernes sur la façon dont les significations et les corps sont fabriqués, non par pour dénier significations et corps, mais pour vivre dans les significations et dans des corps qui aient une chance dans l'avenir. Et j'ajouterai que chez Haraway, l'avenir c'est toujours, ici et maintenant. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]