[MUSIQUE] [MUSIQUE] L'université est un espace public spécifique où travaillent et étudient des personnes aux statuts très divers : professeurs, enseignants, personnel administratif, étudiants. Comme tout espace public, il est traversé par des formes de sexisme que ce soit par exemple dans les supports qui sont utilisés dans les cours, mais on y trouve également des formes de harcèlement sexuel à la fois entre pairs mais également dans le rapport entre enseignants et étudiants. La spécificité est que les étudiants ne sont pas engagés dans un rapport professionnel qui lui est couvert par un cadre juridique mais qu'il existe des hiérarchies spécifiques qui sont liées au prestige, qui sont liées à la transmission des savoirs qui sont en jeu et il importe donc de s'en saisir. Stéphanie Carneiro et Alice Debiolles sont membres du CELVS qui est un collectif d'étudiantes suisses contre le harcèlement et le sexisme à l'université et elles vont donc nous présenter maintenant qu'est-ce que le sexisme et le harcèlement sexuel à l'université. Créé en 2015, le collectif d'étudiantes en lutte contre les violences sexistes et le harcèlement sexuel est né sous l'impulsion d'un groupe d'étudiantes face au problème toujours grandissant de problématiser et de visibiliser le harcèlement sexuel à l'université de Genève. À présent, nous agissons localement mais aussi au niveau national et nous avons élargi notre spectre aux différents lieux de formation. Lorsqu'on parle de sexisme ou de violences sexistes, on a souvent tendance à oublier que ce type de violences sont présentes dans nos sociétés, dans tous les milieux et de manière quotidienne. Cela ne touche pas uniquement certaines classes sociales et ce n'est pas lié à l'origine culturelle mais cela concerne bien tout le monde, y compris dans les lieux de formation. En tant que lieu de production de savoirs et de réflexions, on pourrait penser que les lieux de formation tels que les universités sont exemptes de violences sexistes. C'est pourtant loin d'être le cas. Le sexisme est une discrimination basée sur le sexe. En se fondant sur des normes et des représentations naturalisées, il vise à ce que chaque personne reste dans la catégorie qui lui a été assignée, homme ou femme, notamment en réprimant tout comportement qui s'éloignerait de cette binarité homme femme comme par exemple le fait de posséder certaines caractéristiques jugées propres à l'autre sexe ou encore d'avoir une sexualité dite déviante par rapport à la norme hétérosexuelle. À l'heure actuelle, on parle de plus en plus du sexisme ordinaire. Tous ces petits signes en apparence anodins, des propos, des comportements, des attitudes, qui insidieusement, de manière consciente ou non, déstabilisent, infériorisent et délégitiment les femmes au quotidien. Il peut s'agir de blagues, d'interpellations familières ou de questions intrusives qui n'ont pas lieu d'être. Dans les lieux de formation, on le retrouve aussi bien dans les discussions de couloir que sur les affiches de fêtes estudiantines ou encore dans le support de cours de certains professeurs. Le sexisme peut se manifester de manière hostile mais aussi bienveillante, dans tous types de rapports entre étudiants et étudiantes, entre assistants et professeurs, entre assistants et étudiants, ou vis-à-vis du personnel administratif. Le harcèlement sexuel est aussi appelé harcèlement sexiste car il constitue un acte concret de sexisme. Dans la loi suisse, il est défini comme tout comportement à caractère sexuel ou fondé sur l'appartenance à un sexe qui n'est pas souhaité par une personne et qui porte atteinte à sa dignité. En Suisse, la répétition de l'acte n'est même pas nécessaire. Mais surtout la chose la plus importante, c'est que c'est bien le ressenti de la personne concernée qui fait foi pour déterminer si c'est un cas de harcèlement sexuel ou non. Cependant, cette loi ne s'applique qu'aux relations de travail, laissant ainsi un vide juridique dans ces lieux de formation, puisque les étudiants et étudiantes n'ont pas de contrat de travail. Bien que les établissements de formation aient souvent une charte visant à protéger les individus, le harcèlement sexiste reste silencieusement bien présent, comme l'attestent notamment les mythes du harceleur pervers psychopathe et celui de la frêle victime naïve. En réalité, il s'agit d'une série d'actes verbaux et non verbaux que l'on considère très souvent comme anodins. Par exemple une blague sexiste, une main qui frôle, un commentaire rabaissant ou encore un regard insistant. Et surtout on se dit mais ce n'était qu'une blague, ou c'était juste pour rire, j'ai mal interprété, ou c'est peut-être même de ma faute. Ces faits sont banalisés et créent petit à petit un climat hostile et oppressant. Les lieux de formation sont particulièrement propices au harcèlement, puisqu'il y a de nombreuses interactions entres les pairs et même des relations de dépendance comme entre les doctorants, doctorantes, avec leurs directeurs et leurs directrices de thèse, qui sont liés non seulement professionnellement mais aussi intellectuellement et souvent financièrement. On observe également de plus en plus de cas de cyber harcèlement via les réseaux sociaux, les applications mobiles, ce qui agrandit davantage le spectre et le champ d'action du harcèlement. Cela peut même passer parfois de la sphère publique à la sphère privée. Le harcèlement est souvent confondu avec la séduction que cela soit dans les établissements mêmes, dans les associations ou durant les fêtes estudiantines. Si vous avez de la peine à faire la disctinction entre les deux, l'élément central est le consentement. La séduction se caractérise par un acte réciproque et consenti par les deux personnes, tandis que le harcèlement, lui, nie les limites de l'autre. Il crée un malaise et il impose sa propre vision du monde, sa volonté, son sexisme. Voici quelques exemples plus concrets. Doctorante, mon directeur de thèse m'appelle par des petits noms comme ma chou, ma belle, ma biche. En principe à l'université, on appelle les gens par leur nom ou leur prénom. Si vous n'appréciez pas ces petits noms, il s'agit de harcèlement sexuel. Lorsque j'arrive à la pause, j'entends des blagues grossières sur les femmes en général. Cette situation constitue également un cas de harcèlement sexuel puisque ce type de comportements crée un climat hostile et contribue au sexisme. J'ai refusé l'invitation de mon professeur de séminaire. Depuis, il ne m'interroge plus, sous-évalue mon travail et me parle sur un ton agressif. En vous excluant et en vous rabaissant cet assistant exerce une forme de harcèlement sexuel et psychologique. Il aurait du accepter votre réponse, vous laisser tranquille et maintenir un climat de travail normal. Pendant une fête de mon association facultaire, un étudiant m'a envoyé une tape sur les fesses en me faisant une réflexion sur le fait que je portais un pantalon moulant. Le fait de porter des pantalons moulants ne justifie en rien des gestes déplacés. Si cette conduite vous importune, il s'agit également de harcèlement sexuel. Après avoir été décrite et identifiée sur un réseau social, je n'ose plus mettre les pieds à la bibliothèque ou en cours. Il est clair que cette situation nuit à vos études. Vous devriez pouvoir utiliser la bibliothèque et les lieux communs sans crainte d'être épiée. Il s'agit là encore de harcèlement sexuel. >> En diminuant l'estime de soi, le harcèlement a de nombreuses conséquences physiques et psychiques. Cela va de la crainte de s'habiller d'une certaine façon, de s'exprimer en public, à ne plus aller sur son lieu de formation ou de travail, ainsi que d'autres problèmes de santé. Ces conséquences démontrent la nécessité d'avoir un système de prévention et de protection efficace. Or, actuellement, il est souvent difficile de dénoncer de tels actes. En effet, même s'il existe des procédures de recours, celles-ci sont souvent insatisfaisantes et lacunaires, comme les procédures de médiation. Mais en plus, le fort risque de représailles, les témoins silencieux ou encore la protection entre les pairs sont des éléments qui renforcent [INCOMPREHENSIBLE] et la négation du sexisme et du harcèlement sexuel. Le harcèlement sexiste est une violence structurelle. Il ne s'agit pas simplement d'actes isolés et malveillants de personnes dérangées. Ces comportements sont alimentés et rendus possibles par la structure de notre société patriarcale. L'une des principales revendications du CELVS est la visibilisation du harcèlement sexuel et des violences sexistes. Il faut passer d'une politique réactive à une politique active en la matière. Selon nous, cela doit passer par un positionnement des directions des campagnes de prévention et d'information, et la formation du personnel d'encadrement. Par ailleurs, les établissements doivent faire appel à une instance indépendante afin que les cas soient traités de manière impartiale, avec des sanctions efficaces et une protection contre les représailles. De son côté, le CELVS se mobilise avec d'autres associations étudiantes suisses autour d'une campagne nationale pour que des mesures législatives soient prises, pour assurer la protection des étudiants et des étudiantes en Suisse contre le harcèlement sexuel. Mais chacun d'entre nous peut, à son échelle et à sa manière, agir au quotidien, car comme nous l'avons rappelé, nous sommes toutes et tous concernés par le sexisme et le harcèlement sexuel, notamment car cela a une influence directe sur la manière dont nous nous percevons et dont nous envisageons nos rapports aux autres. [MUSIQUE] [MUSIQUE]