[MUSIQUE] [MUSIQUE] La sociologie du genre n'a émergé que très récemment en tant que telle. Pour autant, les recherches qui se sont intéressées aux différences entre les sexes et qui ont tenté de dénaturaliser le rapport social entre hommes et femmes ne sont pas nouvelles. La sociologie du genre est en quelque sorte la fille de la perspective féministe, même si de nombreux sociologues qui ont travaillé sur cette question ne se disaient pas féministes ou ne se considéraient pas comme tels. C'est une sociologie qui, au départ, visait à souligner la dimension sociale des différences liées aux sexes et aux sexualités pour aboutir aujourd'hui à une perspective sur le monde qui souligne la dimension structurelle et organisationnelle du genre, au même titre que d'autres rapports de pouvoir comme la classe ou la race. Le genre est un des grands principes d'organisation et de compréhension du monde. La sociologie s'intéresse aux normes et aux valeurs qui organisent la vie en société, et elle tente d'expliquer le social par le social. Ainsi, la sociologie du genre ne répond pas à la question de savoir quelles sont les différences entre hommes et femmes et d'où viennent ces différences, mais elle va s'intéresser à la question de savoir comment ces différences sont socialement produites, comment ces différences sont maintenues, comment ces différences sont légitimées, comment sont-elles négociées voire contestées. Si les rapports de genres ont longtemps été invisibles aux sociologues, l'exemple classique, c'est de parler de ces sociologues qui sont allés à l'usine observer les pratiques et les tâches des ouvriers qui étaient en fait des ouvrières, une manière d'utiliser un référentiel masculin neutre qui cache en réalité une invisibilisation des expériences des femmes. Il y a des chercheuses qui se sont intéressées aux femmes, et ce dès les années 40, Madeleine Guilbert est la première des sociologues à s'intéresser au travail des femmes. Et elle va montrer ce qui sera le fer de lance de la recherche sociologique pendant des années, que le travail des femmes est dévalorisé, qu'elles sont employées pour des qualités qui sont perçues comme naturelles, et non pas pour des savoir-faire ou des compétences qui seraient davantage rétribués, qu'elles se voient confier les tâches les plus répétitives. En s'intéressant au travail des femmes, les sociologues vont également mettre en cause les distinctions usuelles et propres à la discipline entre sociologie du travail et sociologie de la famille, en montrant que pour les femmes, les frontières entre travail et famille sont à vrai dire poreuses. La famille est un lieu de travail, Christine Delphy va parler du travail domestique, et le rapport à l'emploi des femmes va dépendre largement de leur situation familiale, Maruani parlera des contingences du travail des femmes. Pour des raisons historiques liées à la production des connaissances, il importe souvent de dévoiler les expériences que font les femmes, ce qui fait que, nombreux sont les travaux en sociologie du genre qui axent davantage leur analyse sur les pratiques et les expériences des femmes. Mais la sociologie du genre s'intéresse aussi aux masculinités, c'est ce que font d'ailleurs des auteurs comme Raewyn Connell, ou aux sexualités puisque la norme hétérosexuelle est centrale dans le système de genre. Pour le sociologue, il s'agit alors de rendre compte de la façon dont ce principe organisateur participe de la production de différences et de hiérarchisation partout et tout le temps et ce en prenant en considération chaque contexte et chaque logique sociale spécifique. Il s'agit de comprendre comment ce principe organisateur se manifeste de façon différente en lien avec d'autres rapports de pouvoir, en lien avec des logiques institutionnelles, en lien avec des logiques professionnelles. En quoi par exemple il y a des normes de masculinité qui varient en fonction des catégories sociales, en quoi il y a des normes de féminité qui varient en fonction d'origines culturelles, et vice-versa. En quoi ces normes de masculinité et de féminité peuvent varier selon des logiques professionnelles. Une autre question pourrait être : Comment les politiques publiques contribuent-elles à reproduire des normes hétérosexuelles ou au contraire à mettre en cause ces normes ? Il s'agit de comprendre comment, dans chaque contexte spécifique, il y a de multiples logiques de genre, et il s'agit d'en rendre compte. Et c'est essentiel parce que cela permet de rompre avec un certain discours militant qui est extrêmement important mais qui n'est pas celui du sociologue, et de comprendre comment, dans chaque contexte spécifique, il y a des hiérarchies de genre qui vont se réorganiser et se négocier ou se réaffirmer, parfois même se contourner. Alors c'est ce que prônait Erving Goffman. Dans un article qui a été traduit relativement tard en français, L'arrangement entre les sexes, il insistait sur le fait qu'il y a une toute petite différence biologique naturelle qui pourrait n'avoir aucune conséquence sociale parce qu'il suffirait d'un peu d'organisation pour qu'elle n'ait aucune conséquence. Or, il met en évidence que cette petite différence biologique a une incidence extrêmement importante, a des conséquences sociales extrêmement importantes, et il estime donc qu'il faut expliquer la façon dont ces différences ont été et sont mises en avant, je le cite, comme garantes de nos arrangements sociaux et surtout comment le fonctionnement de nos institutions sociales permet de rendre acceptable cette façon d'en rendre compte. Ainsi, comme bon nombre de chercheuses féministes, Goffman essaie de repérer comment l'organisation sociale tout entière vise à exacerber les différences entre les sexes au détriment des similitudes. Il donne plusieurs exemples de la vie sociale, et notamment il parle des toilettes en nous disant que finalement, physiologiquement, il n'y a pas de raison de séparer hommes et femmes, mais que c'est une manière de réaffirmer les différences entre les hommes et les femmes. Christine Delphy, elle, va plus loin. Dans sont texte fondamental, Penser le genre : quels problèmes ? elle discute de la distinction sexe et genre qui est usuellement opéré entre biologique et social et qui laisserait penser qu'il y a une différence biologique sur laquelle viendrait se greffer du social, qu'on aurait d'abord du biologique, et que cette perspective serait ensuite seulement représentée socialement. Au contraire, nous dit-elle, il n'y a aucune raison que le sexe soit un marqueur de différence sociale. Pourquoi est-ce qu'on ne distingue pas finalement entre gens petits et entre gens grands, ou entre personnes qui ont les yeux bleus ou les yeux bruns. C'est bien parce qu'il y a du genre, nous dit-elle, que le sexe devient un élément de classement et de catégorisation. Le genre, affirme-t-elle, précède le sexe. Le sexe est toujours posé comme un élément biologique sur lequel viendrait se greffer du social, or elle nous dit, c'est le contraire. C'est le genre qui permet de comprendre pourquoi le sexe devient un marqueur social. Le sexe est un lieu de classification quand le genre est un principe d'organisation. West et Zimmerman dans leur article Doing gender, ils font un constat similaire. Ils se basent, comme Goffman, sur les interactions pour comprendre comment les catégories sociales sont créées et réaffirmées. Ils veulent comprendre la façon de penser le genre comme quelque chose qui est accompli au quotidien, comme quelque chose qui est accompli de façon routinière, et, ce faisant, ils vont critiquer également la distinction entre sexe et genre, car, nous disent-ils, le sexe n'est pas un donné naturel. En partant de questionnements sur les intersexués et les transsexuels, ils montrent que la soi-disant différence biologique et invariable du sexe n'est pas si évidente et que la dimension variable du genre ne l'est pas tant non plus puisque, au contraire, la socialisation différentielle, la subordination des femmes dans la division sexuée du travail laisse plutôt penser que le genre est lui aussi un peu figé. À l'instar de Goffman, West et Zimmerman, tout en ayant déconstruit eux la distinction entre sexe et genre, nous disent qu'il faut s'intéresser à la façon dont les différences sont produites dans les interactions. Le genre est un processus, il est produit au quotidien dans toutes nos interactions, il est produit au quotidien par nos institutions, celles-là même qui contribuent également à réaffirmer les différences entre les sexes, différences qui vont varier bien évidemment en fonction des contextes. Alors pour terminer, on pourrait dire que l'objectif est de voir le sens attribué socialement à un certain type de différences, ici celle des organes génitaux reproductifs, et de rendre compte de la façon dont celle-ci est produite et reproduite, dont celle-ci est négociée et contestée, non seulement dans nos interactions quotidiennes, mais également au niveau institutionnel. Ces identités sexuées ne sont pas figées une fois pour toutes ni le produit social d'une nature, ce sont des catégories qui changent, qui sont réaffirmées et qui surtout se négocient tout au long de la vie. Il s'agit donc pour la sociologie de rendre compte de la façon dont les acteurs sociaux, les institutions, acceptent, négocient récusent ces catégories de différences qui modèlent la vie quotidienne sans pour autant perdre de vue la prégnance des hiérarchies. [MUSIQUE] [MUSIQUE]