[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Quand on considère le continuum des violences de genre qu'Elyse Kelly a présenté comme une façon de conceptualiser des actes multiples et divers qui relèvent d'un même rapport de pouvoir, eh bien, la sphère professionnelle est intéressante parce que les rapports de genre vont se conjuguer à des hiérarchies professionnelles et à des rapports hiérarchiques extrêmement divers. Alors dans cet espace, les violences physiques sont moins nombreuses que dans la sphère conjugale ou intime, mais les violences n'en sont pas moins absentes. Et on parle généralement de harcèlement sexuel. Ce harcèlement est puni par la loi dans de nombreux pays, mais pour autant il n'en reste pas moins difficile à déceler et à dénoncer. Alors, j'ai avec moi Véronique Ducret, qui est psychologue, directrice du deuxième Observatoire qui est un institut de recherche et de pharmaciens sur les rapports de genre, et qui, en fin, que vous avez créé d'ailleurs, et qui est un centre de compétences en matière de harcèlement au travail et dans l'éducation. Vous avez mené par ailleurs de nombreuses recherches sur la question du harcèlement sexuel. Alors, ma première question, ell est assez simple. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que c'est que harcèlement sexuel et quelles formes il prend? >> Alors, le harcèlement sexuel est défini dans la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes. Cette loi est entrée en vigueur en 1996 et le harcèlement sexuel est considéré comme une discrimination. C'est un acte qui est important, c'est-à-dire qu'il dérange, qu'il n'est pas désiré comme son nom l'indique à connotation sexuelle ou fondé sur l'appartenance sexuelle, c'est-à-dire ce sont tous les comportements sexistes. C'est donc une atteinte à la personnalité, à la dignité de la personne. Alors, les formes. Comment se manifeste le harcèlement sexuel? Souvent, on pense qu'il y a harcèlement sexuel, quand il y a gestes physiques. Le harcèlement sexuel commence bien avant, c'est-à-dire avec des propos, des verbales, non verbales, c'est-à-dire des gestes visuels, les messages et bien évidemment les comportements physiques. Alors, concrètement, pour caractériser, pour pouvoir définir ce qu'est le harcèlement sexuel, il y a un certain nombre d'éléments. D'une part, comme je l'ai dit, il faut cette connotation sexuelle et ou sexiste, il faut que le comportement soit important, c'est-à-dire qu'il dérange et un autre point, c'est le contexte. C'est-à-dire qu'un même comportement commis par une personne ou une autre dans un contexte différent peut ou ne pas être du harcèlement sexuel. Par exemple, si mon chef me met la main sur l'épaule, peut-être que je ne le supporterais pas. Par contre si c'est un collègue, pour qui j'ai une certaine amitié, c'est un geste qui passera tout à fait naturellement. Donc des mêmes gestes peuvent être, dans un contexte donné, du harcèlement sexuel ou pas. Autre élément caractéristique, c'est le ressenti de la victime, c'est-à-dire c'est la victime qui va déterminer si c'est du harcèlement sexuel. Bien évidemment, il faudrait qu'elle prouve les faits et ce n'est pas à l'auteur de déterminer si oui ou non c'était du harcèlement sexuel, c'est-à-dire que l'auteur ne pourra pas dire je ne faisais que m'amuser, c'était de l'humour. Son intention, pour pouvoir définir si harcèlement, son intention n'est pas pertinente. Donc ça ce sont les éléments pour vraiment caractériser le harcèlement sexuel. >> Et donc qui est concerné par ce harcèlement sexuel? Est-ce que c'est des hommes autant que des femmes? Alors, principalement, ce sont les femmes qui sont victimes de harcèlement sexuel, toute femme, qu'elle soit subordonnée, employée, cadre, risque d'être harcelée sexuellement. En revanche, les hommes ce n'est pas parce qu'ils sont hommes qu'ils risquent d'être harcelés sexuellement, c'est davantage parce qu'ils ne correspondraient pas aux normes de virilité et c'est ceux-là qui vont être visés par le harcèlement sexuel. Ce sont en fait des comportements homophobes, qui sont des comportements sexistes, mais il faut bien comprendre que le fait d'être une femme constitue un risque de harcèlement sexuel contrairement au fait d'être un homme. >> Et donc vous l'avez dit, il y a une grande dimension subjective puisque, effectivement >> selon le contexte un même geste pourra être considéré comme ressenti, comme étant du harcèlement ou pas. Et donc est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi c'est si difficile finalement de déceler et de se prémunir du harcèlement sexuel? >> Alors, déceler le harcèlement sexuel c'est assez >> difficile parce que ça commence très souvent par les comportements, des actes anodins. C'est ce qu'on appelle le sexisme ordinaire, assez fréquent et c'est vrai que si il fallait réagir immédiatement à ce genre de comportement, les femmes passeraient leur vie à réagir et à ne faire que cela. Donc le harcèlement sexuel c'est quand même des comportements assez courants, assez ordinaires, qui ne sont pas d'office répréhensibles. Et c'est pour ça les personnes ont beaucoup de peine à les déceler. Moi j'avais une personne qui me disait mais c'est seulement après trois, quatre semaines que je me suis remémoré toute une série de comportements et c'est après coup que j'ai compris que c'était du harcèlement sexuel. Maintenant vous me posez la question de comment s'en prémunir. Alors, si c'était facile de s'en prémunir, il n'y aurait pas de harcèlement sexuel, parce qu'on prendrait toute une série de moyens de prévention et on se prémunirait du harcèlement sexuel. Le problème, comme je l'ai dit tout à l'heure, le fait même d'être une femme ou d'être un homme hors norme, hors norme de virilité, constitue un risque. Donc c'est pour cette raison que c'est difficile de, en tout cas, de s'en prémunir. Ce qu'il faudrait dans l'idéal ce serait pouvoir le stopper immédiatement. Le problème c'est que le stopper immédiatement ça signifie que c'est à double tranchant. C'est-à-dire soit ça passe ou ça casse et c'est ça le grand problème du harcèlement sexuel. C'est que dans quand même beaucoup de situations, quand la personne dit stop, eh bien, il y a le retour de manivelle, tu n'adhères pas, tu ne te soumets, eh bien, je vais te rendre difficile. >> Et donc en fait il y a aussi justement des logiques propres au fait que, bien, c'est le travail, c'est la ressources pécuniaire première et on est aussi dans des hiérarchies peut-être qui ont une incidence. >> Tout à fait. Le fait d'être sur le lieu de travail fait que la personne va réfléchir à deux fois de se plaindre, de dénoncer parce qu'elle a peur que sa situation se dégrade encore davantage. Il faut quand même savoir que une des conséquences du harcèlement sexuel, c'est la perte de l'emploi. Alors, soit perte de l'emploi parce que la personne démissionné parce qu'elle n'en peut plus, ou alors perte de l'emploi parce qu'elle est licenciée. Et c'est une des conséquences relativement courantes parce qu'une personne a dénoncé le harcèlement sexuel. >> Peut-être une dernière question. Dans votre expérience, est-ce que les personnes qui ont été victimes harcèlement arrivent à faire reconnaître leurs droits? >> Alors, on a une loi qui permet de dénoncer le harcèlement sexuel, cette loi est utilisée, mais c'est sûr que ce n'est pas parce qu'on pense avoir raison que >> la justice ou l'entreprise va donner raison à la personne. C'est sûr qu'il y a des situations qui sont résolues et d'autres malheureusement qui ne le sont pas. Et c'est pour ça que je pense qu'il y ait beaucoup plus de dépôts de plainte, beaucoup plus de personnes qui se plaignent pour que finalement ce soit reconnu comme un véritable problème social et pas comme des individus, des problèmes particuliers. >> Merci beaucoup Véronique Dupret pour cet éclaircissement. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]