[MUSIQUE] [MUSIQUE] Je souhaiterais commencer par la formule de Michelle Perrot, l'historienne française, qui reprenant le titre d'un livre célèbre de Michel Foucault, écrivait, écrire l'histoire des femmes relève d'une volonté de savoir qui a longtemps manqué. Elle citait en fait implicitement le fameux livre de Michel Foucault, la Volonté de savoir, son premier tome sur l'histoire de la sexualité paru en 1976, chez Gallimard. L'objectif de cette séquence est de rappeler en mobilisant plus particulièrement les travaux de deux auteurs majeurs de l'histoire des femmes et du genre, la française Michelle Perrot et l'américaine Joan Scott, les enjeux qui entourent cette volonté de savoir. Volonté de connaître, volonté de se souvenir, volonté de conter, de nommer, de faire que les vies comptent, rappeler le travail, la condition de vie des femmes de toutes époques, et qui leur soient rendu compte donc, dans la production du récit historique. La séquence va prendre la forme du commentaire de deux extraits, qui seront donc présentés à l'écran à plusieurs reprises, lus et commentés. Tout d'abord, cet extrait de Michelle Perrot, La femme populaire rebelle, qu'elle fait paraître en 1979. De l'histoire, écrit-elle, la femme est plusieurs fois exclue. Elle l'est d'abord au niveau du récit, qui, passé les effusions romantiques, se constitue comme mise en scène de l'évènement politique. Le positivisme opère un véritable refoulement du thème féminin et, plus largement, du quotidien. L'austère Seignobos, grand maître des études historiques à l'Université, met Ève à la porte, tandis que les murs de la Sorbonne se couvrent de fresques où flottent de diaphanes allégories féminines. Les titres de ces peintures, Sainte Geneviève veille sur Paris, l'archéologue contemple la Grèce. Lui, boutonné jusqu'au col, étroite sa redingote, elle, vaporeuse dans ses voiles. C'est que, comme nous le dit Michelle Perrot, le métier d'historien est un métier d'homme qui s'écrit généralement au masculin. Les champs de l'histoire, telle qu'elle s'écrivait pour l'essentiel, étaient donc ceux de l'action, du pouvoir, de la conquête des territoires. Même quand elle est économique, comme nous le rappelle Michelle Perrot, l'histoire privilégie les classes sociales hautes et néglige les pauvres, et les sexes. La deuxième limite à cette historiographie, telle qu'elle est présentée et critiquée par Michelle Perrot, c'est la question des sources, des matériaux qu'elle utilise. Quelles sont les conditions pour écrire l'histoire des femmes? Où trouver les matériaux? Les historiens ancien style travaillent sur l'archive diplomatique ou administrative, les documents parlementaires, les biographies, les publications qui sont pour l'essentiel produites par des hommes. C'est que, comme dit Michelle Perrot, les hommes ont le monopole de l'écrit, comme de la chose publique. Pour écrire l'histoire populaire, on est dans cette difficulté de retrouver des traces. Mais, comment faire pour retrouver des traces, pour écrire l'histoire des femmes? Double exclusion, de nouveau, nous l'indique Michelle Perrot. L'exclusion féminine est plus forte quantitativement, je la cite. Mince est l'écrit féminin et étroitement spécifique. Livres de cuisine, manuels d'éducation, contes récréatifs ou moraux en constituent la majeur part. Michelle Perrot questionne dans ce texte la possibilité d'accéder à la mémoire des femmes, à leur existence collective et individuelle, à leur expérience sociale, et elle conclut. Femmes emmurées, comment vous rejoindre? Ce premier temps de l'histoire des femmes est donc un temps de la remémoration, de la collecte, de la compensation. Il s'agit d'écrire sur la vie des expériences passées et abolies, inconnues, méconnues, non reconstituées. Donc, il y a ce temps de la réparation et de la mémoire qui va occuper toute une première partie de l'historiographie de l'histoire des femmes, dans tous les pays d'Europe. En France, on le voit sous la plume d'une Michelle Perrot, mais ailleurs, aux États-Unis, en Angleterre, partout dans le monde. Dans un deuxième temps, cette idée que l'histoire des femmes peut être retrouvée se transforme vers un autre paradigme, une autre façon de questionner le récit et le passé, qui est celui qui définit l'interrelation entre le féminin et le masculin, ou qui questionne l'historicité des rôles sociaux de sexes, et la relationalité entre ces rôles, dans le passé, les cultures passées, celles du présent, et donc dans différentes périodes historiques et différentes ères géographiques et culturelles. Donc, on passe d'une histoire finalement des femmes à une histoire plus relationnelle. On écrit donc et on réinterroge l'écriture de l'histoire à partir de ce que cela change d'avoir fait émerger le continent des vies oubliées des femmes, mais aussi donc, on questionne la naturalité généralement admise des rôles sexués au masculin, ou de la relationalité, du rapport de pouvoir entre les hommes et les femmes. Cette deuxième phase de l'histoire des femmes est donc une histoire plutôt du genre, c'est-à-dire une histoire qui pose, au cœur du récit et de l'investigation, la question de la relationnalité. Je vais donc maintenant, pour vous introduire à cette nouvelle dimension, rendre compte du travail et des écrits de Joan Scott, qui est une des principales théoriciennes de ce mouvement, et une des figures essentielles de l'histoire des femmes et du genre et de la théorie féministe. Ce ne fut pas suffisant, écrit-elle, pour les historiens et les historiennes des femmes de prouver soit que les femmes ont une histoire, soit qu'on pourrait l'écrire. Pour ce qui est de l'histoire des femmes, la réaction de la plupart des historiennes fut la reconnaissance et ensuite le renvoi de l'histoire des femmes à un domaine séparé. Les femmes auraient une histoire séparée de celle des hommes. Laissons donc les féministes faire l'histoire des femmes, cela ne nous concerne pas forcément, ou bien, on pouvait entendre l'histoire des femmes concerne le sexe, la famille, des sujets mineurs, qui sont séparés de la vraie histoire, de l'histoire politique et économique. Pour ce qui est donc de la participation des femmes à l'histoire, la réaction fut un intérêt minime, nous dit Scott. Dans le meilleur des cas, on pouvait entendre des collègues dire, je cite, ma compréhension de la Révolution française ne change pas en apprenant que les femmes y ont participé. Je m'arrêterais ici justement si Dominique Godineau, par exemple, a profondément transformé l'histoire de la Révolution française en montrant la contribution des émeutières aux luttes dans les émeutes pour la faim, et au mouvement parisien et aux clubs, à la constitution des clubs parisiens et politiques, sous la Révolution française. Le défi qui est lancé est donc à la fois empirique et théorique. C'est aussi ce sur quoi insiste Scott. En dernière analyse, dit-elle, le défi est théorique. Il exige non seulement de restituer les expériences masculines et féminines passées, mais aussi de lier l'histoire du passé et les pratiques historiques actuelles. Elle nous questionne. Comment le genre fonctionne-t-il dans les rapports sociaux humains? Comment le genre donne-t-il un sens à l'organisation et à la perception de la connaissance historique? Les réponses, dit-elle, dépendent du genre comme catégorie d'analyse. Cette expression, c'est le titre de cet article célébrissime, un culte de l'histoire des femmes et du genre, Genre, une catégorie utile de l'analyse historique, dans sa version française parue en 1988, et qui fonde cette perspective du genre dans une dimension déjà et toujours appuyée sur la question du pouvoir. Je la cite de nouveau. Le genre est un élément constitutif des rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes, et, le et compte, le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir. Toute l'histoire du questionnement, dans le champ des études de genre, du point de vue de l'histoire, consiste donc à enrichir, à modifier le récit historique pour le faire vivre sous le mode d'une complémentarité ou d'une relationnalité qui interroge toutes nos catégories habituelles. Catégories politiques, catégories du domestique, catégories sociales, catégories économiques, autour du travail. Quelle est la valeur du travail ? Qu'est-ce que cela change à la théorie de la valeur si on fait rentrer dans la considération de l'histoire, l'histoire du travail des femmes, par exemple? Voilà tout un champ qui s'ouvre à nous et que nous allons donc en partie explorer autour des sujets que nous poursuivrons dans les prochaines leçons. [MUSIQUE]