[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] On l'a dit, quand on parle de la façon dont genre et violence interfèrent, on pense le plus souvent aux violences faites aux femmes. Certaines personnes estiment que parler de violences de genre permettrait de ne pas vraiment se confronter à la question des violences faites aux femmes et mettrait en cause finalement la perspective féministe. Pour d'autres, parler de violences de genre permet au contraire d'élargir cette catégorie des violences envers les femmes et de s'intéresser aux violences que subissent les personnes qui ne sont pas hétérosexuelles ou les personnes qui sont en transition. En effet, lorsqu'on parle de sanctions, sanctions liées à l'ordre sexué, on doit aussi s'intéresser à la norme hétérosexuelle puisque celle-ci est constitutive des normes de genre. Caroline Dayer est experte de prévention des violences et des discriminations, et elle est spécialiste de ces questions. Alors Caroline Dayer, merci d'être ici avec nous. Est-ce que vous pouvez déjà nous dire quels sont les actes que recouvrent, quand on parle de violences de genre et de violences homophobes et transphobes. >> Je pense effectivement que c'est intéressant d'élargir la perspective, parce qu'on peut vraiment se questionner sur les violences qui vont en fait se fonder sur la triade sexe, genre et sexualité. Et ces actes-là, moi je les compare très souvent en fait à un spectre de couleurs, c'est-à-dire que ces violences peuvent aller de l'injure, qui est extrêmement banalisée, qui n'est que la pointe de l'iceberg. Mais dans ce spectre de couleurs, on voit qu'il y a des violences beaucoup plus fortes et visibles ou audibles, le passage à tabac qui est récurrent sur les questions transphobes ou homophobes par exemple, ou bien le déni, l'invisibilisation et la mise à l'écart. Donc on voit que dans ce spectre de couleurs concernant le sexe, le genre ou la sexualité, on a vraiment cet aspect effectivement des sanctions de la police du genre qui va finalement s'abattre sur toute personne qui va transgresser les codes de genre socialement admis dans une société donnée. Donc on voit que ce qu'il y a d'intéressant c'est que la plupart du temps, les violences homophobes ou transphobes vont des fois s'abattre sur des personnes qui ne s'estiment pas trans ou ne s'estiment pas homosexuelles ou bisexuelles. Si je reformule autrement, on voit qu'à chaque fois qu'on entend l'injure sale pédé, si à chaque fois cette personne était vraiment homosexuelle, l'univers serait rempli de personnes homosexuelles. >> Donc, ce que vous voulez dire, c'est qu'il y a aussi des personnes qui ne présentent pas les >> catégories adéquates, finalement qui sont victimes? >> Tout à fait, et on voit que distinguer par exemple rôle de genre, expression de genre et identité de genre devient fondamental pour vraiment déployer la compréhension des violences de genre et l'homophobie et la transphobie. Pourquoi? Parce qu'au fait, typiquement si on prend le milieu scolaire, une fille qui va faire du foot ou un garçon qui va jouer à la poupée, on est vraiment dans des rôles, on voit que les injures ou les moqueries peuvent s'abattre, alors qu'on ne sait rien de la sexualité de ces enfants. Ces enfants sont jeunes. Eux et elles ne savent même pas qui elles sont et qui ils sont encore. Donc, ce que je veux montrer par là, c'est que le rôle de genre lorsqu'il est transgressé peut poser problème et du coup il peut y avoir une sanction. Concernant l'expression de genre, de nouveau en termes de codes masculins ou féminins, la longueur des cheveux, un garçon qui met du rose, une fille qui n'aime pas justement, on va dire les clichés qui sont associés à son sexe. Elle n'a pas du tout envie de s'habiller comme la reine des neiges par exemple. Donc cette fois, on est dans l'aspect des expressions de genre, on voit que là aussi très tôt les violences peuvent s'abattre. Et finalement la question de l'identité de genre nous permet de comprendre davantage la question de la transphobie, puisque l'identité de genre, c'est la façon dont les personnes vont se sentir intimement et profondément, indépendamment du sexe qui a été assigné à la naissance. Donc, là on voit que les personnes qui vont se sentir en adéquation, elles vont s'autodéfinir comme cisgenres. On en parle très peu, de ce terme, parce que c'est comme s'il était tout à fait logique. Et les personnes qui ne vont pas se sentir en adéquation, on va justement se nommer comme personnes trans. On évitera très souvent d'utiliser le mot transsexuel pour deux raisons : la première, ça n'a rien à voir avec la sexualité, et la deuxième, c'est que ce mot-là provient de la psychiatrie, qui a donc participé à pathologiser ces personnes. Par contre, si une personne trans dit qu'elle désire s'autodéfinir comme transsexuelle, on va bien sûr respecter sa volonté. >> Line Chamberland, elle nous dit que ces violences homophobes et transphobes sont en fait des violences sexistes. Qu'est-ce que ça veut dire? >> Je rejoins tout à fait cette perspective, et je pense que le mot sexisme comme le mot hétérosexisme ou le mot cisexisme sont vraiment des concepts incontournables. La première raison, c'est : on parlait tout à l'heure d'homophobie, de biphobie, de transphobie, la problématique avec le mot de phobie, c'est que ça va psychologiser et individualiser ces phénomènes-là. Alors qu'on a affaire à de la haine organisée par moments. Lorsqu'on voit des personnes qui défilent dans la rue, avec des pancartes contre l'égalité, ce ne sont pas des personnes, je compare souvent ça à l'arachnophobie, qui ont peur des araignées, c'est pas pour autant qu'on descend dans la rue pour nier l'existence des araignées par exemple. Donc quand on parle de sexisme, hétérosexisme, cisexisme, on quitte cet aspect très psychologisant et individualisant pour partir dans les systèmes qui vont produire les violences dont on a parlé. Donc pourquoi sexisme, hétérosexisme et cisexisme sont interreliés? Parce qu'en fait, ce sont des idéologies qui vont hiérarchiser pour le sexisme, les sexes, pour l'hétérosexisme, les sexualités. >> Et vous avez parlé quand même d'un terme très fort, de haine organisée, >> on parle de violences, mais on pourrait dire qu'il y a beaucoup de ces violences qu'on qualifie souvent de discrimination. Alors quel est le lien entre discrimination et violence et haine organisée? >> Tout à fait. Je pense que ce lien-là, il est fondamental puisque les violences, comme on a vu, c'est vraiment à mon avis des manifestations de ces systèmes idéologiques qui peuvent aller de l'injure aux coups, mais on a autant la violence institutionnelle que symbolique. Alors que si on prend une définition des discriminations, on pourrait vraiment être davantage dans un traitement inégal. Donc discriminer, c'est pour une même chose, ne pas donner la même valeur ou ne pas donner par exemple le même salaire, si on reprend aussi la question du sexisme. Donc la discrimination, on est vraiment dans les questions en fait d'actions d'inégalité et de traitement qui n'est pas le même. >> Mais souvent, quand on parle d'homophobie et transphobie, on parle souvent de discrimination plus que de violence. Alors à quel moment commence, on peut parler de violence? >> Je pense vraiment que la question des violences homophobes ou transphobes, c'est vraiment >> autant la question de l'injure que du passage au tabac. Donc, ce sont des violences qui émanent de ce système-là. Et le système discriminatoire, ce sera vraiment le fait de traiter d'une manière inégale ces personnes-là. Donc, en fait, on voit que les questions d'homophobie et de transphobie concernent à la fois les violences, qu'elles soient physiques, psychiques, institutionnelles ou symboliques, que les discriminations en tant que telles. Par exemple en Suisse, les personnes homosexuelles n'ont pas le droit de se marier. Donc là, on voit qu'on ne parle pas seulement de violence et de discrimination, mais aussi d'égalité de droits et de reconnaissance. Et on voit aussi que cet acronyme, comme on est en train aussi de parler d'une dimension plus politique, cet acronyme lesbienne, gay, bi, trans, intersexe et queer, il est à la fois problématique, parce que dans certaines lettres, on parle de sexe, des fois de genre, des fois de sexualité, et du coup, les parcours sont extrêmement diversifiés à l'intérieur de ces lettres. Mais cet acronyme a quand même un avantage, c'est justement de montrer qu'on est dans un moment historique où les personnes qui sont concernées par sexe, genre, sexualité sont davantage la cible de violences et vivent encore des discriminations. >> Merci beaucoup, Caroline. >> Merci à vous. [MUSIQUE]