[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous poursuivons sur une autre séquence de néolibéralisme, toujours en compagnie de Fenneke Reysoo. Une question plus précise maintenant, suite au panorama que vous avez dépeint avant, au regard des transformations évoquées, que vous avez bien évoquées avant, peut-on parler d'une instrumentalisation du genre par le néolibéralisme, réduisant en quelque sorte le genre à une variable? >> Alors, ce qui est intéressant, comme je venais de vous dire que la doctrine néolibérale, la maximisation >> de profits pour des industries, des grandes industries sur un marché libre, sans entraves aux échanges commerciaux permet justement d'exploiter la main d'oeuvre bon marché d'une partie du monde, la nouvelle division internationale du travail où les femmes dans certaines parties du monde peuvent rentrer sur le marché du travail, >> et toutes ces masses de femmes qui deviennent consommatrices. Alors ce qui est intéressant, c'est présenté comme une économie inclusive. On veut tirer profit de tout le potentiel économique des femmes. Et quand on écoute un discours prononcé par Koffi Annan en 2006 au 60ème anniversaire de la Commission on the Status of Women, la Commission sur le statut des femmes, il a dit : Le monde commence à comprendre qu'il n'y a pas d'outil plus effectif pour le développement que l'empowerment des femmes et des filles. Étude après étude nous apprend qu'aucune autre politique n'est capable d'accroître la productivité économique. Donc bien sûr, on ne peut pas contrecarrer que c'est bien de développer, ou de empower, autonomiser les femmes et les filles, mais c'est quand même au service d'un autre agenda qui est économique. Et dans le dernier rapport du World Economic Forum, le WEF, dans le rapport Gender Gap Report, l'écart de genres, il est écrit : Les droits des femmes sont cruciaux pour la croissance et le développement économique. Donc là aussi le droit des femmes est mis au service d'une croissance économique. Et bien sûr tous ces organismes de développement, que ce soit le PNUD, le Programme des Nations Unies pour le Développement, le WEF ou le OECD veulent mesurer et une des mesures est justement la participation des femmes au marché du travail. C'est un marché du travail formel, je ne parle même pas de la formalisation de l'économie, de cette féminisation de l'économie ou de la participation au travail, qui bénéficie aux industriels, ce qu'on a vu, mais ils ne questionnent pas ce qui se passe du côté privé, disons à la maison, comment organiser ce travail reproductif. Et j'ai déjà dit que ça peut faire des doubles journées de travail etc. Alors au niveau des féminismes internationaux, ce qui est intéressant est qu'en fait il y a une sorte de féminisme néolibéral qui a émergé, qui est pro marché, qui prône l'accès à l'emploi pour les femmes dans le monde entier. Donc il faut aussi les éduquer, s'investir dans l'enseignement, et il y a des féministes, et là elles se situent par rapport à la classe sociale et aux races plutôt du côté des couches socialement plus basses et des femmes de couleur, qui ont bien vu qu'avec le démantèlement de l'État, sous un régime néolibéral, il y a moins de services sociaux. Et quand il y a moins de services sociaux, que ce soit dans la santé, l'éducation etc, ça tombe beaucoup sur les femmes. Et il y a moins d'allocations, moins de protection sociale, donc l'écart se creuse entre celles qui peuvent se permettre de faire une carrière et celles qui n'auront plus le soutien de l'État. Même éduquer les filles, on a de plus en plus privatisé l'enseignement ou les écoles, et là aussi c'est un bénévolat qui se met en place et c'est souvent des femmes qui rentrent dans cette niche du marché. Donc en fait, quand on parle d'instrumentalisation, oui on ne conteste pas que les femmes peuvent accéder au travail, mais dans quelles conditions et comment organiser aussi le côté reproductif, la reproduction sociale est souvent mis de côté, et aussi qu'il y a énormément de femmes qui trouvent à ce moment leur emploi dans le marché informel. >> En guise de conclusion, une question un peu plus concrète. Pourriez-vous nous expliquer comment cette transformation du genre par le néolibéralisme pèse sur les normes de féminité et de masculinité? >> Alors cette question, elle est très intéressante, parce que, moi je dirais, du côté des femmes, on peut parler de la femme épouse, mère, actrice économique, actrice politique. Elle se conjugue ouvrière globale comme on a vu avec la dextérité. Il y a la mère travaileuse, pas celle de l'Union soviétique qui était honorée, mais celle dans les classes moyennes qui utilise la nouvelle division internationale du travail, du care, donc des soins, et puis il y a une émergence de superwomen dans les professions libérales, qu'Angela McRobbie a appelée la femme post-féministe et qui serait capable de consommer et d'agir en tant que sujette de sa vie. Elle aurait vaincu les contraintes des prescriptions patriarcales, elle s'hypersexualise, elle utilise tout un dispositif publicitaire industriel de cosmétique et même de chirurgie esthéticienne pour répondre à une sorte de modèle de féminité, qui montre en même temps qu'elle est toujours femme, séductrice, mais l'égale des hommes dans les emplois. De l'autre côté, il y a, je l'ai dit au niveau du rôle de gagne-pain des pères, donc l'homme père ne gagne pas, une érosion du salaire familial, donc un autre salaire devient nécessaire. Il y a une concurrence sur le marché du travail parce que les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail, donc les salaires stagnent. En même temps, il y a des secteurs qui émergent où les hommes peuvent trouver du travail. C'est par exemple les banques, les assurances etc, et on l'a vu, avec la crise financière, c'est la cupidité mais c'est aussi le zero job security. Il y a des suicides quand on est licencié. Donc en fait il y a une masculinité en panne et qu'on a l'émergence, et on l'a vu récemment dans les élections aux États-Unis, et on va voir ce qui se passe cette année, the angry white man, Donc on pourrait dire, alors il y a des féminités à la fois dociles, libérées et hypersexualisées qui émergent, il y a des masculinités en panne, violentes, cupides qui émergent. Alors effectivement, on peut parler d'une instrumentalisation des femmes par justement cette rhétorique d'utiliser leur potentiel économique ou ce que la Banque mondiale a appelé le smart economics. Et puis en fait au niveau des mouvements féministes, ça se conjugue à différentes manières. Premièrement, cette idée hégémonique de la participation des femmes au marché de l'emploi a incité des décideurs à couper des budgets dans les services sociaux, une division entre les féministes avec un agenda de justice sociale, en fait pro État-providence, donc interventionniste, et les féministes mainstream, pro marché émergent dès les années 1990. Donc en fait il y a des schismes on pourrait dire, pour ne pas parler en plus des féminismes et des mouvements féministes qui émergent dans les pays du sud selon la classe sociale, la race, la sexualité etc. Donc c'est complexe, mais je pense que si on veut faire une division plutôt, disons néolibérale et à droite et pro État-providence et justice sociale plus à gauche, là c'est sûr qu'il y a des divisions qui émergent, et c'est tout l'enjeu. >> Fenneke Reysoo, je vous remercie. >> Merci. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]