[MUSIQUE] [MUSIQUE] Si l'analyse des violences ne doit pas se comprendre comme une forme marginale d'interaction sociale, il convient également de remarquer qu'elle ne concerne pas seulement les violences physiques ou l'usage de la force, même si on présente souvent ces violences comme étant les seuls objectifs. Lorsqu'il est question de violences, il y a toujours une part de subjectivité parce que quand on parle de violences, il est impossible de ne pas se référer à des normes, selon les sociétés, selon les catégories sociales, selon les contextes. Certains actes vont être catégorisés, étiquetés comme relevant de violences, quand ces mêmes actes, dans d'autres contextes, ne le seront pas. Un exemple typique est celui des rapports sexuels forcés entre conjoints qui est désormais dans beaucoup de pays pénalisé et considéré comme un viol conjugal, mais qui a longtemps été considéré comme relevant des devoirs naturels entre époux. En raison de cette définition normative, on peut dès lors étendre la définition non plus seulement aux seules violences physiques, mais à ce qu'on va appeler les violences psychologiques, c'est-à-dire aux violences qui vont atteindre à l'intégrité de la personne. On parlera bien sûr des violences qui prennent le corps pour cible, mais on parlera aussi de ces violences qui permettent d'affecter la capacité d'une personne à prendre des décisions autonomes. Elles peuvent s'exercer à travers des formes de contrôle, des formes d'humiliation, ou de contrainte. Alors, de quoi parle-t-on quand on parle de violences de genre? Les violences de genre, elles recouvrent une pluralité d'actes de nature psychologique, physique et sexuelle qui viennent sanctionner une transgression de l'ordre sexué, et qui permettent de réaffirmer la dimension structurelle des rapports de pouvoir que sont les rapports de genre. Le genre est compris ici de façon constructive ou performative. C'est-à-dire que c'est un rapport de pouvoir, un attribut qui n'est pas fixe, mais qui se réalise jour après jour au quotidien, à travers des normes, à travers des contraintes, et donc, les violences sont constitutives de la réaffirmation et de l'existence du genre. Elles permettent de réaffirmer la bicatégorisation, elles permettent de réaffirmer les hiérarchies, hiérarchies entre identités masculine et féminine, hiérarchie également entre sexualités. On peut donc citer les violences sexuelles, les violences dans les relations intimes, que ce soient des violences conjugales ou entre amoureux. On peut citer le harcèlement sexuel, que ce soit dans les espaces professionnels ou dans les espaces de loisirs. On peut citer ce qu'on appelle le fémicide, qui est donc le meurtre de femmes. On peut citer les violences homophobes, ou sévices, viols, injures, harcèlements, enfermements, contrôles, humiliations, autant d'actes et de brutalités physiques et psychologiques qui entrent dans la définition des violences de genre, et en particulier des violences masculines à l'encontre des femmes, sans qu'évidemment la liste soit exhaustive. Alors, je parle ici de violences masculines à l'encontre des femmes, car si ces diverses formes de violences interpersonnelles ont toujours existé, ce sont les mouvements féministes qui ont permis d'en rendre compte, de les rendre publiques, c'est eux qui ont contribué à leur reconnaissance, à leur théorisation, en soulignant la très large proportion de femmes qui les subissent de la part d'un proche, de la part d'un parent, d'un conjoint, d'un collègue, et c'est pourquoi on peut dire que l'accent est largement mis sur les violences masculines à l'encontre des femmes, et sur les expériences que font les femmes de victimation, en tant que cibles de ces violences. Ces mouvements ont donc contribué à la reconnaissance des victimes de violences en général, et c'est à partir des années 1970 que les mouvements des femmes ont réussi à imposer le débat sur la scène publique en dénonçant la dimension privée ou individuelle qui était encore trop souvent associée aux violences sexuelles et aux violences conjugales, et à les qualifier comme étant politiques et collectives. À travers la mise en récit collective des souffrances vécues, des souffrances infligées aux femmes, les féministes ont dénoncé la non-reconnaissance de ces violences, elles ont dénoncé la naturalisation de ces violences, et elles ont également dénoncé la trop grande tolérance qui existait à l'égard de ces violences, et la tendance à tenir les victimes pour responsables des actes qu'elles avaient subis. La dénonciation de la culpabilisation des victimes est aujourd'hui encore une dimension constante et centrale de l'analyse féministe des violences. Donc, ces mouvements des femmes ont réussi. Qu'est-ce qu'ils ont réussi à faire? Ils ont réussi finalement à faire changer la définition qu'on avait des violences. Ils ont réussi à faire changer le point de vue qu'on avait sur les violences conjugales et les violences sexuelles. Sous l'influence de ces revendications, les instances internationales se sont saisies de cette question. L'ONU d'abord en 1993, qui a adopté la déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et puis un moment charnière, la quatrième conférence mondiale des femmes à Pékin, en 1995, qui va être le moment où on va prendre en considération cette question des violences, notamment dans la plate-forme d'actions qui va suivre, et les plates-formes d'actions qui vont suivre ensuite. L'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, a ensuite formulé ses propres recommandations dans un rapport qui va être publié en 2002, et l'Union Européenne va signer en 2011 la Convention d'Istanbul qui va être un des premiers textes contraignants pour les Etats. Toutes ces mobilisations féministes ont permis à cette catégorie, violences faites aux femmes, d'apparaître comme une catégorie d'action légitime à la fois au niveau international, mais aussi dans les différents niveaux nationaux, et ils ont donné lieu à des formes d'institutionnalisation de la prévention de la sanction, des luttes contre les violences faites aux femmes, sous forme de lois, sous forme de politiques, sous forme de programmes de prévention, qui se circonscrivent principalement autour de la notion de protection des femmes, renforçant peut-être ici l'idée que les femmes seraient vulnérables par nature. Alors, comment les féministes ont-elles théorisé cette question? C'est ce qu'on va voir dans la prochaine séquence. [MUSIQUE] [MUSIQUE]