[MUSIQUE] [MUSIQUE] Pour progresser en tant que négociateur, il faut déjà être conscient de certains biais trompeurs, d'intuitions contreproductives. L'analyse de négociations, de discussions avec de nombreux négociateurs nous ont permis d'étudier, d'identifier bien des intuitions malheureuses en négociation. Et dans cette vidéo, je voudrais en évoquer quelques-unes afin que vous les évitiez. Tout d'abord, il est faux de croire qu'il n'y a pas de cercle d'apprentissage en négociation, et que donc, on n'apprend jamais rien. C'est faux. Je vous conseille d'adopter le point de vue radicalement inverse. Considérez toute négociation importante comme une occasion d'apprentissage. Autrement dit, à la suite d'une négociation, prenez un peu de temps pour analyser votre performance. Cette analyse ex-post ou ce ret-ex (retour d'expérience) comporte deux volets, et c'est très simple. D'une part, identifiez ce qui a fonctionné, et pourquoi. Cela vous aidera de savoir si vous avez été bon, vraiment bon, ou simplement si vous avez eu un coup de bol terrible. Vous pourrez ainsi identifier vos points forts et vous reposer dessus en toute confiance pour votre prochaine négociation. D'autre part, identifiez tout aussi lucidement ce qui n'a pas fonctionné, et pourquoi. Cela vous évitera de simplement rejeter le blâme sur l'autre en disant, " la négociation a échoué parce que l'autre n'a pas compris à quel point nous sommes excellent ". Et vous pourrez ainsi peu à peu identifier vos points faibles, ceux que vous avez tout intérêt à améliorer avant votre prochaine négociation. Selon l'importance de la négociation, le fait de réfléchir à ces deux questions simples, qu'est-ce qui a bien marché et pourquoi, qu'est-ce qui n'a pas bien marché et pourquoi, peut prendre quelques minutes ou plusieurs heures et vous pouvez le faire seul ou avec des collaborateurs. Pratiquer de manière informelle cet exercice de ret-ex peut s'avérer excellent pour développer un bon esprit d'équipe et une capacité collective à aller un cran plus loin dans les négociations. D'ailleurs, à titre personnel, je vous recommande vivement de créer quelque part sur votre ordinateur un petit fichier dans lequel vous conduirez cette analyse après chaque négociation. C'est le meilleur moyen de continuer à progresser toute votre vie en tant que négociateur. Vous entrerez ainsi dans un cercle vertueux. Votre analyse vous aidera à vous concentrer sur les bonnes questions lors de votre prochaine préparation, et donc d'obtenir de meilleurs résultats lors de la négociation, que vous analyserez à leur tour, etc. Une autre idée fausse mais répandue est notre tendance naturelle à sous-estimer l'autre partie et à nous faire un peu trop confiance. Mieux vaut adopter le point de vue inverse, votre interlocuteur a justement été choisi par son organisation parce qu'il ou elle est capable et compétent. Évitez de tirer des conclusions trop rapides du type " non mais s'il ne comprend pas, c'est qu'il est stupide ". Non, peut-être que c'est vous qui n'avez pas été suffisamment clair, explicite. Autre exemple, " il est nerveux parce qu'il ne sait pas se contrôler ". Non, peut-être que c'est vous qui ne savez pas vous contrôler, qui avez une tendance à témoigner une agressivité qui bloque tout. Une troisième idée reçue tout aussi fausse consiste à croire que la négociation serait toujours et uniquement une pure compétition. L'objectif serait de battre l'autre. Au contraire, personne n'aime être battu par son adversaire. A titre d'exemple, soulignons une grande différence entre la négociation, ce dont on parle, et le tennis de haut niveau. Imaginez la finale lors d'un tournoi du Grand Chelem. Mené deux sets à zéro et cinq jeux à un dans le troisième set par Djokovitch, Andy Murray sait qu'il va se prendre la pâtée et perdre le match. Peut-il subitement dire à son adversaire " Tu es sympa, mais franchement ça ne nous mène à rien, je quitte le cours maintenant, et peut-être qu'on se retrouvera l'an prochain pour un autre match "? Non, il ne peut pas. Il n'a pas d'autre choix que de se faire aplatir. En négociation, c'est différent. Sauf cas exceptionnel, celui qui a l'impression que l'accord ne sera pas assez avantageux pour lui peut quitter la table en disant " tanpis, il n'y a pas d'accord. Je n'ai pas perdu et vous n'avez rien gagné ". Avec mon équipe, au sein de l'Institut de recherche et d'enseignement sur la négociation à l'ESSEC, nous avons travaillé à ce jour dans 79 pays à travers le monde. Et nous n'avons encore jamais rencontré la tribu bizarre dont les gens seraient heureux de perdre encore et encore pour que vous puissiez toujours gagner. Ca n'existe pas. Il est peut-être naïf de croire que les approches gagnant gagnant seraient toujours possibles, le monde n'est pas entièrement gagnant gagnant, mais il est bien plus naïf, et voire puéril de s'attendre à ce que l'autre accepte de perdre encore et encore pour vous laisser toujours gagner. Les dix fautes suivantes vous aideront à comprendre la précédente. Beaucoup de gens croient que la négociation serait toujours une affaire de concession. Ils pensent que c'est forcément un jeu à somme nulle : ce que je gagne, l'autre doit le perdre, et vice versa. Non, la réalité est différente. Et comme nous le verrons plus tard dans ce mooc, la négociation va vous aider à créer des choses ensemble. Je ne suis pas toujours obligé de prendre à l'autre ce dont j'ai besoin. Je peux le créer avec lui, avec son soutien. Et l'autre acceptera de m'aider sur ce point parce qu'il sait que je l'aiderai à faire de même sur un autre point de la négociation par un esprit de réciprocité, et cela change tout. Voilà pourquoi il faut aussi éviter cet autre écueil. Croire qu'il n'existe qu'une solution donnée dans une négociation, et évidemment la notre. Non, en général, il y a d'autres ouvertures. Nous devons nous retenir de juger trop hâtivement ce qui est bien, ce qui ne l'est pas, et en négociation, miser sur la créativité, cela paie. L'écueil suivant est malheureusement très courant. Une préférence prononcée pour le court terme au dépens des opportunités long terme. C'est assez bien démontré, notre cerveau est assez myope. Il a tendance à voir des événements proches dans le temps comme plus importants que des événements lointains. Donc ici, les négociateurs doivent savoir faire la différence entre deux cas de figure. D'une part, la négociation ponctuelle, ce qu'en anglais on appelle parfois le one shot, c'est-à -dire une simple transaction où personne ne cherche vraiment à faire perdurer une relation sur le long terme. Et il y a d'autre part la situation professionnelle normale, la plus courante, où le long terme compte énormément. Quand on vient de gagner un nouveau client, on a envie de le fidéliser sur le long terme. Quand on a trouvé un fournisseur fiable, on veut travailler avec lui sur le long terme. Il en va de même avec un partenaire commercial, quand on a identifié un allié, on veut maintenir cette alliance. Donc la plupart des négociations ont en fait un horizon à long terme riche d'opportunités à côté desquelles il ne faut pas passer à cause de tentations court-termistes. Un autre écueil, se dire que les affaires ce sont les affaires, et qu'on a donc intérêt à se montrer agressif pendant les négociations, et l'autre, peu importe. Non, c'est faux. D'abord parce que son comportement est irrespectueux et alimente une spirale délétère, et ce n'est pas dans notre intérêt. Ensuite parce que ça ne fonctionne pas si bien que cela. Il existe tout un champ de recherches fascinant sur le thème de la justice procédurale, " procedural justice ". Et les résultats pointent tous vers la conclusion suivante, les gens ont tendance à mieux accepter une proposition si celle-ci résulte d'un processus au cours duquel ils se sont sentis respectés, ont eu leur mot à dire, ont pu exprimer des inquiétudes, etc. En revanche, si la même proposition est issue d'un processus dans lequel ils ne se sont pas sentis à l'aise ou ils n'ont pas eu la possibilité de présenter leur vision, ils auront tendance à la rejeter alors que c'est la même proposition dans le fond. Il y a donc un bonus pour les négociateurs qui gèrent les processus de manière respectueuse. Pour la route, un dernier écueil, que nous appelons la négomanie. Certaines personnes croient que tout se négocie tout le temps, non justement. Les bons négociateurs savent faire la différence entre ce qui est négociable et ce qui ne l'est pas, et ils vont tracer une ligne rouge entre les deux. Bien identifier ces lignes rouges c'est à nouveau un des aspects de la préparation d'une négociation, sujet du module suivant de ce mooc. Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur ces écueils instinctifs, sur ces idées fausses et contreproductives, jetez un oeil au chapitre un de notre ouvrage Méthodes de négociation où vous trouverez de multiples exemples. Bonne lecture.