[MUSIQUE] [MUSIQUE] Je vais résumer ici une recherche que mon collègue Markku Lehtonen et moi avons menée au sein du centre CONNECT dont je suis titulaire, CONNECT comme CONcertation, Négociation, Environnement, Conception et Territoires. Nous nous sommes intéressés aux relations de confiance, méfiance et défiance entre différents acteurs de la société dans la perspective de la lutte contre le changement climatique. En effet, la lutte contre le changement climatique implique une participation des acteurs de la société à tous les niveaux, de l'échelle individuelle à l'échelle internationale. En particulier, de nombreuses initiatives se développent dans différents pays à l'échelle locale afin de produire des énergies renouvelables. Le centre CONNECT de l'ESSEC a étudié plus précisément le modèle des Community Energy britanniques. Il s'agit d'organisations locales relevant de l'économie sociale et solidaire, c'est-à-dire des coopératives ou apparentées, qui un, installent des équipements, produisent et fournissent des énergies renouvelables ; et deux, visent à réduire la demande en énergie ainsi que la précarité énergétique locale. Les Community Energy mènent leurs projets en tant qu'unique maître d'ouvrage ou bien en partenariat avec des entreprises publiques ou privées. La part de la production d'énergie de telles coopératives locales dans un mix énergétique national ne pourra pas à elle seule assurer une transition énergétique d'ampleur. Alors pourquoi s'y intéresser? Car ces organisations jouent un rôle significatif dans la mobilisation collective des acteurs locaux pour la transition énergétique. De plus, elles possèdent des connaissances, une expérience et une légitimité locale qui en font des interlocuteurs privilégiés pour des organisations ou institutions à l'échelle régionale et nationale. Enfin, les niveaux de confiance en France et au Royaume-Uni sont du même ordre de grandeur. Le cas des Community Energy britanniques peut donc être inspirant pour des acteurs français. Et nous verrons que la confiance des acteurs locaux, souvent recherchée par les acteurs institutionnels, est un phénomène complexe. Dans cette recherche, nous avons tout d'abord identifié les acteurs de l'écosystème des Community Energy. Il s'agit des propriétaires de sites sur lesquels sont implantées des installations, qui sont souvent des plateaux photovoltaïques ; de leurs investisseurs dont on distingue deux catégories : les investisseurs orientés business, qui recherchent surtout un retour sur investissement, et les investisseurs verts, dont l'objectif est surtout la protection de l'environnement à l'échelle locale ; des citoyens bénéficiaires des projets, des élus locaux, des grandes entreprises nationales fournisseurs d'électricité, du gouvernement, des associations non-gouvernementales avec lesquelles les Community Energy travaillent en réseau. Tout ceci dans le cadre d'une vision du monde appelée ici idéologie sur le rôle de l'État, du marché et des communautés locales. Puis, un modèle théorique interdisciplinaire des relations de confiance, méfiance et défiance entre les animateurs des Community Energy et les acteurs de leur écosystème a été construit. Tout d'abord, comment avons-nous défini la confiance, la méfiance et la défiance? Dans cette recherche, la confiance consiste en l'attente qu'autrui respecte ses engagements, que cet autrui soit un individu ou une institution. La méfiance consiste en l'attente, sous certaines conditions, qu'autrui respecte ses engagements. La défiance, elle, est l'absence d'attente quant au respect par autrui de ses engagements. Je parlerai ensuite uniquement de confiance, sachant que les définitions suivantes concernent également le méfiance et la défiance. Trois niveaux de confiance ont été identifiés : la confiance idéologique, la confiance institutionnelle et la confiance sociale. La confiance idéologique en un acteur reflète le rôle de cet acteur dans notre vision du monde. Il peut s'agir en particulier du rôle de l'État ou de celui du marché. La confiance institutionnelle concerne les pouvoirs publics, et la confiance sociale s'adresse aux individus autour de nous. Ensuite sont distinguées la confiance institutionnelle diffuse, c'est-à-dire la confiance en ce que les institutions représentent pour nous ; et la confiance institutionnelle spécifique, c'est-à-dire la confiance en ce qu'une institution particulière fait. On a également distingué la confiance sociale généralisée c'est-à-dire la confiance en un autrui inconnu, de la confiance sociale particulière c'est-à-dire la confiance en un autrui connu. Enfin, la confiance se traduit par des attitudes passives et par des stratégies actives. Quels sont les résultats de la recherche? Les dirigeants des Community Energy ont besoin de créer des relations de confiance institutionnelle et sociale avec les différents acteurs de leur écosystème : avec les coopérateurs investisseurs, que ceux-ci aient des objectifs de rentabilité ou de protection de l'environnement au niveau local ; avec les propriétaires des sites d'installations d'équipements ; avec les citoyens bénéficiaires des projets ; et avec les élus locaux à divers titres. En effet, les élus locaux peuvent être aussi des coopérateurs, des propriétaires de sites et des intermédiaires par rapport à d'autres propriétaires locaux ainsi que par rapport aux institutions à plus grande échelle. Concernant les investisseurs, la confiance recherchée s'adapte à leurs attentes. Les relations avec les investisseurs ayant des objectifs de rentabilité sont basées sur les compétences des Community Energy, tandis que celle des investisseurs verts sont basées sur la sincérité des Community Energy. Les élus locaux, pour leur part, font plutôt l'objet de relations de confiance idéologique et de méfiance institutionnelle spécifique, soit une confiance sous condition que les élus apportent leur soutien aux projets. Les élus locaux ne font pas l'objet de défiance, ceux-ci n'étant pas vus comme les uniques responsables de leur manque de soutien éventuel. Les élus locaux peuvent donc jouer un rôle majeur dans les dispositifs et partenariats. Le modèle montre les limites de la confiance. Les confiances institutionnelle et sociale peuvent donner lieu à des abus de pouvoir ainsi qu'à des phénomènes de pensée unique et d'exclusion, en particulier à travers la création de liens privilégiés entre quelques acteurs seulement. La recherche fait apparaître l'intérêt de la méfiance institutionnelle spécifique, qui est conçue comme une vigilance citoyenne légitime dans une société démocratique. Cette méfiance se traduit par la création d'organisations et de dispositifs de cadrage et de régulation. La recherche montre également l'intérêt des stratégies de défiance institutionnelle et idéologique pour la création de Community Energy. En effet, la défiance institutionnelle spécifique envers l'État et la défiance idéologique par rapport aux grandes entreprises privées du secteur énergétique constituent un moteur majeur d'engagement des acteurs locaux britanniques dans les Community Energy, que ces acteurs soient les créateurs, les dirigeants ou les bénéficiaires des Community Energy. Les acteurs locaux engagés dans les Community Energy font preuve de défiance institutionnelle spécifique par rapport à l'État en matière de politique énergétique. Et dans le même temps, ils acceptent de créer, d'animer ou de coopérer avec des Community Energy dans le cadre de dispositifs définis et développés par les gouvernements successifs. Il s'agit donc bien ici de méfiance institutionnelle diffuse des acteurs locaux par rapport à l'État. Il est donc important de distinguer la défiance institutionnelle spécifique, c'est-à-dire en ce qu'un gouvernement particulier fait, de la méfiance institutionnelle diffuse, c'est-à-dire en ce que l'État représente pour les acteurs. Enfin, la recherche a identifié l'importance de la présence de dirigeants aux personnalités fortes pour la création et le développement des Community Energy. Mais ces personnalités sont susceptibles de créer une méfiance sociale particulière, de la frustration et des rivalités, et donc des fragilités pour leurs organisations. La recherche propose donc l'intervention d'individus facilitateurs, créateurs de confiance sociale particulière au sein de l'écosystème des Community Energy. Comme vous l'avez constaté, cette recherche appréhende la complexité des relations de confiance, méfiance et défiance dans l'écosystème des Community Energy. Elle fait apparaître différentes types de relations de confiance, elle montre l'intérêt de relations de méfiance institutionnelle spécifique envers les élus locaux en particulier, qui sont conçus comme l'expression d'une vigilance citoyenne permettant des actions communes sous certaines conditions. Elle fait également apparaître des relations de défiance. Il s'agit de défiance institutionnelle spécifique envers le gouvernement et de défiance idéologique envers les grandes entreprises du secteur de l'énergie. Ces relations de défiance constituent, pour certains acteurs, des sources de motivation pour s'engager localement dans la transition énergétique. Pour en savoir plus, vous trouverez ci-joint les références de l'article dans lequel a été publiée cette recherche. [MUSIQUE] [MUSIQUE]