[MUSIQUE] [MUSIQUE] Il y a 100 ans, l'économiste A C Pigou expliquait qu'une taxe sur la pollution permettrait de corriger efficacement, par le mécanisme de prix, cette forme d'externalité négative. Appliqué au problème de décarbonisation de nos économies, il faudrait faire payer à l'émetteur d'une tonne de carbone le coût que cette forme de pollution représente pour la société. Mais une tonne de carbone de plus a notamment des conséquences négatives sur les générations futures. Cet aspect intergénérationnel combiné à la complexité des phénomènes étudiés rend difficile le calcul de la taxe. Le modèle d'évaluation intégré, à l'image du modèle DICE présenté auparavant, permet de déterminer cette taxe comme un résultat dérivé du problème de maximisation du bien-être intergénérationnel. Comme nous l'avons vu, les modèles d'évaluation intégrée cherchent à résoudre un problème d'optimisation inter-temporelle, non-linéaire, sous contrainte. Ils permettent d'évaluer le coût social du carbone en tant que valeur actualisée du flux inter-temporel de dommages économiques engendrés par l'émission d'une tonne de carbone de plus. Plus précisément, une tonne de carbone supplémentaire aujourd'hui impose une réduction des consommations futures, car des ressources devront être utilisées pour atténuer les dégradations provoquées par la hausse de température. Cette baisse de consommation des générations futures diminue le bien-être inter-temporel. Le coût social du carbone indique quelle baisse de consommation actuelle devrait engendrer la même perte de bien-être. Bien évidemment, plus nous accordons de l'importance aux générations futures et plus le coût social d'une tonne de carbone sera élevé. Inversement, ainsi le coût social du carbone apparaît comme une fonction décroissante dans le taux d'escompte social que nous avons noté par Rhô. À quoi sert le coût social du carbone? Un investissement n'étant justifié que si le coût est inférieur au bénéfice, connaître le coût social du carbone est d'une importance capitale pour valider ou non les projets d'investissements publics en mesures d'abattement des émissions. Une taxe carbone identique au coût social du carbone devrait placer la croissance économique sur une trajectoire en ligne avec les objectifs de réduction des émissions et de maîtrise de la hausse de température. De manière alternative, les mêmes objectifs peuvent se traduire dans des quotas d'émissions autorisés, auquel cas le prix du droit à polluer, produire une tonne de carbone de plus, serait l'équivalent du coût social du carbone. D'ailleurs, l'Union européenne privilégie cette seconde approche. Le coût social du carbone est bien sûr très différent selon le scénario envisagé par le modèle d'évaluation intégrée. Rappelons-nous les quatre scénarios étudiés par le professeur Nordhaus 2017 à l'aide du modèle DICE 2016. Chacun implique un chemin particulier d'évolution du coût social du carbone. Je rappelle les scénarios. Scénario 1, aucun changement par rapport aux modalités de croissance actuelles, ou Baseline. Scénario 2, Optimal A, maximisation libre du bien-être total, sans limites explicites sur la hausse de température, avec une préférence pure pour le présent à 1,5 %. Scénario 3, il y a une contrainte forte de température. Il s'agit d'un problème d'optimisation, toujours à taux d'escompte 1,5 %, mais avec des contraintes supplémentaires : la hausse de température ne peut dépasser à aucun moment les 2,5 degrés Celsius. Scénario 4 ou Optimal B, optimisation libre, mais avec un taux d'escompte proche de 0. Les deux scénarios 3 et 4, d'urgence absolue, sont représentés dans les courbes supérieures dans la figure ci-jointe. Ils réclameraient dès à présent des taxes carbone supérieures à 100 dollars par tonne de carbone pour l'ensemble des nations et couvrant l'ensemble des émissions, et devraient passer à 200 dollars par tonne de carbone vers 2030. William Nordhaus a actualisé et affiné ces résultats dans une synthèse publiée dans l'American Economic Review en 2019. Le tableau ci-joint présente les principaux résultats. Il y a deux scénarios optimaux qui diffèrent essentiellement selon une hypothèse relative aux dommages futurs, qui sont plus forts dans le scénario optimal 2. Les autres scénarios dans le tableau considèrent différentes hypothèses quant aux contraintes de températures selon le niveau autorisé de variation, 1,5 degrés Celsius, 2 degrés Celsius et 2,5 degrés Celsius, et selon ce que la hausse autorisée prend en compte la moyenne de températures sur 100 ans, sur 200 ans, ou est un seuil infranchissable. Le chemin optimal du coût du carbone dans le scénario optimal 1 semble proche de sa trajectoire lorsque la hausse de température est limitée à 2,5 degrés Celsius en moyenne sur 200 ans. Le scénario optimal 2, avec ses hypothèses plus restrictives sur la fonction de dommages, réclamerait rapidement un coût social de carbone d'environ 100 dollars par tonne de carbone. Ce scénario serait en ligne avec le scénario alternatif d'une hausse de la température moyenne sur 200 ans de 2 degrés Celsius. Le scénario en ligne avec les accords de Paris, hausse maximale infranchissable de 2 degrés Celsius, réclamerait la mise en place immédiate d'un coût social de carbone à 225 dollars par tonne de carbone. D'autres simulations plus optimistes indiqueraient que les objectifs des accords de Paris exigent moins d'efforts immédiats. Selon un rapport d'une commission dirigée par Nicholas Stern et Joseph Stiglitz en 2017, une taxe carbone de 40 à 80 dollars par tonne de carbone pour 2020 et 50 dollars à 100 dollars par tonne de carbone vers 2030 devrait suffire pour atteindre les objectifs des accords de Paris si accompagnée d'une politique générale en faveur de l'environnement. Dans son dernier rapport sur le prix du carbone, la Banque mondiale en 2019 confirme comme montant souhaitable une taxe carbone de l'ordre de 100 dollars par tonne de carbone à l'horizon 2030. Malheureusement, la situation actuelle est loin de satisfaire même aux exigences des scénarios les plus gradualistes. En effet, actuellement, le prix du carbone dépasse rarement les 30 dollars par tonne de carbone, et selon le journal The Economist, ne couvrirait que 20 % des émissions mondiales. Avant la crise du coronavirus, de nombreux gouvernements avaient exprimé leur volonté d'étendre à de nouveaux secteurs et renforcer les mécanismes incitatifs de type taxe carbone et marché du carbone. D'autres gouvernements envisageaient plus de restrictions directes sur les émissions, mais ces mesures devraient malheureusement renchérir les coûts de tous les biens et services en transition carbone. Le transport, le chauffage, la climatisation, mais aussi tous les biens dont la production nécessite de l'énergie devraient voir leurs prix augmenter massivement, et cela devrait ensuite se propager rapidement aux biens qui les utilisent comme consommation intermédiaire. La crise économique mondiale post-épidémique et les coûts liés aux nouvelles normes sanitaires ainsi que la baisse temporaire de pouvoir d'achat, notamment pour ceux qui perdront leurs emplois, pourraient appeler à retarder l'action contre le réchauffement climatique. Pourtant, il n'y a pas de plan B. Le monde doit se sevrer de l'utilisation des combustibles fossiles, sous peine de mettre en danger la vie elle-même. [MUSIQUE]