[MUSIQUE] [MUSIQUE] En 2015, les dirigeants de l'ensemble des pays du monde, réunis à Paris pour la Conférence des Nations-Unies pour le changement climatique, ont affirmé leur volonté de faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour maintenir la hausse de température en-dessous de 2 degrés Celsius par rapport à l'époque pré-industrielle. Il s'agit d'un objectif ambitieux qui a le grand mérite de la clarté. Il permet d'ancrer les aspirations et sensibiliser l'opinion publique. C'est un objectif aval, [INCOMPRÉHENSIBLE] causal. Un objectif amont pourrait prendre en compte l'utilité intergénérationnelle et sa maximisation. Mais quel que soit l'objectif, comme l'indiquait le professeur William Nordhaus, une politique du climat responsable doit s'appuyer sur une analyse coûts-bénéfices intergénérationnelle et si possible inter-régionale. Pour répondre à la question de la meilleure politique environnementale pour une croissance soutenable donc décarbonée, les scientifiques ont développé des modèles d'évaluation intégrée. Le schéma ci-joint basé sur Nordhaus 2019 présente la structure d'un modèle de ce type. Comme on peut le constater, le modèle reconnaît la complexité de la vie sur Terre et cherche à interconnecter des mécanismes socioéconomiques, la démographie et les mécanismes géophysiques. pour représenter de manière cohérente la chaîne production, émissions, températures, dommages futurs, ainsi que les boucles de rétroaction. Il existe de nombreux modèles de ce type, du plus simple avec une vingtaine d'équations, à des modèles très complexes allant jusqu'à 500 000 équations. Parmi ces modèles, le DICE, Dynamic Integrated, Model of Climate and Economy, élaboré par William Nordhaus en 1992 et mis à jour par son auteur en 2016, s'est imposé comme une référence incontournable dans la modélisation du changement climatique. D'ailleurs, le professeur Nordhaus a reçu le prix Nobel d'économie en 2018, justement pour avoir incorporé le changement climatique dans l'analyse économique de long terme. Il y a d'autres modèles d'évaluation intégrée, très connus eux aussi, par exemple le modèle PAGE ou le modèle FUND, mais malheureusement, le temps ne nous permet pas de les présenter. La figure ci-jointe, basée sur Kellett et al, présente le diagramme de blocs du modèle DICE. Celui-ci comporte un bloc pour la dynamique du capital physique et l'activité économique, un bloc pour le cycle du carbone, un bloc climat ou température, un bloc population, et deux autres blocs technologies, l'un pour le progrès technique en général, et l'autre pour l'intensité des émissions. Si l'évolution de la population et le progrès technique sont considérés comme exogènes, le taux d'épargne et l'effort d'abattement climatique sur le coût de réduction des émissions sont des variables de contrôle qui permettent d'effectuer l'optimisation. Comme objectif, le modèle utilise une fonction de bien-être intergénérationnel, en tenant compte que chaque génération, en commençant par la nôtre en t égale 0, et les suivantes avec t égale 1, 2, 3 etc., ont des possibilités de consommation notées par ces t, le bien-être social total serait la somme des utilités actualisées des générations successives. Ici, U(Ct) dans l'expression que vous voyez à l'écran est l'utilité de la consommation de la génération t. La courbature de la fonction U traduit les préférences sociales par rapport à l'inégalité intergénérationnelle. Plus la convexité est forte et plus l'utilité des générations pauvres compte. Il y a, bien sûr, des vifs débats quant à ce paramètre essentiel. Le taux Rhô, la lettre grecque, permet d'actualiser l'utilité des générations futures. On l'appelle taux de préférence pure pour le présent, PPP, ou taux d'escompte social. Attention, si l'utilité des générations futures compte pour nous tout autant que notre propre utilité, alors Rhô égale 0. Le professeur Sir Nicolas Stern, auteur d'un célèbre rapport sur le climat en 2007, avait indiqué que tout autre taux différent de 0 autoriserait implicitement l'extinction de l'espèce humaine. En revanche, si l'investissement en capital environnemental doit se faire en arbitrant avec l'investissement en capital physique, et que le taux réel d'intérêt à long terme est de 5 à 6 %, alors le taux d'escompte social devrait se situer quelque part entre 1 % et 2 %, et d'ailleurs c'est le choix qui a été fait pour le modèle DICE. Quelle est la bonne valeur de Rhô? 0? 1 %? 2 %? Plus? C'est presque une question philosophique qui suscite de très forts débats et n'est pas encore tranchée. En regardant encore une fois la fonction de bien-être intergénérationnel, la solution au problème de maximisation du bien-être intergénérationnel est un chemin temporel optimal pour le taux d'épargne et le taux d'abattement. Cette solution optimale dans le temps implique à son tour des chemins optimaux dans le temps pour les variables d'état, par exemple la consommation, l'investissement en capital physique, les émissions de carbone, l'évolution des températures etc. La qualité des prévisions dépend de la qualité du modèle utilisé. Or, il y a de nombreuses incertitudes, tant dans la physique du climat que dans les calculs économiques : le taux d'escompte, les progrès techniques, l'intensité carbonique etc. Par ailleurs, il y a également des incertitudes sur les relations du modèle elles-mêmes, et notamment sur la fonction de dommages : le lien entre hausse de température et dégradation du revenu futur. Aussi, il y a des questions fortes sur le point de rupture, car le réchauffement peut provoquer des catastrophes naturelles majeures et des crises irréversibles. Mais une mesure imprécise dont on peut évaluer la marge d'erreur est bien évidemment meilleure que l'absence de mesure. Pour illustrer l'utilisation des modèles de variation intégrée, prenons l'exemple proposé par le professeur Nordhaus dans un rapport du National Bureau of Economic Research 2017. Il utilise le modèle DICE pour étudier quatre scénarios. Premier scénario, aucun changement par rapport aux modalités de croissance actuelles. Il l'appelle Baseline ou business as usual, on pourrait dire. Le scénario 2 c'est Optimal A. Il s'agit d'une maximisation libre du bien-être total sans limites explicites sur la hausse de température, avec une préférence pure pour le présent à 1,5 %. Scénario 3, on ajoute une contrainte de température. Il s'agit d'une optimisation à taux d'escompte 1,5 %, mais cette fois-ci avec une contrainte supplémentaire : la hausse de température ne peut dépasser à aucun moment les 2,5 degrés Celsius. ,Scénario numéro 4, il s'agit d'une optimisation libre sans contraintes sur les températures, en revanche avec un taux d'escompte proche de 0, comme l'envisageait le rapport Stern de 2007. Comme le montrent ces deux graphiques, les trajectoires d'émissions de carbone et la variation de température qui est associée diffèrent significativement d'un scénario à l'autre. Dans le scénario qui correspond à la maximisation libre du bien-être, les émissions atteignent un maximum en 2050 puis diminuent. Cependant, la variation de température est importante. Elle atteint les 3 degrés Celsius vers 2100. Il s'agit néanmoins d'un scénario qui maximise l'utilité, le bien-être intergénérationnel. Les scénarios 3 et 4, les deux derniers scénarios, appellent à des mesures bien plus fortes et plus urgentes. Les deux scénarios réclament une économie zéro carbone pour l'ensemble des pays du monde à partir de 2040. On rappelle que le scénario 3 impose une limite sur la hausse de température et que le scénario 4 fait l'hypothèse d'une préférence pure pour le présent proche de zéro. Comme nous le verrons dans le cours suivant, le coût social du carbone peut varier de manière très significative d'un scénario à l'autre. Ces simulations illustrent clairement l'arbitrage intergénérationnel. Si la génération présente, la nôtre, accepte plus de sacrifices, les générations futures auront à subir moins de dommages, et inversement. Une question essentielle est la distribution des coûts entre les générations. Ceci est un vrai choix politique que les modèles ne servent qu'à éclairer. À la lumière du modèle DICE 2016, l'objectif des accords de Paris qui consiste à limiter la hausse de température à pas plus de 2 degrés Celsius, semble être malheureusement trop ambitieux. Mais d'autres objectifs pas très éloignés, comme la hausse de 2,5 degrés de la moyenne de température sur 200 ans, semblent tout à fait atteignables. Il faut également souligner que d'autres modèles comme celui utilisé par la Banque mondiale, sont, eux, bien plus optimistes. Dans la seconde partie, nous montrerons comment les modèles de variation intégrée permettent d'estimer le montant de la taxe carbone à même de placer l'économie sur un chemin de croissance soutenable. [MUSIQUE] [MUSIQUE]