[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans cette session, j'aimerais partager quelques leçons que j'ai tirées de mes observations. Vous avez maintenant compris que les problèmes environnementaux auxquels notre monde est confronté aujourd'hui nous obligent à prendre des mesures urgentes. Lorsque nous pensons à des problèmes de nature collective, nous avons tendance à regarder les décideurs politiques et à les inciter à prendre des mesures pour interdire certains comportements et technologies. Malheureusement, la vitesse à laquelle nous devons mettre en place des politiques et leur élaboration ne sont pas toujours synchronisées. L'une des raisons en est que les décideurs politiques doivent trouver un équilibre entre plusieurs objectifs sociétaux. Une autre raison est qu'il est difficile pour les décideurs politiques d'interdire certains comportements ou technologies lorsqu'il n'y a pas d'alternatives en place. Pour certains, ce constat les a motivés à développer de nouvelles technologies propres, souvent sans attendre les bonnes politiques en place, et à lancer des entreprises pour les commercialiser. Faisant appel à la conscience environnementale des gens, ils essaient de contribuer à la transition écologique de notre société. Malheureusement, beaucoup de ces initiatives entrepreneuriales échouent, parce qu'il semble que malgré leurs meilleures intentions et sensibilités écologiques, les clients de masse ne sont pas prêts à sacrifier leur niveau de confort ou de vie actuelle et à transformer leurs intentions en comportements réels. Les statistique nous montrent qu'environ seulement 5 % de la population est réellement prête à adopter des écotechnologies lorsque celles-ci entraînent un coût supplémentaire ou présentent un niveau de confort moindre par rapport aux produits et services existants qu'elle utilise. Cependant, au cours des 15 à 20 dernières années, une nouvelle génération d'entrepreneurs spécialisés dans les technologies propres a émergé, qui s'est attachée à développer des solutions allant au-delà de cette petite niche d'altruistes, et qui veut réellement créer des solutions susceptibles d'être adoptées par le marché de masse. Plutôt que de voir la pollution et le changement climatique comme le résultat de personnes mal intentionnées ou d'un manque de moralité, ces entrepreneurs des technologies propres ont réalisé que les problèmes environnementaux sont le résultat de freins à leur adoption. Ces observations des entrepreneurs trouvent un écho profond dans les études des économistes sur le rôle des externalités et des asymétries d'informations comme obstacles aux comportements écologiques, et trouvent également beaucoup de soutien dans les études des sociologues sur le rôle des réseaux sociaux des habitudes dans le changement sociétal. Et enfin, les psychologues ont également trouvé de nombreux mécanismes qui expliquent l'inertie que nous développons face aux solutions environnementales. Pour que ces technologies propres soient adoptées, il faut donc surtout penser à des business models et des approches commerciales qui peuvent enlever justement ces freins. En conclusion, ce que les entrepreneurs des technologies propres réalisent, souvent de manière intuitive, c'est que si nous voulons une diffusion massive des écotechnologies, nous devons prendre au sérieux la condition humaine. Plutôt que de considérer les problèmes environnementaux comme le résultat de failles morales ou de comportements non-éthiques, nous devrions les considérer comme le résultat de mécanismes fondamentaux qui déterminent notre comportement individuel et collectif comme les règles d'un jeu. Plutôt que de penser que les problèmes environnementaux seront résolus en remplaçant ces mécanismes, les entrepreneurs des technologies propres cherchent des solutions en utilisant ces mécanismes et de jouer avec les règles du jeu. Ainsi, pour vendre leurs produits et services, beaucoup de clean tech entrepreneurs ont compris que lorsqu'un produit permet à une personne ou à un individu d'améliorer sa position financière, sa socialisation, son confort personnel, la probabilité d'adoption de ce produit est tout simplement plus élevée. Au lieu de vendre la verdeur de leurs solutions, les clean tech entrepreneurs essaient a priori d'offrir des solutions qui permettent à un client d'améliorer son état de santé, son statut social ou sa situation financière. Par exemple, lorsque le constructeur Tesla a commencé à vendre ses voitures, il les vendait avant tout comme des voitures de sport avec une accélération plus rapide et une dimension de nouveauté radicale. Ces caractéristiques plaisaient aux personnes intéressées par les nouveautés ou encore par le statut social de rouler avec une Tesla. La verdeur des véhicules électriques est un avantage annexe dans la publicité et une très forte motivation pour l'équipe Tesla à développer leur produit, mais ce n'était pas le principal argument de vente de la voiture. De la même manière, de nombreux entrepreneurs de technologies propres qui se concentrent sur l'efficacité énergétique ou la gestion de l'énergie ne vantent pas leurs solutions comme des solutions pour diminuer l'impact environnemental, mais avant tout, ils les vantent comme un moyen de réduire les coûts. Souvent d'ailleurs, ces entrepreneurs évitent d'insister trop sur la verdeur de leurs solutions, justement pour élargir l'adoption potentielle de la solution. Pour certaines technologies cependant, l'adoption et le succès potentiel de leurs produits et services dépendent d'un changement systémique, qui dépasse les actions d'un seul acteur dans la chaîne de valeur. Dans le langage de la stratégie de l'innovation, pour qu'une technologie ou un service soit adopté, des atouts complémentaires, des complementary assets, doivent être disponibles soit dans l'entreprise ou dans toute la chaîne de valeur. En plus, le développement d'une technologie deep tech peut prendre beaucoup de temps et nécessite beaucoup de R&D, ce qui suppose un soutien externe à l'entreprise. Pour cette raison également, les entrepreneurs des technologies propres comptent souvent sur le soutien des régulateurs ou partenaires pour créer une niche protégée de certaines pressions concurrentielles, qui, par le biais de la réglementation, de subventions ou d'investissements, sont capables d'imiter temporairement ou de façon permanente les conditions qui permettent une adoption massive. Le lobbying, l'activisme et la collaboration inter-entreprises pour créer une mobilisation collective autour d'une technologie sont donc souvent indispensables. Il ne faut donc pas s'étonner que de nombreux entrepreneurs de technologies propres poussent en fait leurs concurrents à adopter des technologies et des solutions similaires aux leurs et collaborent même souvent également avec eux. Comme la diffusion des innovations de haute technologie nous l'a appris, l'adoption en masse d'une technologie est plus probable lorsque l'acceptation sociale de ces technologies devient également plus élevée et donc si plus d'acteurs s'y mettent. Ensuite, il faut savoir que toute réglementation visant un changement systémique tend à être le résultat d'un processus co-évolutif entre d'une part le développement technologique et les clean tech entrepreneurs, et d'autre part le développement réglementaire. Par exemple, l'adoption do protocole de Montréal dans les années 80 qui a conduit à l'éradication des gas chlorofluorocarbone, CFC, qui détruisent la couche d'ozone a été beaucoup plus facile car les fabricants de CFC existants avaient mis en place des solutions alternatives qui ont rendu possible une transition vers le respect du nouveau protocole de Montréal. En conclusion, nous ne devons pas oublier que l'entrepreneuriat et l'innovation sont des phénomènes où l'échec est plus probable que le succès. Si les stratégies que je viens de décrire augmentent les chances de succès, elles ne le garantissent pas. Toutefois, comme toute innovation est le résultat d'un processus collectif, il se peut que l'échec d'une entreprise aide quand même encore d'autres entreprises dans la transition vers un changement technologique et comportements collectifs. En tant que tels, on ne peut pas s'engager dans la transition énergétique sans les entrepreneurs de technologies propres, mais ces derniers ne peuvent pas tout faire tous seuls. C'est la combinaison de la réglementation et des entrepreneurs de technologies propres qui, ensemble, peut permettre la transition énergétique. [MUSIQUE]