Passons maintenant au quoi, c'est-à-dire aux multiples enjeux auxquels nous pouvons devenir partie prenante. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est difficile de savoir où donner de la tête tant les pistes d'action et d'engagement sont
nombreuses. Une possibilité pour organiser notre propos est de reprendre les trois problèmes macro : les ressources, la population et les
inégalités. À chaque fois, je vous propose d'illustrer les manières de s'engager sur un enjeu micro, en donnant quelques exemples à votre portée. Exemples que vous pourriez décider de faire vôtres en tant que volontaires, entrepreneurs ou intrapreneurs. Avant de commencer, je voudrais faire trois remarques importantes : Premièrement, le mot illustrer est bien entendu un mot clé ici. Il serait illusoire et d'ailleurs rébarbatif d'essayer de faire un tour complet des enjeux micro auxquels vous pouvez vous attaquer. D'abord parce que les questions sont prodigieusement complexes et peuvent se décliner à l'infini, ensuite parce qu'il s'agit en fait d'une série de poupées russes qui s'emboîtent entre elles, ne serait-ce que selon la focale géographique choisie : locale, nationale, internationale. Enfin, parce que les enjeux sont bien entendu intimement liés entre eux. Par exemple, les effets d'interaction et de rétroaction entre les questions de ressources énergétiques et l'évolution du climat sont très nombreux. Deuxièmement, dans les illustrations, il n'y a absolument pas de tentative de hiérarchisation de ma part. Il s'agit plutôt d'exemples pris au hasard de ma sensibilité personnelle. Ces choix sont bien entendu tout à fait critiquables. Il serait sans doute possible d'être plus systématique, par exemple en essayant d'évaluer d'une part le niveau des enjeux, d'autre part le degré de difficulté de mise en œuvre. Cela requerrait sans doute un MOOC complet. Je vous renvoie à ce sujet-là à des tentatives qui ont été faites dans ce sens, comme par exemple l'excellent livre de Philippe Bihouix, L'Âge des low-tech, ou le site web de Jean-Marc Jancovici, qui s'intitule Manicore, pour ce qui concerne les enjeux énergétiques. Troisième et dernier point, l'objectif poursuivi ici est bien de suggérer l'étendue infinie des différentes possibilités d'engagement, de vous donner envie. Effectivement, nous allons partir dans tous les sens. Pas de panique ! La règle établie par Rabelais, pardon Gargantua, à l'abbaye de Thélème, "Fais ce que voudras", s'applique. En faisant un peu d'introspection et en cherchant un tout petit peu, il est facile de trouver chaussure à son pied. Le problème qui va vite se poser sera de choisir l'engagement parmi tant de possibilités. Nous y reviendrons dans ce MOOC. La question principale que vous devez vous poser est de savoir quel est l'enjeu que vous avez chevillé au corps, qui vous passionne, qui vous fait monter le son de la radio. Celui qui vous empêche ou vous empêchera de dormir vous fera lever tôt le matin et vous amènera à travailler sans relâche pendant les week-ends. Pour devenir entrepreneurs du changement, repartons de notre ratio clé, les ressources par habitant. Commençons par le numérateur, la question des ressources disponibles, qui sont fonction des ressources elles-mêmes, qu'elles soient fossiles ou vivantes, et de notre capacité à les utiliser, c'est-à-dire de notre capacité à régler le problème du climat et celui de l'espace. Je vous propose que nous évoquions d'abord des manières de s'engager pour changer les choses, à la fois dans le domaine des énergies fossiles et du climat, car les deux phénomènes sont liés. Nous extrayons des ressources fossiles de la terre et rejetons une partie de ces ressources sous forme de gaz à effet de serre qui menacent la stabilité du climat. Nous verrons ensuite la question des ressources vivantes, puis celle de l'espace. Commençons donc avec le premier point. Comme le montre le graphique, dans le cas de la France, il existe quatre grands utilisateurs d'énergie, et donc quatre grands pollueurs : le transport (26 % des gaz à effet de serre), l'agriculture (21 %), le résidentiel (19 %) et l'industrie (17 %). Comment s'engager ? Pour le transport, le secteur routier est responsable de plus de 90 % des rejets. Prenez alors exemple sur Wimoov, une entreprise du groupe SOS dont les 250 bénévoles travaillent avec les collectivités locales pour proposer des solutions de mobilité pour les personnes en situation de fragilité, solutions qui placent délibérément la voiture individuelle au dernier rang. Liberté, égalité, mobilité, quel beau programme ! Ou alors, si vous avez l'âme d'un entrepreneur, développez une entreprise qui permette de développer le marché du vélo mobile, ces drôles de petits engins en forme de suppositoires, encore très peu connus en France alors qu'ils sont très en vogue en Allemagne et aux Pays-Bas comme moyen de transport alternatif. Pour l'agriculture (21 % des émissions de gaz à effet de serre), les questions principales sont celles de l'utilisation des engrais et de l'éructation des ruminants qui dégagent du méthane. Faire en sorte de réduire la consommation d'engrais est peut-être un objectif qui motive certains d'entre vous, et le Farre, Forum des agriculteurs responsables, respectueux de l'environnement, et ses 1 000 membres constituent alors un bon point de départ pour vous engager. D'autres seront sans doute passionnés à l'idée d'aider à réduire la concentration de méthane dans les rots des vaches. Cela peut paraître anecdotique, mais le méthane est un gaz vingt-cinq fois plus nocif que le dioxyde de carbone, et les vaches françaises émettent autant de gaz que 15 millions de voitures, soit 40 % du parc automobile français. Une piste étudiée en ce moment pour passer d'un gros beurp à un plus petit
beurp : augmenter le taux d'oléagineux dans leur nourriture et notamment leur faire manger du lin. Quid de la consommation d'énergie du résidentiel et des 19 % d'émissions qui y sont liées ? Les exemples abondent. Pourquoi ne pas regarder par exemple du côté d'Enercoop, la première coopérative créée en France il y a dix ans dans le secteur énergétique. Cette entreprise, qui fournit de l'énergie renouvelable, a sans doute besoin d'aide, même si elle sert déjà près de 20 000 clients en France. Enercoop participe au mouvement Énergie partagée, qui est un autre exemple de mouvement citoyen, et qui développe des projets d'énergie renouvelable locaux. Une vingtaine de projets solaires ou éoliens, hydrauliques ou de biomasse ont déjà été financés. Aidez-les à multiplier par 100 ces projets. Autre exemple : pourquoi ne pas aider Le Chênelet, une association qui permet d'assurer la maîtrise d'ouvrage de projets d'écoconstruction à vocation sociale. À partir de sa base dans le Pas-de-Calais, cette association développe des solutions de logements sociaux, construits avec des écomatériaux : le chanvre, la paille, ouate de cellulose, etc. Dernier exemple, du côté des grandes entreprises, Bouygues Habitat Social a développé en collaboration avec le BCG (Boston Consulting Group) et l'Action Tank Entreprise et pauvreté une nouvelle manière de concevoir les logements. Le nouveau mode de calcul prend en compte la totalité du coût de logement sur l'ensemble de son cycle de vie et non plus le seul coût de construction. Cela permet en même temps de diminuer le taux d'effort pour le locataire et d'améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments. Le quatrième consommateur d'énergie et émetteur de gaz à effet de serre (on parle de 17 %) est l'industrie. Ici on sent bien l'alignement possible des intérêts qui devrait permettre à de nombreuses personnes travaillant en entreprise de devenir intrapreneurs du changement. La réduction de la consommation de ressources fossiles permet à chaque entreprise d'économiser des coûts. Que chacun s'y mette dans sa propre organisation. Pour commencer, vive les audits énergétiques ! Une entreprise comme Schneider Electric s'est faite le champion des audits énergétiques, et je vous invite à regarder sur le site des vidéos de contrats passés avec des entreprises, que ce soit des multinationales comme Airbus ou des PME comme Eurofours, qui fabrique des fours de boulangerie. C'est un premier pas, mais il s'agit bien entendu de ne pas s'arrêter là. Entrepreneurs, l'exemple d'Echy doit vous motiver. Cette PME a développé un système d'éclairage par fibre optique qui permet au soleil de pénétrer dans l'ensemble des pièces d'un bâtiment, jusqu'au sous-sol. Faites comme eux, débridez vos imaginations ! Jusqu'à présent nous nous sommes concentrés sur l'énergie fossile, mais c'est bien de l'ensemble des ressources dont il faudrait parler. Prenons deux exemples concernant une ressource indispensable à la vie :
l'eau. Tout d'abord Sarvajal, qui est une entreprise en Inde qui permet un accès facilité à l'eau potable pour les personnes n'ayant pas accès à cette ressource. Cette entreprise a développé une solution innovante, efficace et peu coûteuse, qui consiste à mettre en place des distributeurs d'eau potable dans différents lieux accessibles à tous, avec des formules de paiement simplifiées. L'autre exemple est celui de Danone, qui soutient des projets d'entrepreneurs via son fonds Danone. communities, en particulier dans le domaine de l'eau. Écoutons Miora Ranaivoarinosy nous présenter une solution développée pour l'accès à l'eau. "L'accès à l'eau est un défi important pour Danone communities. En Inde notamment, un de nos entrepreneurs sociaux nous a fait comprendre que près de 40 millions de personnes souffrent de maladies régulières associées à une eau pas saine. C'est pourquoi il est urgent de se préoccuper de comment faire accéder à une eau saine des populations très éloignées des marchés conventionnels, donc à un prix très abordable, mais aussi dans les zones les plus reculées où il n'y a pas de distribution d'eau, notamment via des tuyaux. Donc la solution c'est apporter de l'eau à travers des petites unités de traitement, distribuées par des populations locales à un très bas coût. " Passons maintenant à la question des ressources vivantes. Là aussi les manières pour devenir entrepreneur du changement abondent. Le WWF bien sûr, qui milite depuis cinquante ans dans plus de 100 pays pour protéger la biodiversité sous toutes ses formes. Les combats pour préserver les tigres, éléphants, rhinocéros ou encore les grands singes sont déjà connus, mais ils valent certainement la peine d'être menés. Alors vous pourriez peut-être trouver motivant de rejoindre Isabelle Autissier, la navigatrice présidente du WWF en France, et d'aller plus loin que d'être un simple donateur. Mais peut-être que vos passions vont vous porter ailleurs. Pour ceux qui nous regardent de l'île de la Réunion ou qui ont un intérêt pour cette île, l'enjeu des 160 plantes à fleurs endémiques, c'est-à-dire qui ne poussent que sur cette île et nulle part ailleurs, peut être de nature à vous mobiliser. Un tiers de ces espèces serait menacé. D'autres encore peuvent se passionner à l'idée de se rapprocher de Batman, en créant ou en rejoignant un groupe chiroptère pour sauver le minioptère de Schreibers ou le rhinolophe de Mehely, deux espèces de chauves-souris françaises menacées. Je serai plus court en ce qui concerne le dernier élément du dénominateur : les questions de l'espace. Je veux dire qu'il reste beaucoup de choses à faire pour éviter des problèmes comme l'uniformisation des villes, l'enlaidissement de leurs périphéries, l'urbanisation galopante ou encore la question de la sauvegarde du littoral. Les raisons de s'engager abondent dans un champ qui reste paradoxalement relativement vierge. C'est un comble ! Citons tout de même en exemple le mouvement des villes lentes, Cittaslow, né en Italie en 1999 dans une bourgade qui a refusé l'installation d'une grande enseigne américaine de la restauration rapide. Devinez de qui je veux bien parler ? Pour devenir officiellement une ville lente, il faut remplir une liste de 55 critères allant de la préservation du patrimoine et des espaces verts au développement des commerces de proximité en passant par la multiplication des zones piétonnes et le développement d'infrastructures collectives et d'équipements adaptés aux handicapés et aux divers âges de la vie. Et si vous, vous engagiez votre ville dans une telle démarche, à l'instar de Segonzac, commune de Charente, première ville lente
française.