La question du niveau des ressources par habitant nous avait amenés à la nécessité de passer à une économie du type vaisseau spatial, où chaque ressource compte et doit être utilisée d'une façon optimale par l'ensemble des passagers. La perspective n'est certes guère réjouissante, mais je voudrais maintenant enfoncer le clou des problèmes une dernière fois en parlant du troisième point que j'ai déjà mentionné : la croissance des inégalités des ressources par habitant. La diminution de la moyenne des ressources disponibles est chose certes inquiétante, mais plus problématique encore est le fait que ce chiffre est très variable entre pays riches et pays pauvres, et au sein d'un même pays. Plus grave encore, la tendance est plutôt à la divergence, c'est-à-dire à la croissance des inégalités. Pour continuer de filer la métaphore du vaisseau spatial, non seulement la taille du vaisseau n'est pas la même pour tous, non seulement nous devons en moyenne apprendre à vivre dans des vaisseaux de plus en plus petits, mais certains, qui ont déjà parmi les plus grands vaisseaux, continueront à grandir, tandis que beaucoup de ceux qui ont déjà un tout petit vaisseau voient la taille de ce vaisseau diminuer à très grande vitesse. Cette tendance ne manquera pas d'attiser les convoitises et de rendre la situation potentiellement explosive. Sans prétendre vouloir faire le tour de la question, au moins trois forces augmentent les divergences entre les situations individuelles : Premièrement, la raréfaction des ressources effectivement disponibles, ressources fossiles ou vivantes, va mécaniquement en augmenter la valeur. La dotation en ressources étant inégalement répartie entre pays et individus, cette valorisation croissante va augmenter les inégalités entre pays et individus bien dotés et les autres. Le pétrole et l'uranium vaudront beaucoup plus cher. Bienheureux ceux qui en auront encore, et malheur à ceux qui en sont complètement dépourvus, surtout s'ils sont déjà pauvres. Deuxièmement, le changement climatique accentuera ces inégalités, car elles seront différentes aux différents endroits de la planète. Pour certains habitants des régions tempérées et riches, le changement climatique ne sera peut-être pas un problème insupportable. En revanche, l'horizon 2050 signifie pour 150 à 200 millions de personnes la disparition pure et simple de leur territoire. Pour d'autres, ce changement climatique sera synonyme de précipitations catastrophiques et meurtrières, ou au contraire d'une sécheresse accentuée sur des territoires déjà en situation de stress hydrique. Troisièmement, le système économique actuel va perdurer, et on sait qu'il exacerbe les inégalités. Le journal Le Monde du 10 décembre 2014 titrait, en référence à un récent rapport de l'OCDE : "Le fossé entre riches et pauvres n'a cessé de se creuser depuis trente ans". Les travaux de Stiglitz, de Piketty et de Rosanvallon en témoignent. Celui de Stiglitz, Prix Nobel d'économie de 2001, commence par une phrase du genre : "L'un des aspects les plus sinistres de l'économie de marché est l'inégalité massive et croissante qui effiloche le tissu social américain et la viabilité économique du pays. " Il détaille ensuite le cas des fameux 1 % qui ont accaparé plus de 65 % de l'accroissement du revenu national. Le travail de Piketty infirme la fameuse courbe de Kuznets, qui proposait dans les années 50 le conte de fées – le mot est de Thomas Piketty – selon lequel le développement économique s'accompagnait automatiquement d'une réduction des inégalités. Il montre comment la concentration des revenus des années 2000/2010 a retrouvé le niveau record des années 1910/1920, années qui ont été le prélude à tous les totalitarismes. Le témoignage suivant d'un autre ancien ministre, Jean-Paul Delevoye, met en avant la nécessité de recréer des liens pour faire face à la montée de ces inégalités. "Nous sommes dans un moment extrêmement préoccupant, dans un moment extrêmement passionnant, notamment pour votre génération. Nous ne sommes pas en crise, nous sommes en métamorphose, c'est-à-dire que le monde de demain n'aura plus rien à voir avec celui d'aujourd'hui. Mais ce qui est tout à fait important, c'est que le 21e siècle c'est le siècle de la mobilité, le drame, c'est le siècle de l'isolement. Et nous avons besoin de résilience, c'est-à-dire de passer d'un contrat social qui soit basé non pas sur la compensation mais sur la vitalité sociale. Plus la mondialisation est présente, plus la proximité est nécessaire, l'accompagnement des personnes, la capacité de créer du lien. Nous allons devoir passer d'une société de la performance à celle de l'épanouissement, de la société du bien à la société du lien, et c'est quelque chose de tout à fait fondamental. Il ne peut pas y avoir de contrat social sans contact social. Et c'est la force des territoires qui va compenser la faiblesse des États. Et aujourd'hui, dans cette économie de l'innovation, il faut soutenir toute la créativité, l'inventivité, notamment de votre
jeunesse. Or notre système politico administratif éducatif est souvent basé sur la mise en valeur de vos échecs, et non pas de vos potentiels. C'est donc un choc culturel qu'il convient de mettre en œuvre dans ce pays, et c'est le soutien à toutes celles et ceux qui vont pouvoir construire le monde de demain parce qu'ils l'auront rêvé. " Ces inégalités croissantes font craindre le possible développement d'un scénario à la Mad Max, de la guerre de tous contre tous pour l'appropriation de ressources devenant toujours plus rares. Mais arrêtons là la description possiblement apocalyptique de la maison qui brûle, parce que sinon on va tous se pendre, et mettons-nous au travail.