[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bonjour. Nous avons vu précédemment que l'imagination et la créativité étaient vraiment essentielles au développement psychologique de l'enfant. Nous avons la chance aujourd'hui d'aller visiter la Maison de la Créativité et de rencontrer sa directrice Maryjan. Bonjour Maryjan. D'où ça vient, cette Maison de la Créativité, qui est vraiment, je crois, unique en Europe? >> C'est une idée qui a germé sous une autre forme pendant plusieurs années autour de l'éveil culturel et artistique petite enfance en ville de Genève et qui est devenue Maison de la Créativité en 2015. >> D'accord. >> Cette maison était anciennement le Musée d'ethnographie de Genève, une annexe du musée d'ethnographie, et lorsque le nouveau musée d'ethno s'est mis en place en ville de Genève, elle est devenue la Maison de la Créativité. >> D'accord. C'est une maison donc de la ville de Genève, c'est ça? >> C'est une maison de la ville de Genève, tout à fait, une vieille maison bourgeoise, un espace magnifique au milieu d'un grand parc, donc une maison sur trois étages, c'est vraiment un lieu assez magique. >> Pourquoi la créativité? Parce que c'est vraiment une maison qui est unique en Europe. >> Oui, tout à fait. La créativité parce que c'est vraiment une capacité magique qui permet de libérer le potentiel de chacun. La créativité agit tant sur le plan individuel, sur le plan social et collectif. Lorsqu'on est en situation créative, qu'on soit un enfant ou un adulte, il y a énormément de compétences cachées qui se développent en sourdine, notamment l'estime de soi qui se bâtit. Dans cette maison, il y a également le vivre ensemble qui prend beaucoup de place. Et puis, un autre point très important c'est que la créativité est pour moi comme un passeport pour demain. Aujourd'hui, on se pose beaucoup de questions autour de l'éducation, qu'est-ce qu'il faut mettre dans les valises de nos enfants pour leur avenir. On ne sait plus bien, les savoirs, les connaissances, il y a beaucoup de questions autour de ça et il me semble que c'est un cadeau précieux à faire aux enfants que de leur offrir la capacité de créer, parce que quelle que soit leur situation, ils auront besoin un jour ou l'autre de créativité dans leur vie personnelle comme dans leur vie professionnelle. >> Mais qu'est-ce qu'il y a vraiment de spécifique parcequ'on a vu que les enfants étaient spontanément créatifs, les jeunes enfants, donc qu'est-ce qu'elle a de spécifique, cette maison, actuellement? Comment vous faites pour développer cette créativité qui est naturelle chez les enfants? Pourquoi actuellement il y a un besoin très fort de travailler sur cette créativité? >> La créativité est naturelle chez l'enfant, mais je pense que c'est oublié. C'est passé aux oubliettes pour des bonnes raisons, je pense, pendant plusieurs années. On a de moins en moins d'espaces vraiment de jeux libres où l'enfant peut jouer totalement librement avec les objets qu'il souhaite, en mêlant des objets insolites, en allant chercher je ne sais pas, la dînette et les animaux de la ferme, pour parler des lieux de petite enfance. On sait que dans la maison, les enfants jouent avec les casseroles, bien sûr, avec les cartons d'emballages, mais on ne prend pas ça au sérieux. Et je crois qu'il est temps de le prendre au sérieux. Dans cette maison, on a un espace magnifique. L'idée c'était de provoquer la rencontre entre d'une part notre public, qui est un public de petite enfance. C'est donc le public de famille pour les mercredis après-midi, parents et enfants ensemble et puis les collectivités d'enfants, que ce soit crèches, haltes-jeux, écoles privées et publiques, foyers d'enfants [DIAPHONIE] handicaps. >> Donc là , ils viennent en groupes. >> Eux, ils viennent en groupes. Il fallait provoquer la rencontre entre ce public et des univers un peu insolites qui suggèrent vraiment la créativité. Il fallait qu'on bouscule les perceptions, qu'on fasse sortir du quotidien, c'est la deuxième chose importante, et laisser l'espace à la liberté pour que justement la créativité puisse émerger. Pour ça, on a quatre moyens. Le premier c'est donc les espaces, et là je vais pouvoir en parler un petit peu plus, les espaces comme on les organise. Le deuxième, c'est un concept fort qui est enfant adulte partenaire, c'est aussi quelque chose qui a son importance ici, le temps et la liberté qui est laissée, comment tout ça s'organise, et bien sûr tout ce qui est formations, recherches, débats, pour créer des ambassadeurs de créativité. Parce qu'il ne suffit pas qu'il se passe des choses ici, il faut aussi que ça aille à l'extérieur. >> Si on revient à ton premier point, Maryjan, comment ça se passe au niveau des espaces? >> Les espaces, on fait des mises en scène. Soit seuls, on a également des artistes en atelier qui s'installent pour des périodes de trois mois ou de six mois, et sur ce temps-là , ils sont invités à créer des choses avec les publics. Mais au-delà de cela, nous avons sept espaces dans la maison dans lesquels nous mettons en scène du matériel sans objectif d'apprentissage. Nous n'avons pas décidé qu'à travers ce matériel, l'enfant comme l'adulte ferait telle ou telle découverte. On met en scène, avec un souci du détail et un petit peu de l'esthétique pour qu'il y ait cette envie partagée entre enfants et adultes de venir, et puis on met des objets. >> Ca n'empêche pas l'enfant d'apprendre, même si toi tu ne veux pas explicitement un apprentissage précis, l'enfant lui-même peut apprendre. >> Mais bien sûr. Il y a énormément d'apprentissages qui se font, on pourra encore en parler. Donc, il n'y a pas de jouets ici, c'est un lieu pour enfants et adultes, il n'y a aucun jouet, ce ne sont que des objets de jeux, partant du principe que les jouets sont connotés, sont parfois genrés, et il y a beaucoup d'éléments en termes de fonctions. Là , on laisse libre cours à l'imagination et donc on offre uniquement des objets de jeux. Je vais vous donner quelques exemples parce que c'est peut-être important de visualiser. On a un espace qui s'appelle le Fil et noue, où on a mis en scène des cordes, des très grosses cordes, des plus petites, des longues, des courtes, des objets percés qui peuvent être des perles, mais on peut en faire ce que l'on veut, des objets de bois qui sont issus de vieux meubles, des gros tunnels de bois, des tubes de plastique de chantier, et on laisse enfants et adultes s'emparer de tout ce matériel. Donc, les enfants même tout petits, les bébés, vont être en contact avec la matière, les plus grands vont avoir plaisir à construire, à enfiler, les adultes qui sont là peuvent avoir du plaisir à faire des nœuds de marin, a faire des tresses, à s'inviter également dans cette proposition. On a une Maison à tisser avec une maison de bois et du matériel, des fils, de la laine, etc., qui permet également cette découverte pour tisser les murs, mais de façon totalement libre. >> Ce sont des objets très traditionnels. Les parents, comment ils réagissent? Est-ce qu'ils ne disent pas où sont les technologies, les tablettes et tout ça? Quelles sont leurs attitudes? Est-ce qu'ils sont surpris? Comment ça marche? Quelles sont leurs réactions? >> Les parents n'ont jamais demandé ça. C'est pour eux aussi un lieu étonnant, assez étrange. Quand ils arrivent ici, ils se questionnent. On insiste beaucoup, on fait vraiment une visite très précise avec chaque nouvelle famille qui arrive pour expliquer le sens de ce qui se passe. En général, ils sont assez contents de trouver un espace où ils peuvent lâcher prise, où ils peuvent s'arrêter un peu et puis profiter de vivre avec leurs enfants. Je n'ai jamais eu cette question. Pour nous, effectivement, ces technologies font partie du monde, mais ce qui disparaît, c'est la partie qu'on propose. Donc, l'idée c'est de permettre vraiment ce contact et cette mise en lien avec le monde et avec le monde concret. Rien n'empêche d'avoir toutes ces découvertes par la technologie, d'autres éléments. >> Et les parents, après, chez eux, est-ce qu'ils reprennent, ça devient des habitués, et ils découvrent une façon d'observer leurs enfants dans des situations où d'habitude ils sont tout le temps en train de faire faire aux autres, de voir le donner à jouer, est-ce qu'ils arrivent à le reproduire chez eux, à revenir souvent? Comment ça marche? >> Oui, c'est notre grand plaisir quand on a des familles qui disent, ça, on va le refaire à la maison et puis certains arrivent en disant, on a créé un petit coin pour que l'enfant puisse se créer, avoir accès à de vrais outils, puisque c'est aussi notre propos ici. Il n'y a pas de simulacres d'outils, il y a des vrais outils qui font mal ou des vrais marteaux. Mais la proposition est très simple ici, volontairement, pour qu'on puisse reprendre les idées, se les approprier et les remettre en jeu à la maison comme dans les crèches ou dans les lieux de vie de l'enfant. >> Quand on n'a pas la chance d'habiter dans la région de Genève, comment on fait? Est-ce que c'est exportable, est-ce qu'on peut reprendre, est-ce que toutes ces idées, est-ce que c'est facile de mettre en œuvre ou alors est-ce que c'est vraiment limité juste à cette maison? >> Non, non, c'est tout à fait exportable. Nous avons toujours une petite explication toute simple, mais je vais donner un autre exemple très concret. Au tout début, on avait le thème ombre et lumière, et on avait un espace rempli de passoires, de lampes de poches, de tambours de machine à laver pour jouer avec les trous et la lumière, donc c'était un lieu sombre. Il suffit de sortir de la cuisine quelques éléments percés, les passoires à thé, etc. et donner à l'enfant des objets, et le laisser les explorer de façon libre, spontanée et autonome, agir, nous, en tant qu'adultes avec ces objets aussi, pour que l'enfant, et c'est une chose aussi très importante quand je parlais de l'enfant adulte partenaire, que l'enfant s'engouffre dans le plaisir de faire de l'adulte. Donc, la motivation de l'adulte est importante, parce que si l'on reste en retrait d'une proposition à l'enfant, c'est comme si on lui disait, ce que tu fais là , c'est bon pour toi, mais pour moi, ce n'est plus intéressant, je suis grand. Et l'enfant adore faire comme les grands. Ce message est aussi transmis aux parents. Je crois qu'ils le comprennent bien, et il y a toujours certains parents qui restent en retrait et qui ne s'engagent pas vraiment avec leur enfant mais c'est quelque chose de longue haleine. >> D'accord. Quelles sont les perspectives pour cette Maison de la Créativité? Tu as quoi comme projets de développement, d'autres idées, comment tu vois l'avenir? >> On a cet axe vraiment, on a trois axes qui s'appellent laissons-les créer, laissons-les jouer, et laissons-les choisir. Autour de ces trois axes, on a plein de projets, dont beaucoup de projets notamment avec des partenaires déjà qui existent. Au niveau de l'imaginaire, on travaille des festivals de films, trois ou quatre festivals de films à Genève, donc on relaie aussi ces films d'animation qui sont source d'imaginaire, on travaille avec les musées, avec le Fonds municipal d'art contemporain et on a l'ambition d'aller à l'extérieur, c'est-à -dire d'amener ce jeu libre et cette créativité vraiment libre et autonome dans différents lieux. Donc, on fait des irruptions créatives dans les institutions de la petite enfance. On est en train de construire un élément nomade qui pourra s'inviter dans différents lieux et donner à voir cette créativité, ce jeu libre qui est vraiment assez extraordinaire de voir à quel point, tu parlais de compétences, les enfants construisent énormément de compétences en jouant librement. Ils travaillent sur tous les domaines qui les touchent à ce moment-là . Donc, c'est pas la même activité de tous les enfants au même moment. Un enfant qui aura une envie de développer sa motricité fine pourra le faire dans ce moment-là en même temps qu'un autre enfant qui sera vraiment le moteur et porter, etc. parce qu'il choisira lui-même ses voies de développement. Donc, on a vraiment l'intention de créer des ambassadeurs de ce principe-là pour que ça se développe et que ça reprenne sa place. >> OK. En tout cas, merci beaucoup pour cet accueil. Notre entretien se termine. As-tu en conclusion une dernière phrase, une grande conclusion à nous dire? >> Est-ce une grande conclusion? Mais tout cas, ce que j'ai envie de dire, c'est que ce qui se passe ici, c'est à la fois très simple, mais c'est quelque chose de très sérieux. >> D'accord. En tout cas, vraiment merci beaucoup, et puis j'invite toutes les personnes qui passent dans le coin ou dans la région à venir tenter cette expérience vraiment incroyable. [MUSIQUE] [MUSIQUE]