[MUSIQUE] CQFD, votre émission de science et de santé. Voici un sujet que nous vous proposions une première fois en mars 2016, avec ce constat, les bébés prématurés n'aiment pas le bruit, au point que cela perturbe leur apprentissage, Adrien Zerbini. >> On sait que lorsqu'on est confiné dans le ventre maternel, un fœtus, quand il est confiné dans le ventre maternel, il entouré d'une lumière douce, de bruits tamisés, tout ça est extrêmement filtré. Et puis à la naissance, le nourrisson découvre la gravitation, mais aussi les sons et des lumières beaucoup plus vives. Et dans le cas des prématurés, plus précisément des grands prématurés dont on va parler ce matin, c'est-à-dire ceux qui naissent avec au moins deux mois d'avance, on sait que le bruit les perturbe. Différentes études ont déjà démontré que le bruit affecte leur sommeil ou leur rythme cardiaque par exemple, mais ce que l'on apprend aujourd'hui, c'est que le bruit impacte également certaines capacités d'apprentissage de ces bébés, plus précisément d'apprentissage sensoriel. C'est une étude menée par des chercheurs de Grenoble et de Genève. >> Edouard Gentaz, bonjour. >> Bonjour. >> Vous êtes professeur en psychologie du développement à l'université de Genève. Déjà, pour nous autres qui ne passons pas beaucoup de temps dans les services de néonatologie, c'est bruyant une néonatologie? >> En fait, l'environnement de néonatologie est stressant globalement. Et dans ce stress, dans cet environnement stressant, il y a les bruits, mais pas seulement. Il y a aussi les odeurs avec tous les soins. C'est vraiment un environnement sensoriel qui est particulier mais qui est indispensable pour sauver la vie des bébés. Mais le prix à payer c'est que parfois, des éléments de cet environnement vont perturber certaines capacités d'apprentissage sensoriel. >> Il y a par exemple des alarmes de pompe d'alimentation, il y a pas mal de choses qui sont sous alarme, c'est ça? Parce qu'on doit monitorer le nouveau-né. >> Voilà, en fait les enfants sont suivis en permanence, et pour ce suivi, on a plein de dispositifs technologiques qui permettent d'alerter les personnels s'il y a un problème ou pas dans telle ou telle chose. Autrefois même, les couveuses étaient alignées les unes aux autres. Maintenant, on sait les séparer, on essaie de confiner, de prévoir un environnement beaucoup moins stressant, et ces bip bip qui alertent, qui sont indispensables, c'est tout l'objet de l'étude qu'on a menée ensemble. >> Votre étude s'intéresse aux capacités d'apprentissage des grands prématurés, et c'est vrai que ça peut paraître un peu difficile à étudier comme thème. Comment est-ce qu'on arrive à évaluer les capacités d'apprentissage de grands prématurés? >> On s'intéresse depuis une dizaine d'années aux capacités d'apprentissage tactile. En fait le toucher, c'est un des premiers sens qui est mature quand le bébé est en gestation, et donc quand le bébé vient de naître, même avec deux mois d'avance, on lui met un petit objet dans la main, et puis, par un réflexe, il va explorer, il va faire des petits mouvements. Et ces petits mouvements vont lui permettre de se représenter quelle est la forme de l'objet qui est dans la main. Et puis au bout de quelques secondes, le bébé relâche l'objet. On lui remet, et puis au fur et à mesure qu'on lui remet dans la main, l'objet est tenu de moins en moins longtemps. Donc, on veut dire qu'il s'habitue. Ça, c'est une preuve qu'il y a une mémoire, puisqu'à chaque fois qu'on lui remet, il ne s'intéresse plus. >> Le même objet. Il s'intéresse de moins en moins. >> Voilà. Donc, ce petit objet, le prisme par exemple, au début il va le tenir dix secondes, puis à la fin, dès qu'on va lui mettre dans la main, il le relâche. Au bout de cinq, six essais, c'est pas de la fatigue, puisque si je change la forme de l'objet, c'est-à-dire à la place d'un prisme, d'un petit objet en bois de un ou deux centimètres, je mets un cylindre, hop, du coup il y a de nouveau un intérêt et l'enfant commence à le toucher beaucoup plus longtemps. >> C'est un phénomène d'habituation et de travail finalement sur la mémoire du sens tactile, en l'occurence, vous le disiez, de ces grands prématurés. Et je crois que vous avez mené ces expériences avec justement des environnements sonores différents pour tester quoi? >> Voilà. Ses compétences. On voit que ces bébés sont capables de mémoriser la forme des objets et puis de faire la différence entre deux formes, un prisme et un cylindre. Toutes ces recherches qu'on a menées depuis dix ans, chaque fois, on proposait un environnement calme, sans bruit, le bébé éveillé, pour pas qu'il y ait justement d'interférences. Et là, l'idée, on s'est dit, on va aussi tester ses capacités dans un environnement naturel. Et du coup, pendant l'expérience, il y a un groupe de bébés qui va avoir la ligne de base, c'est-à-dire sans bruit, calmement, donc là on va retrouver nos résultats habituels, et puis il y a un autre groupe de bébés à qui on a proposé la même expérience tactile. Simplement, à ce moment-là, on fait écouter un bip classique de leur environnement. >> Vous nous proposez justement un de ces bips. On va l'entendre. [BRUIT] [BRUIT] [BRUIT] [BRUIT] >> C'est peut-être pas si fort que dans votre casque. >> Oui, c'est pénible à l'écoute. >> C'est 45 décibels, c'est ça? Donc c'est pas très fort. >> C'est autour de 50, donc 50 à 60. Tout va dépendre si on se place du point de vue du bébé dans la couveuse, donc ça filtre, donc c'est moins fort, et puis si c'est à l'extérieur, c'est plus fort. Et on propose ce bruit pendant l'expérience. Et là, si les enfants sont soumis, exposés à ce bip qui est un bruit très présent dans les services, à ce moment-là, ça perturbe la première phase d'habituation, c'est-à-dire que les bébés n'arrivent plus à mémoriser l'information tactile qui est dans la main. Et puis ceux qui y arrivent quand même, ça perturbe après leur reconnaissance avec l'autre forme d'objet. Donc ça agit à deux niveaux, au moment de l'encodage de la forme et au moment de la phase test où là, ils n'arrivent plus à faire la différence entre le prisme et le cylindre. >> Et quand vous dites, ils arrivent plus, c'est-à-dire que les résultats sont noir et blanc. Dans le silence, ça marche à 100 % et dans le bruit >> Voilà, exactement. Là, on bascule. On a des différences environ de plus de dix secondes pour chaque essai. >> Donc c'est très net. Edouard Gentaz, vous êtes professeur de psychologie du développement à l'université de Genève, donc vous avez peut-être une explication, au moins une hypothèse sur les raisons de cet effet délétère du bruit sur les grands prématurés? >> On propose plusieurs explications. Une ce serait une explication basée sur l'attention et le partage des retours attentionnels. Le fait que pendant que je réalise ma tâche tactilement, si j'ai du bruit interférant, mon attention va être prise par ce bruit, va consommer mes ressources, et du coup, je ne vais pas pouvoir affecter mes ressources au moment où je dois coder l'information tactilement. >> Mais ça, ça prouverait que les grands prématurés ont déjà un système nerveux complètement mature, c'est-à-dire connecté, que les sens sont connectés les uns aux autres. >> C'est tout l'intérêt de cette étude. Il y a à la fois un intérêt pratique, donc là, on voit tout de suite, attention aux bruits qu'on propose aux enfants, et l'intérêt théorique, c'est que ça montre justement que nos sens, deux mois avant la naissance sont déjà liés entre eux, c'est-à-dire que le système auditif, le système tactile, peuvent communiquer entre eux. Et on l'avait montré déjà précédemment entre le système visuel et le système tactile, mais chez des bébés à terme, et là ça montre théoriquement que déjà, les enfants ne vivent pas dans des mondes sensoriels séparés, mais qu'il peut y avoir une communication précoce entre les sens déjà deux mois avant la naissance. >> Tests déjà effectués, vous le disiez, sur des bébés à terme, ça veut dire que les bébés qui naissent tout à fait normalement à terme au bout de neuf mois, on devrait aussi protéger leur environnement sonore, plutôt les accueillir dans du silence? >> Du coup, c'est ce qui se fait dans la plupart du temps, parce qu'un bébé à terme à la maternité, en général. >> Regardez le petit bébé comme il est mignon, etc. Donc, on lui crie dessus il me semble, le pauvre. Des fois je me dis, ça ne doit pas être drôle. >> En général, les parents quand ils rentrent dans les chambres, tout le monde prend la voix douce, la voix de nuit ou la voix calme. Il y a vraiment un environnement, peut-être ceux qui ont des problèmes auditifs, mais habituellement [DIAPHONIE] >> La vieille tata qui arrive [DIAPHONIE] [RIRES] >> En général, on s'adapte. On sent bien qu'il y a une atmosphère de calme et de sérénité, parce qu'il n'y a aucun problème. Du coup, on s'adapte automatiquement. Évidemment, c'est conseillé de ne pas laisser la télé allumée fortement, des choses comme ça. >> Oui. Est-ce que avec ce genre d'expérience, ce qu'on en retient, c'est-à-dire finalement pour les grands prématurés, essayons d'avoir un maximum de silence. Vous allez aller auprès des services de néonatologie leur parler de ce que vous avez pu constater en essayant de voir comment ils pourraient réduire au maximum le bruit? >> Oui. Ça, c'est vraiment une démarche qui se fait un peu partout dans le monde où les gens maintenant, tous les chercheurs, les praticiens, savent qu'il faut tout faire pour présenter un environnement néonatologie le plus calme possible, le moins stressant au niveau de la lumière par exemple, au niveau des odeurs, et puis là au niveau du bruit. Il y a même des recommandations. Il y a tout un tas de chercheurs qui montrent qu'il faut faire en sorte qu'il y ait pas plus de 45 décibels. Donc, il y a tout un tas de technologies maintenant qui sont inventées. D'abord, on met les couveuses dans des chambres individuelles, on déporte les alarmes dans les couloirs pour pas que justement le bébé soit perturbé par rapport à ça. Les services vraiment se mobilisent pour essayer de présenter un environnement le plus optimum sensoriellement pour le bébé. C'est-à-dire, il ne faut pas non plus qu'il vive dans une boîte où il y a zéro stimulation sensorielle, mais il faut que les stimulations sensorielles soient présentes et correspondent à leurs capacités. >> Les bébés prématurés n'aiment pas le bruit au point que cela perturbe leur apprentissage. C'était Edouard Gentaz, professeur en psychologie du développement à l'université de Genève, sujet en nouvelle diffusion ce matin dans CQFD. [MUSIQUE] [MUSIQUE]