[MUSIQUE] Bienvenue dans cette vidéo intitulée : L'émergence des normes qui définissent le dopage. Cette séquence a 3 objectifs principaux. Premièrement, comprendre comment, entre 1945 et 1965, les controverses sur l'usage des produits pour améliorer la performance se développent. Deuxièmement, de prendre de la distance et d'identifier le dopage comme une pratique définie par des normes sociales qui fixent les limites de ce qui est autorisé de faire pour améliorer la performance. Troisièmement, de comprendre les contradictions entre la mise en place d'un dispositif juridique et en même temps la diffusion des pratiques de dopage. Commençons par voir comment la prise de produits devient un problème. La rationalisation de l'entraînement qui comprend la consommation de produits, se poursuit jusqu'aux années 1940, elle est alimentée par le rôle croissant des recherches scientifiques. C'est après 1945 que les changements sont plus importants, d'une part en raison des effets de la guerre, on y a expérimenté des produits, en particulier des amphétamines et cela a favorisé leur diffusion. D'autre part, en raison des recherches, puisque les travaux sur les hormones vont favoriser un petit peu plus tard la diffusion des stéroïdes anabolisants. C'est à la fin des années 50, que commence à se mettre en place un changement important dans la façon de percevoir la prise de produits pour améliorer la performance. Le dopage commence à être considéré comme un problème éthique ou de santé et cela pour plusieurs raisons. La première raison, c'est que il y a un changement de perception du sport par le corps médical. Avant les années 1950, une grande majorité du corps médical ne perçoit pas positivement le sport de compétition. Il est souvent considéré comme une menace pour la santé. Mais les recherche de Jacques Gleyse indique un changement dans les discours au début des années 50. Ensuite, parce que l'on s'inquiète d'une transformation du sport, des risques de professionnalisation et de l'accroissement de sa dimension marchande. Il y a un crainte que le sport ne s'éloigne de ses valeurs aristocratiques et de fair-play. Le dopage permet ainsi de réaffirmer des valeurs et de rappeler des dimensions éthiques qui semblent se transformer. Le deuxième point que je souhaite aborder, est de voir que les difficultés à définir le dopage sont liées à des normes, qui sont en cours de construction. Après 1945, les normes sociales se déplacent progressivement et à partir de 1963, il y a une volonté assez claire de certains médecins, de sportifs et de représentants des États de condamner le dopage. Mais ce n'est de loin pas un point de vue unanime, beaucoup de sportifs, de médecins et d'entraîneurs, continuent à utiliser des produits et ne tiennent pas compte de ces différentes normes. Au-delà de la diversité des attitudes, une des conséquences est que la question de l'identification des méthodes et des produits, et donc, de la définition du dopage, devient une question importante. C'est pour cela que se précise la volonté d'identifier ce qu'est le dopage. Mais les premières tentatives d'identification sont très hétérogènes. Par exemple, pour le docteur Kipfer, qui s'est intéressé au sport à la fin des années 1940, la nourriture prise avec la volonté d'accomplir une performance, doit être considérée comme du dopage. Sa liste couvre des aliments extrêmement différents, comme le yaourt ou le sucre, de même la caféine présente dans le café, le cacao, le thé, mais aussi des produits stupéfiants ou l'alcool peuvent, selon lui, être des excitants ayant une action sur la performance. Quelques médecins vont plus loin, en proposant d'inclure dans des actes de tricherie assimilables au dopage, les massages des sportifs ou les applaudissements du public. Le souhait de condamner le dopage, pose alors la question de l'identification des méthodes et des produits et donc, de sa définition. Un premier colloque réunit des sportifs, des médecins et des chercheurs en France, en 1963, à Uriage-les-Bains. Ils tentent de définir le dopage, et parmi les propositions, le Professeur Boissier affirme que les produits pris pendant ou juste avant la compétition sont du doping, alors que ceux pris pendant l'entraînement, rentreraient presque dans le cadre d'une alimentation mieux conçue et plus équilibrée. Un autre médecin, le Docteur Delezenne, représentant de la Commission Centrale Médicale de la Fédération Française de Football, affirme qu'un traitement médical, qui aurait pour but de ramener à l'état physique normal un athlète fatigué, ne serait pas du dopage. Ce qui correspond évidemment à du dopage dans la plupart des cas, si on prend la définition actuelle. Abordons maintenant les contradictions entre la mise en place d'un dispositif juridique et la diffusion des pratiques de dopage. Les discussions se poursuivent autour de la définition du dopage et conduisent à fixer la définition par des normes juridiques. On commence à légiférer en Belgique et en France, ce qui fait apparaître les premières lois sur le dopage en 1965. Ces lois reposent en grande partie sur les débats du premier colloque de 1963 et correspondent bien à la fixation d'une norme sociale à partir d'éléments et de représentations très hétérogènes. Mais c'est le renforcement des organisations sportives qui donnent la possibilité de régulation collective. Comme nous le montre la sociologue Julie Demeslay dans son livre sur l'institution mondiale du dopage, publié en 2013. C'est en particulier la création de l'agence mondiale antidopage, en 1999, qui a joué un rôle majeur dans l'unification des normes. Mais même si les définitions sont floues, on voit que l'identification du dopage se précise et que les conditions pour mettre en place un arsenal répressif et juridique sont réunies. Ce qui pourrait paraître surprenant, c'est qu'en même temps que les normes sont fixées, les enjeux économiques, scientifiques et politiques ont conduit une partie des formateurs, des chercheurs, des médecins, ou encore des entraîneurs, a poursuivre le développement des techniques de dopage, pour améliorer les performances. Les années de guerre froide font que l'affrontement entre les régimes communistes de l'Est et capitalistes de l'Ouest, se joue aussi sur le terrain sportif. Ainsi, chacun développe ses recherches et ses techniques de dopage avec pour conséquence, soulignée par le sociologue John Hoberman, dans son livre Mortal engines, que ces différents acteurs du sport et de la production de la performance vont mettre les athlètes en danger. En conclusion, l'histoire récente nous permet de comprendre que l'émergence du dopage comme problème majeur est lié à la conjonction entre la diffusion de nouveaux produits et le souhait des acteurs du sport et du CIO de maintenir une éthique du désintéressement. Deuxièmement, que certains médecins et acteurs du sport s'engagent dans une lutte contre le dopage, en fixant des normes juridiques et en mettant en place un arsenal répressif. Troisièmement, c'est qu'en même temps, d'autres enjeux, notamment des enjeux politiques liés à la guerre froide, mobilisent les acteurs du sport, les médecins, les scientifiques pour perfectionner les techniques de dopage. Merci d'avoir suivi cette vidéo. [MUSIQUE] [MUSIQUE]