[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bienvenue dans cette vidéo intitulée : Pourquoi les sportifs se dopent-ils? Cette première vidéo a trois objectifs. Il s'agit de comprendre que, un, le dopage ne peut pas être seulement considéré comme une faute individuelle liée à une absence d'éthique, deuxièmement, que les explications liées aux changement sociaux apportent un cadre pour comprendre la consommation de produits dopants, mais elles ne suffisent pas à comprendre la motivation à se doper. Il faut aussi être capable d'apporter un regard critique sur ces explications structurelles au dopage. Troisièmement, enfin, l'objectif est de comprendre que c'est en croisant les disciplines et les niveaux d'analyse que l'on peut comprendre pourquoi les sportifs se dopent. Abordons premièrement la question du manque d'éthique. L'idée essentielle qui domine quand on cherche à expliquer le dopage est que le manque d'éthique des athlètes provoque la faute morale qui est le dopage. Mais ce n'est pas une explication si l'on n'essaye pas de comprendre ce qui fait qu'un individu respecte ou pas le code éthique. Dans le sens commun, on pense que cette absence d'éthique est en décalage avec les valeurs du sport. Il s'agirait d'une sorte de déviance qui corromprait les valeurs du sport. Mais 4 observations contredisent cela. Premièrement, parce que des travaux de Hughes et de Coakley ont montré que le dopage correspond plutôt à une déviance positive, c'est-à -dire à une très grande conformité aux normes sportives. Souvent le sportif essaye simplement de se maintenir dans une équipe ou dans un groupe et d'être reconnu par ses performances. Deuxièmement, parce que l'entourage du sportif adhère à l'idée que la compétition est un objectif majeur qui implique de nombreux sacrifices. En conséquence, le dopage peut constituer une réponse aux attentes des entraîneurs, des parents ou des dirigeants. Troisièmement, partager la culture du sport de haut niveau va de pair avec l'idée que le corps doit souffrir et qu'il faut prendre des risques corporels pour progresser. Aller toujours plus loin dans l'effort, souffrir, risquer la blessure font partie des normes sportives et le dopage est simplement perçu comme une façon de prolonger ces dispositions au risque. Quatrièmement, le sport est aussi un petit monde dans lequel les informations sur la nutrition, les suppléments ou les techniques de préparation, aux limites de la légalité parfois, sont partagées. L'usage de drogues illicites est souvent perçu comme une de ces techniques. On voit donc de fortes contradictions. Si d'un point de vue juridique, la frontière entre ce qui est légal et ce qui est illégal est assez claire, l'expérience de l'entraînement rend ces frontières beaucoup plus floues pour un sportif. L'entourage et la socialisation du sportif font que le dopage peut être perçu comme une sorte de prolongement des logiques de préparation du sportif. Cela veut dire qu'on ne peut pas penser la question éthique en dehors de l'environnement du sportif qui façonne son éthique et modifie la perception du dopage. En conséquence, il faut pouvoir observer l'environnement social qui conduit un sportif à changer sa perception de ce qui est ou n'est pas une faute morale. Deuxièmement, nous allons voir en quoi cet environnement du sportif est favorable au dopage. Concernant les effets des changements sociaux et en s'appuyant sur les travaux de Barrie Houlihan dans son livre Sport and Society et de Letizia Paoli et d'Alessandro Donati dans leur livre The Sports Doping Market, on peut identifier 6 facteurs favorisant le dopage. Premièrement, une culture de l'excellence qui ne valorise que la victoire. À ce sujet, on peut penser que le rôle du déclin de l'amateurisme et du désintéressement conduit à donner trop d'importance à la victoire. Deuxièmement, une médicalisation de la société, dans laquelle les produits d'amélioration de la performance, physique ou intellectuelle, sont banalisés. Stimulants pour les examens, Viagra pour les performances sexuelles, hormones de croissance contre le vieillissement, et cetera, rendent beaucoup plus difficile de faire du sport un territoire à part vierge de produits dopants alors qu'ils se diffusent dans la société. Troisièmement, une rationalisation du corps et de la production de la performance sportive. Ivan Waddington et Andy Smith montrent dans leur livre Drugs in sport que de nombreuses techniques susceptibles d'améliorer les performances du corps sportif sont issues de la médecine du sport. La participation des médecins du sport à produire la performance plutôt qu'à soigner pose en effet un problème. Un quatrième facteur serait dû à la politisation du sport qui, notamment pendant la guerre froide, confère aux athlètes une mission de défense d'une cause politique, nationale ou idéologique, ce rôle ayant conduit certains états à aider les athlètes à se doper et ont donné une légitimité aux sportifs les incitant à aller très loin dans leur préparation pharmacologique. Le cinquième facteur est économique. La marchandisation a attiré des sponsors et a considérablement augmenté les flux financiers dans le sport. Avec la professionnalisation de nombreux sports dans les années 80, les profits économiques peuvent être conséquents et inciter à prendre des produits dopants. À cela s'ajoute le développement d'internet qui a facilité la distribution et l'accessibilité des produits. Un sixième facteur est lié à la médiatisation du sport qui a favorisé une économie de la célébrité. Le profit symbolique d'un titre sportif, une médaille aux jeux olympiques par exemple, peut être important. Mais aucun de ces arguments évoqués n'est suffisant. Par exemple, on affirme facilement que l'argent du sport explique le dopage. Mais que faire des cas de dopés dans les sports amateurs sans argent, ou de certains body-builders qui prennent des produits sans même pratiquer la compétition? Comme l'affirme clairement l'économiste Jean-François Bourg, on ne peut assimiler un athlète à l'homo economicus parce que, selon lui, on ne peut considérer le sportif comme un strict maximisateur d'un intérêt personnel hors de tout lien social et de tout contexte institutionnel. Si convaincants qu'ils soient, les différents facteurs forment des conditions favorables mais ne suffisent pas à expliquer le dopage. Ils permettent juste de dire que ce n'est pas seulement une faute morale du sportif et qu'il y a des facteurs bien plus larges. En conclusion, nous avons montré que les deux approches habituelles du dopage, la première de dire que c'est une faute morale, et la seconde de dire que les causes sont sociales, ont des faiblesses. Cette alternative entre faute individuelle et explication sociale est à dépasser pour comprendre le dopage. Pourquoi? Parce qu'il y a une grande diversité de formes de dopage. Une explication simple n'est pas possible. Mais aussi parce que les facteurs individuels contextuels et sociaux sont imbriqués. Cela n'a pas de sens de penser l'individu en dehors de son environnement. Les dimensions psychologiques et sociales sont articulées, et c'est pourquoi nous proposons, dans la suite de ce deuxième module, de comprendre le recours au dopage par une approche pluridisciplinaire qui tient compte des interactions entre les individus et leur environnement social. Un des moyens d'y arriver est d'observer les sportifs dans leur environnement à partir de deux cas, celui des boby-builders et celui des cyclistes et, en complément, de comprendre les approches psychologiques du dopage. C'est ce que vous allez voir dans les prochaines vidéos. Merci de votre attention. [MUSIQUE] [MUSIQUE]