[MUSIQUE] >> Bienvenue dans cette vidéo intitulée Définir le dopage. L'objectif principal de cette première vidéo est d'essayer de vous faire comprendre que la définition du dopage résulte d'un processus socio-historique. Même si aujourd'hui les définitions du dopage sont beaucoup plus claires que par le passé, elle sont complexes. Les limites du dopage font toujours l'objet de discussions. Ce qui est légitime de faire ou pas pour produire des performances demeure l'objet de controverse. Pour comprendre les difficultés à définir le dopage, j'ai choisi de partir d'entretiens réalisés en 1962 par deux journalistes français, Robert Chapatte et Lucien Gavinet auprès des meilleurs coureurs cyclistes du moment. Cette manière de faire peut vous inciter à prendre un peu de recul et à comprendre comment les questions de dopage se posaient aux coureurs cyclistes dans les années 60. On sent en effet que dans les années 60 se diffuse à la fois une nouvelle morale sportive qui condamne la prise de produits, et un embarras pour définir les limites du dopage. C'est le cas de Jacques Anquetil, quintuple vainqueur du Tour de France qui exprime des doutes sur ce qu'est le dopage. >> Jacques Anquetil. >> Le doping, il faudrait savoir ce que c'est exactement. Je crois qu'on fait beaucoup de publicité autour de ce mot doping. >> Jacques Anquetil n'est pas le seul à douter. Par exemple, Oscar Plattner, un suisse plusieurs fois champion du monde de vitesse, fait état de ses confusions entre dopage et prise de vitamines. >> Oscar Plattner, vous avez été plusieurs fois champion du monde de vitesse pour la Suisse, mais je crois savoir qu'en Suisse, on ne comprend pas le doping comme partout ailleurs. >> Je crois, en Suisse, la plupart des personnes, ils mélangent le doping avec les vitamines, parce que le vrai doping, ça c'est, je crois, c'est vraiment une chose qu'on ne doit jamais accepter dans le sport, et les vitamines, c'est un renfort, une nourriture à renforcement, n'est-ce pas, >> que les coureurs ont besoin. Surtout les coureurs de six jours qui courent dix et plus, si jours par l'hiver, n'est-ce pas. >> On peut évidemment soupçonner Oscar Plattner d'utiliser une stratégie de dissimulation du dopage, destiné aux journalistes et aux spectateurs qui vont écouter cette émission. Il y a certainement un peu de cela. Mais d'autres témoignages nous font comprendre que les limites entre ce qui est acceptable ou pas sont effectivement très flottantes. Ainsi, dans le même entretien, Jacques Anquetil, plusieurs fois vainqueur du Tour de France, nous dit aussi qu'il faut prendre des stimulants pour être performant. Le journaliste a demandé : Lors des étapes contre la montre, dans le Tour de France par exemple, dans le Tour d'Italie, ou encore dans le Grand Prix des Nations, ou même et surtout à l'occasion du record de l'heure, est-ce que vous avez pu prendre le départ sans autres stimulant que votre amour propre et votre classe? Jacques Anquetil répond : Non, il faut toujours quand même un stimulant pour faire de grandes performances, sinon les performances ne seraient jamais battues. Les propos de Jacques Anquetil feraient scandale aujourd'hui, mais ils ne choquent pas vraiment à l'époque. Il faudrait évidemment préciser ce que Jacques Anquetil entend par stimulant, mais on voit clairement que les normes de ce qu'est le dopage ne sont pas fixées. Bien sûr, on pourrait se dire que ces cyclistes font semblant de ne pas comprendre ce qu'est le dopage et qu'ils prennent les auditeurs pour plus naïfs qu'ils ne le sont. Mais il y a de nombreux autres exemples, comme celui du Docteur Dumas, médecin à l'Institut National du Sport en France, qui atteste de la définition très incertaine du dopage. Comme vous allez l'entendre, le Docteur Dumas introduit une différence entre les amateurs et les professionnels. >> Docteur Dumas de l'Institut National des Sports. Le doping, très répandu chez les sportifs donc, l'est-il en même temps chez les amateurs et chez les professionnels? >> Là , il y a deux problèmes. Il y a deux problèmes parce que une fédération doit s'occuper des amateurs, elle est responsable des amateurs. Lorsque les parents nous envoient des gosses pour pratiquer un sport, on doit les surveiller. Lorsqu'ils s'agit de professionnels, ce sont des gens qui ont une profession, qui travaillent. On n'a pas les mêmes droits qu'on a sur eux, qu'on a sur les amateurs. Cette distinction du Docteur Dumas entre les amateurs et les professionnels semble suggérer qu'il faudrait protéger les amateurs, qui peuvent être des enfants, et que c'est plus difficile d'empêcher les professionnels de prendre des produits pour faire leur travail. En conclusion, ces entretiens avec les cyclistes des années 60 nous apprennent plusieurs choses. Premièrement, c'est que l'on ne peut pas penser le dopage des années passées en ayant comme référence les définitions actuelles. Deuxièmement, dans les années 60, les définitions du dopage sont très flottantes parce qu'elles sont en construction. Troisièmement, on pourrait penser que ces flottements ont disparu. C'est partiellement juste parce que la définition du dopage est aujourd'hui fixée par l'agence mondiale antidopage. Mais ce qui est surprenant, c'est que les limites du dopage sont toujours en discussion. Par exemple, ce qui est légitime ou pas, comme le suivi médical et le soutien pharmacologique par des produits de récupération continu de faire débat. Cette introduction au module à travers un exemple concret d'incertitude concernant la définition du dopage nous incite à mieux comprendre le processus qui conduit à faire du dopage une question importante, et c'est ce que nous verrons dans les prochaines vidéos. [MUSIQUE] [MUSIQUE]