[MUSIQUE] Habituellement, dans vos cours en sciences de l'éducation, on vous parle par exemple du concept de pédagogie différenciée. Dans ce cours, en fait, on essaie de vous proposer des pédagogies alternatives, et vous remarquerez que souvent, ces pédagogies alternatives sont beaucoup plus vastes que le secteur de la pédagogie ou de l'éducation. On vous a déjà parlé du concept du bien vivir. Aujourd'hui, je vais vous parler d'un autre concept assez global, le concept du bonheur national brut. Je vais vous expliquer pourquoi ce concept a été mis en œuvre au Bouthan, comment il est établi et comment il s'applique dans le domaine de l'éducation. En fait, le point de départ, c'est le roi du Bouthan, c'est un pays montagneux relativement isolé. Déjà dans les années 70, le roi du Bouthan a commencé par dire, est-ce que la priorité du développement ne devrait pas être le développement spirituel et émotionnel au lieu que ce soit le développement économique? Il est vrai que partout dans le monde actuellement, on est dans des cultures de la mesure. On mesure le produit national brut, on mesure l'espérance de vie. D'ailleurs, je ne sais pas si vous le savez, c'est intéressant que durant les dernières années, il y a le concept d'espérance de vie en bonne santé parce qu'on s'est rendu compte que c'est totalement stupide de prendre le chiffre d'espérance de vie si cette espérance de vie est très haute, mais que à partir de 50, 60 ans, vous avez des problèmes de santé. Et donc on a inventé le concept d'espérance de vie en bonne santé, ce qui est intéressant. Mais revenons au bonheur national brut. Au Bouthan, on a essayé de mettre en œuvre cette idée de bonheur national brut à la fin des années 80, le début des années 1990, à l'initiative des plus hautes autorités du pays. Alors, quelles sont les dimensions qui sont retenues pour définir le concept de bonheur national brut? Alors, il y a quatre dimensions. Il y a la question de la durabilité du développement économique, mais il y a aussi la durabilité de la protection de l'environnement. Donc il y a ces deux aspects. Troisième élément, c'est la question de la sauvegarde des traditions culturelles et des valeurs culturelles. Quatrième point, c'est la bonne gouvernance, c'est-à-dire l'idée que le bonheur national brut est lié à la manière dont le pays est gouverné et donc il vaut mieux avoir une gouvernance participative. Alors maintenant qu'on a défini les contours du bonheur national brut, cela donne quoi dans le domaine de l'éducation? Justement, dans le domaine de l'éducation, une des premières mesures prises dans le cadre de la mise en œuvre du bonheur national brut dans le domaine de l'éducation, c'est réhabiliter et valoriser la langue nationale du Bouthan dans le système éducatif. C'est-à-dire, au lieu d'avoir un système éducatif utilisant exclusivement l'anglais, on va mettre en évidence la langue nationale, on va l'utiliser durant les premières années de scolarisation, cela ne va pas signifier que l'anglais est totalement exclus, mais on va donner la priorité à la langue nationale. Ensuite, il y a à l'école, l'enseignement d'un certain nombre de valeurs qui semblent très importantes au Bouthan. Par exemple, le respect des autres, les respects des enseignants, l'obéissance aux parents, l'obéissance aux enseignants, le respect de tous les êtres vivants, des plantes, des animaux. Il y a aussi la question de la convivialité, la question de vivre dans une société où il n'y a pas de violence. Donc, il y a un certain nombre de valeurs traditionnelles que l'école est chargée de sauvegarder à travers ce concept de bonheur national brut. Donc ce qui est important, c'est de voir que quand le Bouthan a essayé de mettre en place cette idée de bonheur national brut, il y a eu pas mal de difficultés. Par exemple, quand le Bouthan limite le nombre de visiteurs étrangers à 100 000, cela veut dire que le développement touristique va être limité. Mais ils ont quand même décidé que chaque année, il n'y a pas plus de 100 000 visiteurs étrangers qui sont autorisés à entrer dans le pays. Alors, à l'école, le défi est très important aussi. Quand on essaie par exemple à l'école pour voir qu'est-ce que cela donne sur le plan concret le bonheur national brut, le bilan est un peu mitigé. Par exemple, des chercheurs ont essayé de voir quels sont les contes qu'on utilise dans les écoles du Bouthan. Alors, ils ont remarqué deux choses. La plupart des contes ne sont pas du Bouthan. Plutôt on met en œuvre pédagogiquement des contes occidentaux, des contes qui viennent de l'Inde. En plus, la plupart des contes impliquent des animaux qui n'existent pas au Bouthan. Et donc on a vraiment un décalage entre l'idée que l'école doit être la garante du bonheur national brut et la réalité de ce qui se passe à l'école, et l'école, elle reste encore habitée par une tradition, on va dire, coloniale, qui privilégie l'anglais, qui privilégie les narrations, les histoires exogènes par rapport aux histoires du Bouthan. Et donc on voit que l'idée du bonheur national brut, elle est probablement une idée intéressante, mais sa mise en œuvre est vraiment ardue. En conclusion, on peut se demander, est-ce que cette idée du bonheur national brut a fait tache d'huile ailleurs dans le monde? Le bilan est mitigé. Il est vrai que l'ONU a saisi cette idée de bonheur national brut en instaurant un certain nombre de cérémonies autour de l'idée de bonheur national brut. Mais on peut dire, y compris au Bouthan, la mise en œuvre du bonheur national brut rencontre des difficultés parce qu'il y a des difficultés économiques, parce que le pays est partagé entre une ouverture à la mondialisation économique ou la préservation des traditions culturelles. Il y a des véritables tensions. Donc on peut dire que d'une manière générale, nous avons intérêt à se demander, doit-on garder des systèmes éducatifs qui produisent des apprenants stressés, probablement des producteurs compétents, mais qui vont avoir recours à des psychologues, à des traitements, etc. pour compenser cette pression de la productivité, cette pression de l'excellence? Et donc l'idée du bonheur national brut, cela peut être un chemin alternatif pour réfléchir autrement non seulement sur l'éducation, mais sur le sens de la vie parce qu'évidemment, moi, ce que je retiens dans ce qui est intéressant dans l'idée du bonheur national brut, c'est qu'on n'a pas besoin de stresser l'ensemble de la société avec une augmentation du produit national brut pour après se trouver dans une société qui est morose et une société où le bien-être est plus hypothétique que réel. [MUSIQUE]