[MUSIQUE] [MUSIQUE] Aujourd'hui, de nombreux scientifiques constatent à quel point nos actions sur la planète sont parfois néfastes. On constate par exemple, que de nombreuses espèces animales disparaissent chaque année, on constate l'érosion des sols, on constate la déforestation intensive ; de nombreux phénomènes participent à la destruction de nos écosystèmes. Il y a toute cette partie environnementale mais il y a également des parties plus sociales : on constate également les conflits, les tensions entre les peuples. Aujourd'hui, avec le professeur Akkari, je vous propose une vidéo dans laquelle nous allons traiter des inspirations que l'on pourrait avoir à propos des pédagogies du Sud pour, justement, répondre aux enjeux que je viens d'évoquer. Est-ce que, Abdeljalil, tu pourrais nous parler des sagesses des populations indigènes et, éventuellement, de leurs rapports à la nature. >> Je pense, il faut faire attention avec le mot sagesse, parce que, dans le langage courant, qui dit sagesse peut dire passivité, passer. Nous l'avons utilisé dans ce cours dans le sens de la capacité de certains groupes, notamment des peuples autochtones, à la durabilité. Quand je parle de sagesse autochtone, elle a deux dimensions. La première : les autochtones se considèrent, et on l'a déjà dit dans le cours, comme des locataires et pas des propriétaires ; quand on est locataire de la nature et de l'environnement, on se comporte d'une certaine manière. L'autre dimensions de la sagesse indigène, ou autochtone, c'est que ces peuples investissent leurs savoirs pour préserver l'environnement, et donc on a vraiment beaucoup de choses à apprendre de ces groupes autochtones, et d'ailleurs les scientifiques commencent à s'intéresser sérieusement, depuis des décennies, par exemple à la capacité des peuples autochtones à utiliser les ressources naturelles mais surtout à préserver les droits des générations futures, ce que nous ne savons pas faire. Je dirais, on a vécu pendant des dizaines d'années sur l'idée que la nature est à notre disposition, qu'elle est au service de la croissance économique, on gaspille beaucoup, et donc je pense que revenir à une sorte de sagesse peut nous permettre de réformer nos modes de vie, nos modes de développement, mais aussi nos systèmes éducatifs. Le collectif, le bien commun, il se situe où dans les alternatives pédagogiques du Sud? >> Le collectif et le bien commun, c'est deux choses qui sont extrêmement importantes, par exemple chez les populations indigènes. Dans les cours sur les pédagogies indigènes, on a pu voir que la communauté, c'était un des piliers de la transmission du savoir : chaque acteur, chaque personne, peut avoir une responsabilité dans la transmission du savoir. Certains vont avoir des responsabilités spécifiques, par exemple liées aux savoirs sacrés, à tout ce qui va être lié à la spiritualité. Mais il y a, de manière générale, une responsabilité au sein du groupe envers la transmission du savoir. Ce que ça peut nous apprendre cette idée de responsabilité commune, de responsabilité collective, c'est que tout le monde peut avoir du savoir à transmettre, et qu'il y a donc une certaine égalité, une certaine symétrie, entre les personnes qui vont composer le groupe, et là, moi je pense qu'on pourrait s'inspirer de cette logique un peu plus égalitaire pour repenser, nous, nos rapports sociaux, les tensions, les conflits qui existent, que ce soit juste entre des gens ou entre des peuples. >> Mais est-ce que c'est pas un peu utopique cette idée? Est-ce qu'on oublie qu'on est dans le cadre de société capitaliste où il y a des individus qui possèdent la terre, qui possèdent des propriétés, qui possèdent des moyens de production, donc est-ce que, finalement, pour mettre plus de collectif, on doit pas remettre en question toute l'organisation économique, politique et sociale dans laquelle on vit? >> Être utopiste, ce n'est pas forcément interdit. Je pense que, justement, avoir pris le temps de regarder toutes les pédagogies du Sud et notamment les pédagogies indigènes, c'est justement une manière de nous inspirer. Est-ce qu'on peut tout remettre en cause du jour au lendemain? Je ne crois pas, parce que je ne pense pas, d'une part, que ce soit possible, mais est-ce que ça peut nous inspirer pour aller chercher du changement dans nos manières de consommer? Aujourd'hui je pense, à l'école les enfants apprennent à repenser et à comprendre comment les aliments arrivent dans les supermarchés et où est-ce qu'ils peuvent consommer. Comprendre ces interdépendances-là c'est aussi se soucier de l'autre même quand on va faire ses courses, quand on va acheter un habit ou quand on va penser ses prochaines vacances. Donc c'est juste, déjà, une manière de s'inspirer pour penser à l'autre aussi dans nos actions du quotidien. >> Alors, peut-être, le concept de bien commun peut être très utile dans cette tentative de synthèse entre des traditions collectivistes et des traditions individualistes. >> Oui, tout à fait. Mais peut-être que pour poursuivre notre réflexion, justement, sur la manière dont ces pédagogies du Sud peuvent nous inspirer, est-ce que tu pourrais nous parler des notions de partage et entraide chez, par exemple, les pédagogies indigènes? >> Je crois qu'il ne faut pas oublier que depuis près d'un siècle nos institutions scolaires sont basées sur la compétition entre individus. Autrement dit, dès qu'on rentre à l'école primaire on a des notes, souvent c'est des notes individuelles, et cela nous poursuit jusqu'à l'université. Ce qu'on peut apprendre des peuples autochtones, des pédagogies du Sud, c'est qu'il y a peut-être d'autres manières de responsabiliser et d'évaluer les apprenants, par exemple à travers, plutôt, des évaluations collectives. Autrement dit, dans beaucoup de peuples autochtones, on n'évalue jamais ou rarement l'individu, on évalue le groupe. Par exemple, dans une sortie de chasse en Amazonie brésilienne, un peuple autochtone va chasser en groupes : il y a un groupe qui va coincer les animaux qu'on vise, un autre groupe va essayer de les attraper, un autre groupe va partager la viande entre la communauté, donc on voit que c'est un processus tout à fait collectif, et donc il me semble que nos systèmes éducatifs doivent injecter de plus en plus de collectif même si les apprentissages individuels restent, parce que le collectif, en fait, ça donne du sens aux apprentissages scolaires. Il y a quand même quelque chose qui me déstabilise un peu, parce que durant notre dialogue et certaines séquences du cours, on peut se dire : est-ce qu'on a pas intérêt à laisser les peuples autochtones avec leurs savoirs traditionnels et les laisser isolés avec leurs savoirs, avec qui ils vivent depuis des milliers d'années? >> Alors c'est une très bonne question, mais c'est vrai que, aujourd'hui, il y a des scientifiques qui ont essayé d'explorer les liens qu'on pouvait avoir entre ces savoirs traditionnels qui peuvent rester complètement pertinents aujourd'hui, qui sont complètement pertinents, et des savoirs scientifiques qui ont, eux aussi, leur pertinence, et peut-être que l'idée c'est d'avoir un croisement entre ces deux sources de savoirs qui peuvent se valoir et, justement, s'enrichir l'une et l'autre, mais je crois que tu as un exemple à ce propos d'ailleurs. >> Oui, je pense à un exemple concret. Je pense que tu sais que les terres des populations autochtones en Amazonie sont menacées, en particulier au Brésil, et on voit beaucoup de communautés autochtones utiliser le téléphone portable, le GPS, pour défendre la démarcation de leurs terres, et donc, en même temps ces populations respectent les rivières sacrées, les forêts, etc., mais en même temps ils utilisent la nouvelle technologie pour défendre leurs droits, et donc je pense que là, c'est vraiment une illustration où on peut à la fois maintenir les savoirs traditionnels, mais aussi les articuler avec des savoirs d'autres types, des savoirs technologiques, qui sont au service de la communauté. À force de sacrifier l'urgence pour l'essentiel, on oublie l'essentiel de l'urgence. C'est une citation d'Edgar Morin, penseur de la complexité, qui me semble s'appliquer parfaitement à cette idée : comment utiliser les pensées, les pédagogies du Sud, pour contribuer à la sauvegarde de l'environnement. Cette citation de Morin nous montre que, dans nos sociétés modernes industrialisées, nous avons sacrifié la durabilité par la croissance et le développement économique, et je pense, justement, les peuples autochtones nous disent de s'arrêter et qu'il faut peut-être revenir à l'essentiel. [MUSIQUE] [MUSIQUE]