[MUSIQUE] [MUSIQUE] Paolo Freire est l'une des références de l'éducation populaire en Amérique latine. Il me semble important de vous expliquer le contexte du travail initial du pédagogue Paolo Freire. Où Freire a débuté sa carrière en tant qu'éducateur et pédagogue? Freire est né dans la ville de Recife, au nord-est du Brésil, au sein d'une famille de la classe moyenne, catholique et spiritiste, et Freire a été imprégné parce qu'on appelle le courant de pensée progressiste de l'Église catholique. Donc, en parallèle avec ses études universitaires, il a commencé à travailler comme bénévole pour venir en aide aux plus exclus de cette région du nord-est du Brésil. Donc c'est une région marquée, comme tout le pays, par beaucoup d'inégalités sociales, avec beaucoup de propriétaires terriens et des travailleurs agricoles qui n'ont pratiquement rien, et c'est avec ces travailleurs agricoles que Paolo Freire a commencé son travail d'alphabétiseur et de pédagogue. Dans ce travail initial, Paolo Freire était intéressé à deux choses. La première, c'est alphabétiser des paysans sans terre, des travailleurs sans terre, et la deuxième chose, c'est amener une conscientisation politique de ces travailleurs sans terre. Et c'est important de voir que les deux objectifs de Freire sont liés. À l'époque, au Brésil, je ne sais pas si vous le savez, mais pour pouvoir voter, c'est-à -dire exercer son droit de citoyen, il fallait être alphabétisé. C'est pas uniquement d'ailleurs le cas au Brésil : pendant très longtemps la communauté noire aux États-Unis ne pouvait pas voter si la personne était analphabète. Et donc, pour revenir à l'époque, les deux idées de Freire, alphabétiser et politiser, étaient des idées totalement révolutionnaires. Alors, comment sur le plan pédagogique Freire a commencé à travailler? Ce qui est intéressant, c'est que Freire n'a pas commencé à enseigner l'écriture et la lecture à des adultes analphabètes comme on le fait avec des enfants. Donc il s'est dit, pour alphabétiser les travailleurs analphabètes, je vais utiliser une autre méthode, et il a commencé à expérimenter une méthode d'alphabétisation très originale, et en fait c'est une méthode qui est basée sur l'utilisation de mots qui ont une valeur émotionnelle très importante pour les personnes en question. Donc, pour les travailleurs sans terre au Brésil, il va commencer à utiliser des mots comme machette, comme faim, comme dureté du travail, comme beaucoup de termes en portugais que je n'ai pas le temps de vous détailler, mais en fait Freire commence, dans une première étape, à faire toute la panoplie des mots en portugais qui ont une résonance très importante pour les travailleurs sans terre. Et, à partir de ces mots, il commence à initier les travailleurs sans terre à l'alphabétisation. Il commence à composer d'autres mots, il commence à composer aussi des idées, des réflexions, et progressivement, la méthode Paolo Freire a pris de l'ampleur au nord-est du Brésil et il a été nommé comme coordinateur national par le gouvernement Brésilien, démocratique à l'époque, coordinateur de la campagne nationale d'alphabétisation. Malheureusement, le coup d'État militaire au Brésil arrive, Paolo Freire a été emprisonné, bien sûr, voilà un pédagogue qui travaille sur l'alphabétisation des personnes sans droit, et donc il a été vu comme une menace pour l'ordre nouveau politique, autoritaire, mis en place par la dictature militaire. Grâce à sa, je dirais, renommée, grâce à l'appui de l'Église catholique, il a été libéré après quelques jours de prison. Il a été, dans un premier temps, exilé en Bolivie, malheureusement le coup d'État militaire est arrivé en Bolivie, et il a fini par s'exiler de nouveau au Chili pour mettre en place sa méthode de travail. La méthode pédagogique mise en place au début de Paolo Freire au nord-est du Brésil était une méthode révolutionnaire parce qu'elle a permis l'alphabétisation des sans-droits, l'alphabétisation de personnes qui n'avaient pas d'existence politique, qui n'avaient pas de pouvoir, et justement, par l'alphabétisation, il a permis de rendre leur dignité aux travailleurs sans terre, de les émanciper, et que ces travailleurs commencent à demander leurs droits, à demander d'être traités d'une manière digne, et malheureusement, quand on fait le bilan 50 ans après, au Brésil, la dignité des travailleurs sans terre est toujours un combat continu. [MUSIQUE]