[MUSIQUE] Cette séquence sera destinée à vous amener dans un concept pédagogique autochtone appelé le bien vivir. Avant de détailler ce concept, je souhaite faire un petit retour sur l'histoire. Et ce retour, je vais le faire très loin dans l'histoire. Je vais remonter plusieurs siècles à ce qu'on appelle la controverse de Valladolid. Quelques mots sur cette controverse. De quoi s'agit-il? En fait, le roi d'Espagne à l'époque, Charles Quint, 60 ans après la conquête des Amériques par Christophe Colomb, convoque une assemblée de plusieurs spécialistes, bien sûr des religieux, des juristes, des philosophes et il leur pose la question, je souhaite savoir si les indiens ont une âme. Autrement dit, le roi d'Espagne souhaite savoir si les indiens sont des humains ou méritent d'être traités en temps qu'humains. Et cette controverse a mobilisé beaucoup de spécialistes. Il y avait en particulier Bartolomé de las Casas et Juan Sepulveda, les deux plus connus de cette controverse. Le premier disait, oui, les indiens ont une âme et il faut que les Espagnols chrétiens se comportent bien avec eux et le deuxième disait, non les indiens n'ont pas une âme. Alors bien entendu, maintenant pour raccourcir cette histoire, pourquoi je vous parle de cette controverse et quel lien avec le bien vivir? Le lien est le suivant. Les autochtones un peu partout, mais en particulier en Amérique latine ont mal vécu pendant plusieurs siècles. Et les voilà maintenant cinq siècles plus tard, ils nous proposent le concept de bien vivir. En quelques mots d'introduction, c'est quoi ce concept de bien vivir. Le concept de bien vivir, c'est en fait une manière alternative au modèle du développement économique et social colonial. Pendant plusieurs siècles, les peuples autochtones ont vécu sous la coupe d'un régime économique, social et culturel et maintenant, ils nous proposent une alternative. Le bien vivir, c'est une alternative, c'est un peu la revanche des vaincus, la revanche des autochtones. Pourquoi le concept de bien vivir émerge actuellement au XX!e siècle? Plusieurs raisons. Je vais me contenter de citer trois raisons. La première, dans un certain nombre de pays d'Amérique latine, les communautés autochtones et indigènes commencent à avoir un poids politique. On a vu en Bolivie l'élection du premier président indigène du pays, Evo Morales. On voit qu'au Pérou, en Équateur et dans d'autres pays, les peuples autochtones commencent à avoir un poids politique important. Donc cela, donc quand les peuples importants ont un poids politique, leurs idées, leur philosophie émergent. Deuxième raison, il me semble important de dire que les pays d'Amérique latine vivent une transition démocratique. Depuis une trentaine d'années, ces pays ont changé leur constitution et ont reconnu aux peuples autochtones le droit d'être des peuples et d'avoir des droits politiques. Donc cela, c'est la deuxième raison. La troisième raison est la crise écologique mondiale. Puisque nous vivons tous un peu partout dans le monde dans une crise du réchauffement climatique, de l'épuisement des ressources, on regarde partout et on regarde en particulier vers les peuples autochtones. Je souhaite vous parler de la diversité du bien vivir. Le bien vivir tout d'abord, c'est en espagnol, vivre bien. Mais si vous observez les langues autochtones, il y a une diversité de mots qu'on utilise. On utilise des mots comme sumac, comme nanderego, comme d'autres mots indigènes, et en fait le bien vivir existe aussi bien dans la culture quechua que la culture guarani, que la culture maya. La plupart des cultures autochtones d'Amérique latine ont ce concept de bien vivir dans leur langue maternelle. Ce qu'on constate, c'est que chaque culture amène une nuance dans le concept. Et cette nuance va nous permettre de découvrir la diversité de cette notion. C'est une notion diffuse, mais c'est une notion très importante pour nous aider justement à préserver l'environnement et à comprendre les enjeux de sa préservation actuelle. Quelles sont les significations multiples du concept de bien vivir? Tout d'abord, il faut dire que ce n'est pas un concept strictement pédagogique. C'est un concept à la fois pédagogique, mais aussi philosophique et c'est une vision du monde. Alors, qu'est-ce que les peuples autochtones mettent derrière le bien vivir? Ils mettent derrière le bien vivir la nécessité d'avoir une vie digne, une mort digne, d'avoir de bonnes relations avec tous les êtres humains, d'avoir de bonnes relations avec la nature, de préserver la nature, de reconnaître la valeur des autres, de reconnaître sa propre valeur, et en fait il s'agit d'une éthique globale de la vie et il me semble important de dire que le concept de bien vivir, c'est un concept pour la vie tout court. Ce n'est pas uniquement un concept uniquement pédagogique et scolaire. Alors maintenant, quand le concept de bien vivir pénètre à l'école, qu'est-ce que cela donne? Alors cela donne diverses réalisations. Si vous prenez des pays comme la Bolivie, l'Équateur, le Pérou, le bien vivir est déjà introduit dans le système scolaire. Par exemple en Équateur, vous avez un projet où il y a plus de 2 400 écoles qui travaillent sur un projet d'école, ce qu'on appelle un projet d'école dans notre jargon en sciences de l'éducation, et leur projet d'école est centré autour de l'idée de bien vivir. Et donc on va amener les élèves à se poser des questions. Qu'est-ce que vivre bien dans notre école? C'est-à-dire vivre bien en paix avec les camarades. Donc une école sans violence, une école où on a une bonne alimentation, une école où on respecte les autres, une école où on respecte les parents, une école où les enseignants nous respectent et nous respectons les enseignants. Donc il y a une série de réalisations qu'on peut faire sous l'appellation du bien vivir. En Bolivie, le bien vivir est un élément central de la formation initiale des enseignants. On les introduit à ce concept, on leur demande de l'utiliser dans leur pédagogie et ce concept est aussi très favorable pour des projets centrés sur l'environnement. Évidemment parce que dans beaucoup de peuples d'Amérique latine, la question de l'environnement est une question centrale, parce que l'environnement des peuples autochtones a été occupé, il est pollué, il est exploité économiquement, et donc leur idée de mettre le bien vivir au centre de leurs préoccupations permet en fait une certaine résistance à la colonisation économique et culturelle dont ils souffrent actuellement. En conclusion, je souhaite vous inviter à considérer que le concept de bien vivir est un concept universel. On retrouve des idées similaires dans d'autres concepts que nous allons d'ailleurs évoquer dans ce cours comme le concept d'ubuntu en Afrique du Sud, comme le concept d'ichié au Japon, comme d'autres concepts, comme le bonheur national brut au Bouthan, et donc cette idée qu'au 21e siècle, il faudrait qu'on réfléchisse sur la manière de vivre mieux et bien avec nous-mêmes et avec les autres et avec la nature, il me semble c'est quelque chose d'universel que les peuples indigènes, autochtones nous proposent. [MUSIQUE] [MUSIQUE]