[MUSIQUE] [MUSIQUE] Au Niger, comme dans tous les pays de l'Afrique de l'Ouest, vous allez trouver des écoles coraniques dans tous les villages, dans tous les quartiers des villes. Dans cette entrevue, nous allons dialoguer avec le professeur Moussa Sagayar de l'université Abdou-Moumouni de Niamey au Niger autour de l'école coranique, ses difficultés mais aussi sa contribution pour le système éducatif au Niger. Professeur Sagayar, je vous remercie tout d'abord d'avoir accepté cette entrevue. J'ai une première question pour vous : comment vous expliquez l'engouement actuel pour l'école coranique au Niger et en Afrique de l'Ouest. >> Merci pour cette question-là, et je vous remercie également de m'avoir invité pour échanger sur la question liée à l'engouement pour l'école coranique. Il faudrait juste dire une chose : depuis l'accession à l'indépendance politique des États africain, on a compris qu'il y a eu des changements qui ne sont pas encore bien assis au niveau des communautés. De nombreux problèmes ont vu le jour, notamment l'articulation des pratiques endogènes et des populations et de leur ancrage. Et il faut également dire que l'école héritée de la colonisation ne répondait plus aux besoins des populations. Avec l'école coranique, les parents ont l'assurance que leurs enfants vont découvrir et apprendre leur religion, et ils pourront savoir participer au développement de leur société. Cet enseignement lié à l'école coranique est plus proche des réalités sociales. Avec l'école coranique, on a une école du village et non une école au village. Voilà ce que je peux répondre pour cet engouement-là. >> Tout à fait. Je vais poser la question autrement : est-ce que l'engouement ou bien le développement de l'école coranique ne montre pas la faillite de l'État par rapport à la scolarisation? Vous savez que 50 % des Nigériens ont moins de 15 ans. Est-ce que l'école coranique peut être une solution pour les scolariser? >> Il faut comprendre une chose. On ne pourra pas tout de suite parler de faillite de l'État. L'État, avant de faire la promotion de l'école coranique, avait déjà une école qu'on appelle l'école française. Et donc, cela a pris du temps pour l'État de réorganiser le système de l'école coranique, et maintenant, les parents sont en train de comprendre qu'avec l'école coranique, il y a beaucoup de chances pour leurs enfants de s'inscrire à l'école et poursuivre ce qu'on appelle la lecture et la pratique du Coran. Il y a de plus en plus de jeunes qui échouent dans les écoles publiques, françaises comme on le dit. Mais il y a quand même des jeunes de 15-20 ans, 25-30 ans, qui réussissent ces écoles coraniques, à la fois au Niger et dans le pays voisin qu'on appelle le Nigéria, pour leur ancrage et l'approfondissement de la lecture du Coran. >> Ma troisième question concernera les réformes susceptibles d'améliorer cet apprentissage traditionnel par l'école coranique. Quels sont, selon vous, les réformes pédagogiques qu'on peut mettre en place pour améliorer cette tradition d'apprentissage? >> Les réformes peuvent se voir au niveau de trois aspects principaux. Il faudrait commencer par la sensibilisation des parents quant aux retombées et quant à l'importance de ce type d'éducation. Les parents à l'époque avaient des doutes quant aux enseignements à l'école coranique, qui n'étaient pas, à l'époque, organisés et encadrés. Deuxième point, il faut penser un curriculum adapté aux réalités africaines sous la double dimension de l'enseignement des valeurs sociales et de l'apprentissage du vivre ensemble, avec des enseignants ayant une pédagogie portée par une communauté et des structures sociales larges et organisées. Je pense que c'est assez important. Et revoir le repositionnement de la dimension partenariale. Parce que l'État, dans la mise en œuvre des éléments et activités de son système éducatif, fait appel à des partenaires. Il faut revoir cette dimension partenariale pour mieux collaborer avec les partenaires qui souhaitent financer et participer au développement de l'école coranique. Je donne, par exemple, le cas de l'UNICEF au Niger. >> Pour finir, une question un peu plus personnelle. Pour vous, je sais que vous avez fréquenté l'école coranique. Ça paraît loin. Vous êtes maintenant professeur à l'université. Est qu'en quelques mots vous pouvez nous dire ce que vous avez appris à l'école coranique? Est-ce que cette institution vous a marqué, en quelque sorte? >> Très bonne question. C'est un très beau souvenir. Et en plus, le marabout était mon oncle paternel, et donc, j'étais un des meilleurs élèves coraniques qui participaient à ces enseignements-là. On se retrouvait dans un espace d'apprentissage traditionnel où tout le monde apprenait en même temps sous le guidage du marabout. On utilisait souvent les langues traditionnelles pour communiquer, et la langue arabe servait de médium pour nous, pour lire l'alphabet et les sourates. On récitait par cœur. L'évaluation, par exemple, a une forme individuelle avant d'être une forme collective, ce qui nous intéressait beaucoup. On ne sentait pas ce stress et cette pesanteur-là. Aujourd'hui, je suis professeur à l'université, et avec l'école coranique, j'ai pu développer des compétences primaires qui m'ont permis d'avoir des compétences en lecture et en compréhension de la vie, des valeurs et des droits humains. >> Donc pour vous, le bilan est plutôt positif? >> Pour moi, personnellement, le bilan est positif. Nous sommes quatre dans la famille qui avons fait cette école-là. En plus de moi, il y a trois autres ingénieurs. >> Parfait. >> Dans notre famille, papa était le seul qui était à l'école, mais les six autres oncles étaient des marabouts. >> Professeur Sagayar, je vous remercie beaucoup de cet entretien et de votre apport à notre cours. >> Merci beaucoup. Je vous en prie. >> Ce dialogue autour de l'école coranique nous a montré que, contrairement à nos régions, dans beaucoup d'endroits dans le monde, il n'y a pas de séparation entre l'apprentissage religieux et l'apprentissage profane. Dans ce dialogue, nous avons vu qu'au Niger, l'école coranique tente de faire une synthèse entre différents types de savoirs. Évidemment, ce type de synthèse n'est pas toujours facile, mais il est toujours intéressant à observer.