[MUSIQUE] La connaissance des savoirs autochtones implique une posture anthropologique, une posture anthropologique qui problématise la situation des peuples autochtones. Et j'ai le plaisir de vous présenter cette séquence sous la forme d'un entretien avec José Marin qui est un ami et un anthropologue et quelques mots pour vous présenter José Marin. Donc, José Marin est un anthropologue d'origine péruvienne, il a fait son doctorat en France, à Paris, en anthropologie. Ensuite, il a longuement travaillé à l'université de Genève dans la section des sciences d'éducation dans le secteur de l'anthropologie de l'éducation. José Marin est un anthropologue original à plusieurs titres. Et je souhaite simplement souligner que sa posture par rapport aux peuples autochtones est une posture interne. José Marin ne donne jamais un regard d'extériorité, et j'ai le plaisir vraiment de l'accueillir dans cet entretien. José, merci beaucoup d'avoir... >> Merci pour la générosité... >> Merci à toi. Et je commencerais par une question générale. Tu as une longue expérience avec les peuples autochtones dans différents continents, bien sûr en Amérique latine, qu'est-ce que tu as appris en travaillant avec les peuples autochtones? >> Je crois que la partie la plus importante, ce qu'avait aussi déjà signalé Claude Levistrauss, c'est leur philosophie de la vie, leur vision du monde en rapport à la nature et le profond respect et la nécessité de comprendre qu'il faut cohabiter avec la nature et non pas contre elle. Il nous disait dans le laboratoire à Paris, le monde existait avant l'homme. C'est bien possible que le monde va disparaître un jour sans lui. Ça mettait par terre toute la vision du monde occidental judéo-chrétienne dans le sens que l'homme était le maître de la création et le fils du Créateur, et carrément l'héritage universel et le propriétaire des autres formes de vie. Et c'est dans ce temps de pandémie que ça me fait réfléchir profondément. >> Encore plus. >> Encore plus, parce qu'on parle des virus comme des étrangers, comme des envahisseurs. Et non, et non. Les virus, les bactéries, les lichens, ils étaient là déjà des millions et des millions d'années avant nous. Nous sommes la dernière espèce à débarquer dans le scénario de l'histoire du monde, et avec une capacité extraordinaire de destruction, de perversion incroyables. Et si l'histoire de l'humanité, si l'histoire du monde avait une journée, l'homme est apparu dans la dernière seconde de la dernière minute de cette histoire. >> Donc, en fait, ce que tu me dis, c'est que ce que tu as appris des peuples indigènes c'est la sagesse au moins et une vision du monde alternative. >> Ça serait un grand mot, la sagesse. Mais ce que j'ai appris c'est que le centre du monde ce n'était pas l'homme, d'abord, comme prenait comme principe principal l'occident, sinon que l'homme n'était qu'une autre forme de vie de plus. Plusieurs formes de vie disparaissaient tous les jours. l'homme peut disparaître, il y a pas de culture sans nature. Ça c'est incroyable. Et ça, pour le temps de pandémie, c'est quelque chose qu'on doit avec beaucoup de modestie et beaucoup d'humilité intégrer dans les défis épistémologiques que nous propose la pandémie. >> Pour revenir à l'éducation et la pédagogie, est-ce que l'éducation peut émanciper les peuples autochtones à l'heure actuelle? >> L'éducation partout c'est une réponse culturelle à une question universelle. Cette question universelle que se posent tous les peuples de la planète c'est comment transmettre visions du monde, systèmes de valeurs, références, normes, connaissances. Et cette réponse culturelle qu'est l'éducation à créé différents systèmes éducatifs. Dans ce qui concerne l'éducation occidentale et l'éducation autochtone, il y a des dissemblances profondes à partir de la vision du monde, à partir d'un défi épistémologique. >> Donc, la pénétration de l'école occidentale dans le monde autochtone, c'est dangereux? >> C'est un véritable pesticide culturel. >> C'est-à-dire? >> C'est la destruction, c'est la négation de toutes les cultures en présence et l'imposition d'une vision du monde, d'une religion, d'un dieu, d'une culture, d'une manière, d'une écriture, et d'une langue unique partout. >> Tout à fait. Mais est-ce que tu ne penses pas que c'est assez paradoxal? Les leaders indigènes actuels qui luttent pour l'émancipation des peuples, ils ont quand même passé par cette école occidentale. >> Voilà la complexité et la nécessité d'avoir des nuances. Rien n'est définitif, aucune vérité n'est définitive, personne n'est propriétaire de la vérité. On peut avoir passé, moi-même j'ai passé chez les jésuites c'était presque dans un séminaire, et malgré tout ça, j'ai pu évoluer quand même. J'ai essayé d'évoluer, et c'est grâce à cette rencontre avec les peuples autochtones que j'ai pris un peu plus d'essence à mon existence et à ma manière de voir les choses. >> Et est-ce que tu penses aujourd'hui, les universitaires comme nous, les académiques, les universités changent leur regard sur les peuples autochtones? Est-ce que tu as remarqué ces dix dernières années un changement de posture ou ce n'est pas encore le cas? >> Encore restent quelques séquelles. Au départ, c'était de penser l'autre comme un objet d'étude. Penser l'autre, l'autochtone, comme une pièce de musée à exposer. Cette époque de l'histoire, je crois qu'elle est dépassée. Nous vivons maintenant dans l'idée et la possibilité d'imaginer que l'autre a une langue qui peut être intéressante pour connaître par la nomination comme les Quechuas. Le système écologique par exemple que les Castillans ne peuvent pas apprivoiser parce qu'il provient d'un autre contexte écologique. Le meilleur exemple de comment est-ce qu'on peut faire pour aider les peuples autochtones c'est d'aider à promouvoir des programmes d'éducation bilingues et interculturels. Pourquoi je dis bilingues? Parce que la langue est fondamentale. La langue, à part d'être l'esprit de la culture, de véhiculer la dimension affective, la langue surtout organise la connaissance par la nomination. Par exemple, dans la région andine du Pérou, du Chili ou de l'Équateur ou de la Colombie, il existe plus de 2 000 variétés de pommes de terre. Il y a même au Pérou un institut international de la pomme de terre. C'est une sorte de Nations unies de la pomme de terre. Comment est-ce qu'on a accédé à cette extraordinaire connaissance du système écologique? C'est grâce aux Quechuas, parce que les Quechuas ont une nomination pour chaque espèce. Et c'est grâce à la collaboration de l'université Mayor de San Marcos avec son programme d'éducation bilingue et interculturelle que ça a été possible. >> Donc, il y a vraiment des perspectives de changement. >> Il y a de grandes perspectives de changement, d'un dialogue de cultures, d'un dialogue de savoirs et la possibilité d'imaginer une pédagogie complémentaire qui échappe largement à toute logique binaire, noir ou blanc >> cartésienne. >> cartésienne, voilà. >> Justement, peut-être une dernière question. Dans ce cours, l'un des défis de ce cours est essayer d'amener nos étudiants à découvrir des concepts pédagogiques autochtones. Et par exemple, nous avons développé des séquences sur le bien vivir. Et en fait, le bien vivir, il faut le prononcer dans les langues autochtones. Est-ce que tu peux nous dire en quelques mots comment tu définis le bien vivir? >> Le bien vivir touche la dimension des savoirs. On va parler des savoirs tout court, comprendre quelque chose, savoir faire, savoir appliquer la connaissance aux faits, savoir être, c'est la dimension la plus difficile, et finalement le savoir de l'expérience. Ça veut dire utiliser nos expériences de vie comme en théorie ou en méthodologie. Et le bien vivir s'inscrit dans une autre vision du monde où le savoir être est fondamental et capital. Il s'agit de bien vivir sans nécessairement détruire, sans nécessairement déforester, sans nécessairement polluer. >> Tout à fait. >> Et ça correspond aussi à nos rapports d'humilité, de modestie, de respect de nous-mêmes et des autres. >> Et donc, finalement le bien vivir c'est une vision du monde. C'est un modèle du développement. >> Le point de départ de la vision du bien vivir c'est une autre vision du monde, c'est la vision du monde indigène, c'est la vision du monde autochtone. >> Merci José pour cet entretien très touchant et très pertinent. >> Merci beaucoup à vous, à votre équipe, pour s'être déplacé et mettre les mots en images. L'image a un pouvoir extraordinaire de communication et beaucoup plus important que [INCONNU], et s'il est accompagné de la moralité, il y a la puissance de la dimension affective. >> Vous avez vu qu'en quelques mots, qu'en quelques minutes, vous avez pu pénétrer dans l'univers des savoirs autochtones et de la pédagogie autochtone. José Marin, sans nous déplacer nous a permis d'ouvrir nos esprits à une vision alternative du monde. Nous devons continuer dans les prochaines séquences cette ouverture d'esprit. [MUSIQUE]