[MUSIQUE] [MUSIQUE] Pour illustrer cette séquence, je vais vous raconter une histoire issue d'une expérience de recherche que j'ai réalisée dans la ville de Bienne il y a environ une dizaine d'années. Je travaillais pendant une année scolaire avec une enseignante dans sa classe avec des élèves âgés de 14 à 15 ans. Avec ces élèves, nous avons essayé de faire la séquence suivante : on a demandé à tous les élèves, filles et garçons, de dessiner leur école idéale. Les élèves ont accepté le travail, ils ont commencé à produire leurs dessins et rapidement, on a recueilli les dessins. Et pour vous résumer la situation, on va dire, la moitié des dessins, les dessins des filles, étaient plutôt des fermes avec beaucoup d'animaux domestiques et les dessins des garçons, l'autre moitié de la classe, étaient plutôt des terrains de sport et des terrains de foot. Alors évidemment, l'école ou la classe que cette classe avait à Bienne n'était pas ni une ferme, ni un terrain de foot. Et donc, on voit vraiment fortement que beaucoup d'élèves sont présents physiquement à l'école, mais ils sont absents mentalement. Pour finir cette anecdote, un des élèves a refusé de faire l'exercice. J'ai quand même essayé de lui dire, si tu ne veux pas dessiner, essaie d'écrire une phrase. Et en fait, il a produit une phrase, la phrase suivante que je vais citer : l'école idéale pour moi, c'est l'école qui commence vendredi à 15 heures 30 et qui se termine vendredi à 16 heures. Et donc on voit que cet élève, pour lui, l'école idéale en fait, c'est qu'il ne soit plus à l'école. Nous allons aborder la crise de la forme scolaire à partir de quatre dimensions de cette crise. La première dimension de cette crise est liée à l'arrivée massive des nouvelles technologies à l'école. Cette arrivée massive bien entendu amène des points positifs. Il s'agit des atouts des nouvelles technologies à l'école. Les nouvelles technologies vont faciliter l'accès des élèves au savoir. Les élèves vont pouvoir interagir plus avec leur enseignant, ils vont pouvoir interagir mieux entre eux et donc ils vont par exemple aussi dans des cours de maths, de physique et de biologie travailler sur des simulations, ils vont vraiment avoir une variété de méthodes pédagogiques pour apprendre. Mais en même temps, l'arrivée des nouvelles technologies à l'école, c'est aussi une menace. Dans quel sens elle est une menace? Tout d'abord, elle est une menace parce que la technologie inverse le rapport habituel entre adultes et générations plus jeunes. Habituellement dans la forme scolaire, ceux qui détiennent les savoirs et les compétences sont les enseignants et parfois les parents. Or au niveau des nouvelles technologies, souvent les élèves et les générations plus jeunes ont des compétences meilleures dans l'usage des nouvelles technologies. Or les enseignants ont besoin d'avoir une autorité sur leurs élèves. Et donc les nouvelles technologies déstabilisent la forme scolaire et lui amènent une certaine contestation. Ensuite, les nouvelles technologies vont être très attractives pour les élèves par opposition aux apprentissages scolaires traditionnels qui sont très rébarbatifs. Les nouvelles technologies sont par définition ludiques et donc les jeunes sont intéressés beaucoup plus par les nouvelles technologies que par les apprentissages scolaires traditionnels. Je terminerai en disant que les nouvelles technologies amènent aussi de la violence à l'école, notamment de la violence par le cyberharcèlement. Les nouvelles technologies aussi facilitent la diffusion et le partage de fausses nouvelles, de fausses informations par les élèves et ce qui rentre en concurrence avec les savoirs transmis par l'école. Donc pour résumer, les nouvelles technologies amènent une crise dans l'école traditionnelle. Deuxième point que j'aimerais partager avec vous, c'est la question du sens ou de l'absence du sens des savoirs scolaires. Beaucoup de ce qu'on fait à l'école en fait a peu de sens pour les apprenants. Je vais peut-être nuancer entre les enfants de 6 à 12 ans et les adolescents de 12 à 18 ans, voire les étudiants à l'université. Habituellement, les enfants à l'école primaire sont curieux, peuvent partager leur passion pour l'apprendre. Par contre, si vous observez les jeunes et les adolescents à partir de 12, 13, 14 ans, ils rentrent dans une sorte de contestation du sens des savoirs scolaires. Et donc l'école traditionnelle a de la peine à intéresser les adolescents et les jeunes. Il y a l'ennui qui s'installe et je pense, par rapport à l'histoire que je vous ai racontée au début, l'école ne sait plus capter les élèves et maintenir leur attention. Donc on a un sérieux problème par rapport au sens des savoirs scolaires. Il faudrait qu'on implique les élèves dans la construction des savoirs scolaires qui les intéressent. D'ailleurs, quand on fait travailler les élèves sur des projets hors murs de l'école, leur passion pour l'apprendre revient. J'aimerais maintenant passer à la troisième dimension de la crise de l'école. C'est une dimension un peu délicate et j'aimerais prendre un peu de temps pour vous l'expliquer. Pourquoi je considère que l'allongement de la scolarisation est un problème et amène un élément d'une crise à l'école? À cause du paradoxe suivant : actuellement, on va à l'école de plus en plus jeune et on sort de plus en plus âgé. Le problème, c'est que l'insertion professionnelle devient de plus en plus dure. Le chômage est structurel dans la plupart des sociétés et donc en fait, le paradoxe est le suivant : on reste très longtemps à l'école pour ne par recueillir les fruits de notre passage à l'école. Pire, on peut dire qu'actuellement, l'école garde les exclus à l'intérieur de l'école. Si vous voulez, avant, dans la forme scolaire du 19e siècle ou du début du 20e siècle, quand un élève est faible à l'école, il quitte l'école et il va travailler. Actuellement, le paradoxe, c'est qu'on garde les exclus à l'intérieur de l'école et en fait on augmente leur degré de frustration parce que ce que vous devez comprendre, c'est que plus on reste à l'école, plus on a envie d'avoir des récompenses par rapport aux efforts qu'on a fournis pour l'école. Et donc, cette question de l'allongement de la scolarisation sans perspective professionnelle, il me semble que c'est une menace par rapport à la forme scolaire traditionnelle. Je terminerai par la dernière dimension de la crise, et cette dimension, elle est plus générale, elle n'est pas uniquement liée à l'école. Je pense qu'on vit actuellement dans les sociétés contemporaines dans ce qu'on peut appeler une crise de la modernité. Qu'est-ce que cela veut dire la crise de la modernité? Cela veut dire, nos sociétés contemporaines ont des impasses. Il y a l'impasse écologique, il y a l'impasse économique, il y a l'impasse politique, il y a l'impasse moral élitiste, et donc certains auteurs d'ailleurs parlent de post-modernité. Moi, je pense que cette crise de la modernité ne peut pas ne pas influencer sur l'école. Et donc nous avons besoin de réinventer un autre type de forme scolaire pour répondre aux défis de cette crise de la modernité. Pour conclure cette séquence, je souhaite terminer en utilisant la signification en chinois du mot crise. Je ne sais pas si vous le savez, mais crise en chinois s'écrit par deux mots, menace et opportunité. Donc dans cette séquence, j'ai parlé de la crise de l'école, de la crise de la forme scolaire, mais je vous invite à réfléchir cette crise en utilisant le mot chinois crise. Autrement dit, oui on a affaire à une crise, oui l'école est bousculée, oui l'école est critiquée par les parents, par les entreprises, par les apprenants eux-mêmes, mais peut-être nous devons prendre cette opportunité de crise pour la convertir en possibilité de réfléchir à l'école autrement. D'où l'importance dans ce cours de notre invitation à pénétrer dans des pédagogies alternatives, de dire qu'à l'école, on a besoin d'une diversité d'approches pédagogiques, qu'on a besoin de rénover nos manières d'apprendre, et surtout on a besoin de motiver et d'intéresser les apprenants. [MUSIQUE]