[MUSIQUE] [MUSIQUE] Troisième point, sur lequel la coordination entre ces différents contrats, qui participent à ce complexe de contrats, est nécessaire : c'est la question des paiements. Parce qu'évidemment, le paiement est absolument indispensable à tout ce fonctionnement, c'est un peu le sang qui circule dans les veines, si le paiement ne circule pas, eh bien tout s'arrête: l'entrepreneur général a besoin des paiements du maître de l'ouvrage pour payer les sous-traitants ; et les sous-traitants pour payer leurs fournisseurs. Sauf que, bien sûr, tous ces paiements n'interviennent pas toujours au même moment ; à savoir qu'il peut arriver que le maître de l'ouvrage ait des retards, ou qu'il attende que certaines parties du chantier soient terminées pour payer l'entrepreneur général, qui lui-même alors a des difficultés pour payer les sous-traitants. Donc, finalement, la question qu'on se pose, c'est : comment organiser le flux des paiements? Pour qu'il soit un flux aussi fluide que possible, de façon à ce que, lorsque l'entrepreneur général doit payer des sous-traitants, eh bien il ait les fonds nécessaires qui lui viennent du maître de l'ouvrage. Juridiquement, chaque paiement est indépendant l'un de l'autre : le paiement qui est dû par le maître de l'ouvrage dans le contrat principal, n'a absolument rien à voir avec le paiement qui est dû par l'entrepreneur général à l'égard des sous-traitants. Et donc l'entrepreneur général ne peut juridiquement absolument pas se justifier d'un non paiement des sous-traitants, en disant : eh bien désolé, le maître de l'ouvrage ne m'a pas payé. C'est un argument qu'on peut comprendre économiquement, mais qui, juridiquement, n'a aucune valeur probante. Donc, il faut trouver des solutions qui, là encore, sont des solutions contractuelles. On peut se satisfaire de la situation, telle qu'elle est prévue par le droit, c'est-à -dire le principe de la relativité des contrats, en disant : non, chaque paiement est indépendant de celui qui est dû dans le cadre d'un autre contrat. Ce sont des clauses assez importantes, après tout, les sous-traitants ne sont pas forcément d'accord d'attendre que le maître de l'ouvrage, le client final, paye, avant d'être payés eux-mêmes. Et alors vous avez ces clauses, je dirais aussi assez classiques, où on vous dit : Contractor's obligation to pay Subcontractor when payments are due is independant of Contractor receiving payment from Owner. Bon, c'est une confirmation de la conséquence juridique de la relativité des contrats. Les obligations de l'entrepreneur général de payer le sous-contractant, lorsque les paiements sont dus, est indépendante du fait que l'entrepreneur général ait reçu les paiements du maître de l'ouvrage ; c'est bien de le préciser. Ce n'est qu'une confirmation de la situation juridique telle qu'elle découle du droit lorsque les parties n'ont rien prévu, et c'est quand-même bien de le préciser dans le contrat, parce que ça attire, quand-même, l'attention de l'entrepreneur général sur le risque qu'il court à devoir payer des sous-traitants, alors même qu'il n'a pas été payé par le maître de l'ouvrage. S'il accepte ce risque, aucun problème : vous utilisez cette clause. Maintenant, il se peut que l'entrepreneur général n'accepte pas ce risque ; et alors se mettent en place des clauses, là aussi assez classiques, que l'on appelle des clauses Pay When Paid, ou alors des clauses Pay If Paid. Ce sont deux clauses je dirais, assez connues, et que les juristes anglo-saxons ont intégrées de façon assez systématique dans les contrats et aujourd'hui on les trouve aussi bien-sûr dans des contrats de pays de droit civil. La clause Pay When Paid, elle est assez classique. Et elle est parfaitement valable. La clause Pay When Paid, vous en avez un exemple ici: Upon receipt of payment from the Owner, Contractor will pay the Subcontractor without unreasonable delay. Dès qu'il aura reçu le paiement du maître de l'ouvrage, l'entrepreneur général paiera le sous-traitant sans retard déraisonnable. C'est bien Pay When Paid : l'entepreneur général paye lorsqu'il est payé par le maître de l'ouvrage. Ce sont des clauses qui sont admissibles : l'idée étant qu'il ne s'agit que d'un accord sur la date d'exigibilité des paiements aux sous-traitants. Pas du tout sur leur droit au paiement, juste la date d'exigibilité. Dans le cadre d'un chantier, qui peut prendre plusieurs mois, eh bien, les sous-traitants auront droit au paiement dans un certain délai, raisonnable, ici c'est peut-être pas très précis, on pourrait peut-être préciser ce délai raisonnable, lorsque les paiements auront été faits par le client final. Bon. C'est très confortable pour l'entrepreneur général, il est sûr d'avoir les fonds lorsqu'il est obligé de payer ; c'est moins confortable, évidemment, pour les sous-traitants, qui doivent attendre le paiement par l'entrepreneur général, par le maître de l'ouvrage pardon, avant de pouvoir prétendre à un paiement. Mais,dans la mesure où le paiement est garanti, en tous cas au plus tard à la fin de l'ouvrage, à la fin du chantier, eh bien, ces clauses sont tout à fait admissibles. Il y a certaines juridictions, on peut se poser la question lorsqu'il y a des délais impératifs de paiement, mais en tous cas, du point de vue du droit suisse, il n'y a aucune difficulté par rapport à ces clauses Pay When Paid, qu'on utilise dans des contrats d'entreprise, et qu'on utilise aussi dans des contrats divers. Il y a, par exemple, des experts, qui acceptent de n'être payés par celui qui les a mandatés, que lorsque le client pour lequel l'expertise a été délivrée aura été elle-même payée, ce sont des clauses Pay When Paid extrêmement classiques. Evidemment, par rapport à ces clauses Pay When Paid, la question qui se pose, c'est : qu'est-ce qui se passe si, finalement, le maître de l'ouvrage ne paye pas du tout? Bon. Eh bien si le maître de l'ouvrage ne paye pas du tout, il appartient à l'entrepreneur général de le pousuivre, d'agir contre lui. Sauf qu'il y a des situations où le maître de l'ouvrage, le client final, fait faillite. Par exemple. Ou est insolvable. Ou, même, disparaît, c'est une société qui n'a plus d'organe, qui disparaît réellement. Et alors là , la question qui se pose, c'est : est-ce que ces clauses Pay When Paid, ne peuvent pas devenir, ipso jure, des clauses Pay If Paid? C'est-à -dire, pas simplement des accords sur le moment de l'exigibilité des paiements par les sous-traitants, pour les sous-traitants pardon, mais une vraie condition de paiement. Une condition résolutoire qui fait que, potentiellement, si le maître de l'ouvrage, le client final, ne paye pas, alors, les sous-traitants perdent leur droit au paiement. Alors, c'est une question qui se pose évidemment : le principe, qui est admis de façon très générale, par la jurisprudence internationale, parce que les Américains ont beaucoup publié sur ces clauses-là , et aussi par la doctrine, c'est que si la clause n'est pas claire, c'est une clause Pay When Paid, et pas une clause Pay If Paid. C'est-à -dire, en cas d'ambiguïté, on ne peut pas imposer aux sous-traitants une renonciation au paiement. Simplement, ils ont accepté un report de la date d'exigibilité du paiement auquel ils ont droit. Donc ça doit être qualifié de clause Pay When Paid. Mais, on pourrait imaginer une clause Pay If Paid, très claire. Et on en trouve, en tout cas on en trouvait, je vais vous dire tout de suite pourquoi j'ai dit ça au passé, dans les contats anglo-saxons. Vous avez par exemple ici une clause Pay If Paid, très claire : Receipt of payment from the Owner is a condition precedent to payment to Subcontractor and payment to Subcontractor will only be made after the Contractor is paid by Owner. Une condition precedent ; en français, on dit une condition résolutoire. Condition résolutoire, ça veut dire : si le maître de l'ouvrage ne paye pas, eh bien, l'obligation de payer le sous-traitant disparaît. Et donc, c'est bien le droit des sous-traitants au paiement, qui est mis en péril par ces clauses Pay If Paid. Bon, ces clauses Pay If Paid ont été beaucoup utilisées dans les contrats américains, jusque dans les années 80, parce que les sous-traitants acceptaient ce qu'on leur disait d'accepter. Voilà , c'est la réalité économique, les entrepreneurs générales, ce sont souvent des très grosses entreprises, qui disposent de marchés très importants. Ils est très important pour les sous-traitants d'être choisis par ces grosses entreprises, et donc, les sous-traitants acceptaient un peu tout et n'importe quoi. S'est posée, tout de même, la question de la validité de ces clauses. Et l'affaire est arrivée devant les tribunaux américains. Je vous parle de la jurisprudence américaine, parce que la jurisprudence suisse ne s'est jamais prononcée sur ces clauses Pay If Paid, mais je pense que la solution sera la même. C'est un arrêt, très connu des américains, qui est l'arrêt Clark. Et alors, les juges américains, confrontés à ces clauses Pay If Paid, évidemment dans une situation délicate, où le maître de l'ouvrage était en faillite, et par conséquent c'est vraiment le paiement des sous-traitants qui était en jeu, et pas seulement la date de ce paiement, étaient embarrassés, parce que, les américains, peut-être encore plus qu'en Europe, sont sensibles aux principes de la liberté contractuelle, c'est tout de même le temple du libéralisme, et après tout, si c'était dans le contrat, pourquoi ça ne serait pas valable? Et en même temps, il y avait quand-même quelque chose de vraiment choquant, à ce que le risque de la faillite du maître de l'ouvrage, soit exclusivement assumée- en tous cas en très grande partie- par les sous-traitants. Et donc, voir ces petites entreprises, qui avaient travaillé, parce que quand on demande le paiement, ça correspond à un travail, qui avait été fait, et avec parfois, des dépenses importantes en termes de matériaux ou en termes de main d'œuvre, ne pas être payé, paraissait un peu choquant. Et les juges américains ont réussi à s'en sortir, et à aller à la conclusion que les clauses Pay If Paid, ne doivent pas être considérées comme valables en droit américain. Ce qui est intéressant, c'est qu'elles n'ont pas juste dit : ces clauses ne sont pas valables parce qu'elles sont injustes. Ce ne serait pas admissible. Nous ne sommes pas ici pour dire ce qui est juste ou ce qui n'est pas juste ; nous sommes ici pour dire ce qui est licite et ce qui n'est pas licite en termes de clauses. Donc on peut pas juste dire : cela a conduit à un résultat inéquitable, et par conséquent, ce n'est pas admissible. Ce n'est pas le travail d'un juge. Le juge doit mettre en oeuvre la volonté des parties, et ne pas substituer sa volonté à celle des parties. Mais, en même temps, lorsque le résultat est vraiment choquant, on peut essayer de trouver des arguments, pour arriver à la conclusion de la nullité de la clause. Et l'argument, assez subtil, était le suivant : Il existe en droit américain, comme en droit suisse, et je dirais de façon très universelle, un droit des sous-traitants à une hypothèque légale, mechanic's lien en droit américain. C'est-à -dire que si des sous-traitants travaillent sur un ouvrage, vous avez un contrat avec un owner, je vais mettre ça en noir, un owner qui a passé un contrat avec un entrepreneur général, qui lui passe des contrats avec des sous-traitants. Le owner, donc le client, a évidemment un immeuble sur lequel les travaux sont faits. Eh bien, en droit américain comme, je vous le dis, à peu près partout dans le monde, les sous-traitants, qui ont une créance contre l'entrepreneur général, ont aussi une hypothèque légale sur l'immeuble [SON], ou en anglais, mechanic's lien puisque c'était un arrêt américain. C'est l'idée derrière selon laquelle, après tout, les sous-traitants ont contribué à la valorisation de l'immeuble, et il est donc juste que leur travail soit garanti par cette valorisation, et donc potentiellement, et bien ils peuvent se faire payer par une réalisation de ce gage. En pratique, ça signifie que, compte tenu de cette hypothèque légale, owner s'assure que les sous-traitants sont bien payés. Bon, cette mechanic's lien, cette hypothèque légale, c'est des droits réels. C'est un droit sur l'immeuble. Donc, dès qu'on est en droit réel, je vous l'ai dit lors du cours précédent, il n'y a plus de liberté contractuelle. C'est le numerus clausus des droits réels, c'est le caractère impératif de ces droits réels, justifié par le fait que ces droits sur une chose, ici les droits sur l'immeuble sont garantis, opposables pardon, à l'égard de tout tiers, et donc on ne peut pas en disposer comme on veut par contrat. Donc, le mechanic's lien américain, comme l'hypothèque légale de droit suisse, est de droit impératif. En droit suisse, c'est confirmé, pardon. C'est l'article 837, alinéa 2, non pas du code des obligations mais du code civil puisqu'on est en matière de droit réel. C'est impératif. C'est-à -dire que les parties ne peuvent pas renoncer à l'avance à ce mechanic's lien, à cette hypothèque légale. Bon, alors, la clause pay-if-paid n'est pas une clause par laquelle les parties, les sous-traitants, ont renoncé au mechanic's lien. Ils n'en parlent pas. Ils ne mentionnent pas ce mechanic's lien. Donc, on ne peut pas dire que c'est expressément une renonciation illégale au mechanic's lien. Mais, en même temps, ce mechanic's lien, ou cette hypothèque légale, c'est une garantie réelle. Une garantie, c'est la garantie d'une créance. Et donc, vous ne pouvez pas avoir de garantie si vous n'avez pas de créance. Si vous n'avez rien à garantir, vous ne pouvez pas avoir de garantie. Et donc, bien sûr, si vous n'avez plus de créance, vous n'avez plus de garantie. Et par conséquent, les juges américains sont arrivés à la conclusion qu'en intégrant dans les contrats une clause pay-if-paid, les sous-traitants, avec l'entrepreneur général, posaient le principe selon lequel il était possible qu'ils perdent leur créance d'honoraires. En perdant leur créance d'honoraires, ils perdaient ipso jure la garantie de cette créance, vous ne pouvez pas garantir quelque chose qui n'existe pas. Et donc, par cette clause, indirectement, ils renonçaient à l'hypothèque lien, à , pardon, l'hypothèque légale ou le mechanic's lien. Et cette renonciation n'était pas valable puisque ces règles, en matière d'hypothèque, sont de droit impératif. Et par conséquent, dans l'arrêt Clarke, et puis dans une jurisprudence qui a été un peu plus élaborée par la suite, et bien les juges américains sont arrivés à la conclusion que ces clauses pay-if-paid ne sont pas valables. Est-ce que les juges suisses arriveraient à la même conclusion? Je pense que oui. De toute façon le risque n'est pas trop important, parce que comme les Américains n'utilisent plus la clause pay-if-paid, forcément puisqu'on leur a dit que ce n'était pas efficace, et bien ces clauses pay-if-paid ne se retrouvent plus beaucoup dans les contrats qu'on utilise aujourd'hui en droit suisse. L'influence culturelle américaine fait que si une clause tombe en désuétude aux Etats-Unis, elle a tendance à ne plus être utilisée non plus dans les pays de droit civil. Mais, si par hypothèse, un juriste ingénieux ait décidé d'intégrer dans un contrat soumis au droit suisse une clause pay-if-paid stricte, et bien je pense que les tribunaux, le Tribunal Fédéral en l'occurrence, arriverait exactement à la même conclusion, et il aurait raison. Il y a un mechanic's lien, il y a une hypothèque légale en droit suisse, c'est l'article 837, alinéa 2 du code civil, on ne peut pas y renoncer, et donc on ne peut renoncer à la créance découlant d'un contrat d'entreprise. Voilà , c'est assez rassurant que la liberté contractuelle ait parfois quelques limites. Maintenant, il faut le dire, ces clauses pay-if-paid sont, ont été analysées dans le cadre de contrats d'entreprise, avec l'argument de l'hypothèque légale. Dans d'autres contextes où vous n'avez pas d'hypothèque légale, alors se poserait la question du caractère admissible ou pas d'une clause pay-if-paid. La question ne s'est pas encore posée pour le moment parce que c'était essentiellement dans ces contrats d'entreprise que cette technique contractuelle des clauses pay-if-paid avait été utilisée par des juristes américains. En revanche, la clause pay-when-paid, alors là oui, bien sûr. Prévoir que l'exigibilité des paiements est due lorsque le maître de l'ouvrage paye, c'est quelque chose qui est tout à fait admissible. [AUDIO_VIDE]